un film assez intéréssant meme s'il aurait pu etre plus fort
Tokyo Biyori, une adaptation par Takenaka Naoto d’un livre du cèlèbre photographe à scandale Araki Nobuyoshi sur sa femme morte d’un cancer en 1990, fut un succès surprise au box office japonais. Si le film aurait pu etre bien plus réussi et meme devenir un classique grand public –comme peuvent l’etre les films de Iwai Shunji par exemple- avec un peu plus de rigueur au niveau montage et réalisation, reste que le film est dans l’ensemble réussi.
Car des acteurs transcendés et un scénario écrit peuvent parfois faire tenir debout à eux seuls un film et c’est le cas ici. Le scénario sur la plongée d’une femme mariée dans la folie pourrait par exemple faire penser à Une Femme sous Influence ou si l’on en reste au cinéma japonais au magnifique Okaeri. Mais là où Cassavettes et Shinozaki enregistrent la reconstitution d’un couple au travers de la folie, Takenaka filme une femme qui sombre sous l’œil indifférent de celui qu’elle aime : elle devient furieuse lorsque ses amis ne la reprennent pas lorsqu’elle se trompe sur nom d’éditeur, un gamin l’appelle grand-mère, elle veut absolument habiller en femme ce dernier, elle quitte l’appartement pour disparaître de chez elle et finalement toujours revenir, fait mine de s’intérésser à un autre homme pour finalement s’en détourner. Le personnage très complexe de Yoko est interprété avec talent pr une Nakayama Miho passant avec aisance du comique à des attitudes de joie extraverti et des colères pathétiques. Takenaka Naoto est exemplaire de retenue et réussit à donner une impression d’indifférence sans froideur –il est plus incapable de la comprendre que hautain- et soutient un casting assez exceptionnel. Le fait que son personnage photographie les gens sans leur demander contribue à créer une certaine tension lors de quelques scènes où l’on partage sa crainte des réactions des autres. Et les photos jouent également un role d’enregistreur glaçé de la chute d’une femme. Asano Tadanobu fait une apparition en jeune homme attentionné qui essaie d’offrir de la joie à Yoko tandis que Tsukamoto Shinya fait un beau caméo en acteur shakespearien qui s’en prend à Shimazu parce qu’il a été photographié à son insu dans le métro. Le réalisateur Suo Masayuki (Shall we Dance) joue également dans le film. Une des autres qualités du film est celle de beaucoup de films d’acteurs à savoir une vraie aptitude à construire le plan autour des comédiens et une vraie passion à cadrer ces derniers. Il est aussi porté par une belle photographie légèrement orangée.
Mais s’il y a une vraie personnalité dans la direction d’acteurs, on ne peut en dire autant de la mise en scène. Il ne s’agit meme pas d’une bonne mise en scène classique –ce qui aurait pu etre intéréssant vu le choix de Takenaka de faire un film discret, effacé à partir des écrits d’un photographe surtout connu pour ses exçès de provocation- mais d’une mise en scène qui ne choisit jamais son camp. On passe ainsi d’un plan à l’autre à une stylisation voyante –l’usage du ralenti, les nombreuses mise au point à la focale- à une mise en scène distante faisant durer certains plans puis à des tentatives de refléter par les mouvements de caméra une certaine légèreté –les caméras portées tremblantes. Certes, c’est bien cadré et cela ne coule pas le film mais ce manque d’unité est un peu préjudiciable à l’impact émotionnel du film. Un autre défaut est que Tokyo Biyori est également indécis au niveau rythmique : on a ni les variations crées par l’approche virtuose d’un Iwai Shunji ni la capacité à faire ressentir la durée des cinéastes qui choisissent l’option contemplative sous l’effet des contraintes de l’économie de moyens ; il s’agit bien plus d’un entre deux bancal et informe que de l’option médiane qui offre sa grace somnambule au cinéma d’un Kurosawa Kiyoshi. Il n’y a pas de longueurs –le scénario est irréprochable de ce point de vue- juste quelques scènes ne trouvant pas la durée des émotions vécues par les personnages. C’est lorsque le film offre des variations rythmiques inattendues avec quelques scènes au ralenti, notamment un final nostalgique où la musique prend une ampleur classique après avoir été plus légère durant tout le film, qu’il réussit à toucher le plus le spectateur. Ce n’est pas non plus du découpage catastrophique à la Miike mais là encore ça pourrait etre bien mieux. Cela se veut peut-etre un flou rythmique à la hauteur de l'incompréhension du narrateur mais cela ne parvient à créer qu'une certaine monotonie pas à la hauteur de situations poignantes qui auraient gagné énormément à etre soutenues par des choix artistiques affirmés dans un sens classique ou dans le sens opposé.
Malgré tout, Tokyo Biyori reste très agréable à regarder parce que la dimension humaine absente de la réalisation du montage y est apportée par les acteurs. Le couple idéal selon Takenaka est du type artiste/modèle et la sexualité en est absente. Heureusement que les acteurs et quelques situations imprévues lui apportent par moments la chair manquante. Cette chair dont l’abondance transforme un bon film -Tokyo Biyori mérite le coup d’œil- en grand film.
Ce mélo s'en tire à bon compte, parcequ'il est doté de quelques qualités faisant oublier l'absence de réel génie dans la mise en scène.
D'une part, l'interprétation. Là je crois qu'il n'y a pas photo : le casting est béton. Nakayama Miho et Takenaka Naoto forment un couple crédible à l'écran et font vivre leurs personnages aux caractères complexes. Nakayama Miho livre une prestation de taille. J'ai toujours aimé les personnages féminins psychologiquement instables, capables de passer du rire à une violente crise de nerfs. Elle n'en fait jamais trop (ce n'est pas non plus la fifille qui fait la moue dès que ça va pas, le traitement du film restant assez mature à ce niveau) et joue avec une justesse remarquable. Takenaka Naoto hérite d'un rôle qui n'est pas facile non plus, celui du mari qui intériorise une bonne part de ses sentiments.
Et pour compléter, on a affaire à de bons seconds rôles, dont Asano Tadanobu et Matsu Takako, l'une de mes actrices chouchoutes du cinéma japonais, avec Nakatani Miki et Nakama Yukie.
D'autre part, le fait que le scénario soit tiré d'une histoire vraie, ce qui appuie un peu la puissance émotionnelle du récit. J'aimerais aussi signaler un détail qui m'a fortement plu, c'est la pudeur du couple Nakayama/Takenaka. Ceux-ci ne se laissent pas aller à des parties de jambes en l'air et on ne les verra même jamais s'embrasser face à l'objectif (ils préfèrent se planquer, lors de la scène fatidique). C'est assez rare dans ce genre de films pour être signalé, et ça contribue à appuyer la gravité du propos (en gros, on ne déraille pas soudainement sur une scène de cul pour contenter le public amateur, et on envoit gentiment ballader ceux qui prétextent que ça fait partie de la vie de couple). Respect.
Mais le problème, c'est que Takenaka Naoto n'a pas le génie pour transcender complètement son film (et pourtant, avec Nakayama Miho dans le cadre, y'a plus besoin de grand chose). Attention, c'est déjà très louable de sa part de s'être collé à la réalisation d'un projet tel que celui-ci, mais ni la caméra, ni le score assez quelconque et finissant par devenir grandiloquant, ne parviennent à rendre les scènes cinématographiquement parfaites.
Par contre, on peut faire mention de la photographie à la teinte orangée, qui donne un cachet particulier à "Tokyo Biyori".
L'autre problème, c'est la propension dans les dernières minutes, aux effets malvenus et trop couramment usités dans le tout venant en matière de mélo : la musique aux violons et les ralentis sur la défunte en guise d'ultimes marques de souvenir pour faire tirer les larmes des spectateurs les plus réticents. Mais puisque c'est dans l'optique d'un hommage véritable à une personne ayant véritablement existée, on va passer.
"Tokyo Biyori" n'est donc pas techniquement un chef d'oeuvre, mais sa sincérité, sa qualité d'écriture et d'interprétation, ainsi que son traitement moins neuneu que la norme, en font un mélodrame globalement correct.
Un drame beau et vivant, à voir pour l'énième mais rare illustration talentueuse de ce que peut être l'Amour, et aussi, surtout, pour Miho Nakayama
J'ai pris ce film après avoir vu le "Love Letter" de Shunji Iwai, dans lequel joue aussi Miho Nakayama, histoire d'avoir la confirmation du sublime de l'actrice.
Une chose est clair: Miho Nakayama est une grande actrice. Une grande actrice transcendant son physique (déjà fabuleux) par un talent tendre et rare ; son rôle dans "Tokyo Biyori", très démarqué de sa géniale double-interprétation du film de Iwai, est bien plus ambigü, bien moins prévisible, bien plus complexe : il en résulte logiquement un jeu d'actrice un peu plus hasardeux, mais souvent plus émouvant... car si certains peuvent penser qu'elle en fait trop, je leur répondrai que le personnage de Yoko a réellement existé; que dans le livre, il est comme elle le joue, vivant, déchirant (même si évidemment sublimé par Araki); que la folie n'a rien de carré, que l'amour n'a rien de régulier, qu'un être comme Yoko a réellement existé; et qu'en plus d'être magnifiquement écrite dans le scénario (son lunatisme, le lien entre son désir d'habiller le garçon en fille et le cancer de l'uterus qui l'emportera, ses maux passionnés à l'égard de son homme), il est interprété exceptionnellement.
Il faut dire que sur scène, elle était aidée.
D'abord, par Takenaka Naoto, réalisateur/acteur.
En tant que réa, certes Takenaka Naoto ne casse pas des briques; il a juste eu le talent nécessaire pour ne rien plomber, et même pondre quelques scènes très bien filmées par-ci par-là, mais cela reste d'un classicisme un peu attristant quand on le compare (pour rester dans le même trip) au film de Iwai (dans lequel l'art au sens propre se ressent à chaque coin de plan); il réside tout de même dans ce classicisme une petite touche de mélancolie subtile plaisante (jeu des couleurs, plans contemplatifs), à l'image de la musique, pas transcendante mais très agréable (rien à voir avec du Remedios quoi). Et, au final, il a "donné" au film toute la passion qu'il y a investi, tout l'amour, toute la compréhension du drame qu'il conte, et cela, même mis en image gauchement, vaut tous les génies du monde.
De plus, en tant qu'acteur, c'est une toute autre histoire: vivant et attachant au possible, imprégné de son rôle, jouant du naturel de l'atmosphère et de sa complicité avec Nakayama, il en impose littéralement et émeut dans le final (histoire de compenser avec sa réa :) ).
On en arrive donc au couple qu'ils forment, et qui donne fondamentalement corps et vie à l'oeuvre: rarement des scènes simples n'auront été si bien jouées que lorsqu'ils sont ensembles; aidés par des dialogues et des scènes originales dans la banalité (comprendra qui voudra), ils sont en phase, échangent des regards avec une véracité bluffante; ils vont simplement bien ensemble; on croit à leur couple, à l'union de cet homme sage et transparent physiquement et de cette femme follement somptueuse et somptueusement folle, et c'est cela qui fait la force du film. La force du film: là où un scénariste travaillant pour Joel Silver sur la prochaine romance entre Kate Hudson et Thomas Jane sortira son petit manuel des dialogues doucereux et des répliques cinglantes/éperdues, dans un vocabulaire bien trop soutenu, ici, tout est tellement naturel (on obtient littéralement ce que donne un dialogue matinal au sein d'un couple, avec ce que ça comporte de conneries) que ça surprend tant nous sommes habitués au calibré, pour finir au finish par laisser dans l'inconscient un goût d'authenticité prenant les trippes, faisant vivre la chose, retirant tout vernis de dramatisation forcée à la mort et à l'amour. Du talent, en fait.
Le scénario donc, aux antipodes du scénar callibré, possède la force du naturel (tout est vivant - "vivant" est le point essentiel du film) et ses inconvénients: on s'attend à quelques scènes artistiques, rythmées, presque tape-à-l'oeil sur de la grande musique, et on a... presque rien de convenu. Les violons font du bien parfois...
Qu'à cela ne tienne, le final nous les sert... car quand Takenaka Naoto se met à pleurer devant Matsu Takako (l'héroïne du "April Story" du même Iwai) pour une raison familière au spectateur déjà bien dans l'histoire, c'est simple, mais efficace, à l'image du reste. Et, remarque en forme de regret, lorsque Nakayama, au ralenti, le rejoint en courant sur un quai de gare, ce magnifique et émouvant plan aurait du clore le film...
Car si tout cela reste très, très beau, cette ode funèbre à un personnage vivant sous les traits d'une actrice telle que Nakayama aurait mérité un plus grand traitement artistique qui en aurait alors fait un immense chef d'oeuvre, et on est en droit de se demander ce qu'aurait fait (tout en gardant les mêmes acteurs) un Iwai avec un tel sujet (très rapprochant de "Love Letter")...
Cela dit, "Tokyo Biyori", sous ses aspects de petit drame amoureux mineur, fait déjà partie de ces films qui donnent l'impression au spectateur amoureux que ce qu'ils racontent sur l'amour n'a jamais été dit auparavant. Et ça, pour ce qu'on en tire lorsque le générique de fin défile, ça n'a pas de prix.