En 1952, Naruse Mikio tournait L'Eclair, un beau mélodrame sans prétention aucune et un beau portrait de femmes. Une constante qui n’est plus une surprise depuis des lustres, Naruse étant avec Mizoguchi l’un des grands peintres du destin féminin durant les premiers âges d’or du cinéma japonais. Et quoi de plus évident encore, que ce Mother ? Okasan, mère. La femme, la grande sœur, la petite sœur mais avant tout la mère. Bien que les personnages masculins aient ici plus d’importance qu’on ne croit, c’est bien la femme dans tous ses états, à tous ses âges, qui passionne Naruse. L’insouciance de la petite Hisako, les futures grandes responsabilités de Toshiko, la tristesse de la veuve Masako (impeccable Tanaka Kinuyo) en plus orpheline d’un jeune fils, tous ces personnages transpirent aussi bien une véritable joie de vivre qu’une douleur profonde, plus ancrée en eux. La sortie au parc entre Masako et ses enfants est une des plus belles séquences du film, entre malaise permanent –l’état de santé de la mère- et plaisirs du moindre instant. Rien de plus normal lorsque les souvenirs de la guerre sont encore présents. Mais avec Naruse, on n’expose pas ses sentiments comme l’on fait avec ses plus beaux trophées. Tout est ici d’une grande épure et retenue, le cinéaste réussit également à apporter une grande densité humaniste au récit par une volonté d’évoquer sans froideur le quotidien de gens moyens et par une caméra s’attardant sur les visages superbement éclairés. Les mimiques des gosses, le regard espiègle d’une Kagawa Kyoko toute jeune et maîtrisant déjà formidablement ses émotions. Cette dernière, un peu honteuse face à la fausse rumeur de son mariage en fin de métrage, essaiera de masquer ses rougeurs derrière un impeccable maquillage et un des murs de la maison. Une séquence sublimée par la délicatesse de l’actrice.
Beau film sur le combat au quotidien (les mauvaises manipulations d’une Toshiko s’improvisant blanchisseuse n’auront pas de grandes incidences sur le petit commerce de sa famille) d’une famille décomposée et partiellement recomposée, ponctué de séquences contemplatives sublimes et sublimées par une ambiance sonore inspirée signée Saito Ichiro, ce Naruse là est de ces grandes comédies dramatiques portant le regard d’un cinéaste dans ses plus belles heures : cadrages abaissés d’une grande précision, direction d’acteurs inouïe, explosion de vie permanente. Mother est brillant. A noter que Ishii Teruo a travaillé en tant qu’assistant-réalisateur pour Naruse sur ce film-ci, un an après Ginza Cosmetics.
Ce n'est pas tous les jours rose chez la famille Fukuhara, quand la maladie a raison des époux et des enfants, quand les mômes sont sur une plaque rotative ou quand la teinture fait des siennes sur les habits des clients. Il y a bien sûr des instants de bonheur, lorsque le père fait craquer les haricots grillés dans sa bouche, lorsqu'on pique-nique au bord de l'eau en mangeant du « Pâté Picasso » ou lorsqu'on se souvient des belles années de la blanchisserie en vivant ses dernières heures. Naruse filme ces hauts et ces bas avec autant de réserve que de tendresse, vouant une affection de tous les instants à ses personnages sans pour autant chercher à les rendre bigger than life. Il en résulte une œuvre simple et chaleureuse, à mille lieues de la brûlante passion de Nuages Flottants que le cinéaste nous contera trois ans plus tard. Magnifique interprétation tout en nuances et en humilité de Kinuyo Tanaka.
S’il est un cinéaste méconnu parmi les grands classiques japonais de l’age d’or, c’est bien Mikio NARUSE dont seul NUAGES FLOTTANTS a acquis une grande notoriété.
NARUSE en choisissant de tourner des comédies dramatiques centrées sur la vie de petites gens (les SHOMIN-GEKI chères à OZU) se fermait la porte des festivals internationaux d’alors recherchant plutôt de l’épique exotique en costumes sublimé par Akira KUROSAWA. Il est bon de redécouvrir aujourd’hui ce personnage timide et introverti marqué par la vie, à la filmographie qui lui ressemble.
OKASAN est très représentatif de sa manière.Il s’agit de la chronique du quotidien d’une famille japonaise peu après la deuxième guerre mondiale : le film datant de 1952 c’est alors un sujet parfaitement contemporain. Raconté par la fille aînée TOSHIKO, le récit nous plonge dans la vie de ce foyer profondément marqué par les deuils successifs : la mort du fils aîné et du père.Mais aussi les petits évènements tristes ou gais qui rythment le temps qui passe : les jeux des enfants, le flirt de TOSHIKO avec un boulanger sympathique et un peu naïf, les clients de la blanchisserie, le voisinage, l’ami du père défunt et ancien prisonnier de guerre, les fêtes du quartier avec un concours de chant,…
Autant de points de repères que NARUSE traite avec une pudeur absolue, sans aucun effet de style, avec une façon d’observer sans trop s’immiscer dans l’intimité de ses personnages, mais avec une humanité profonde. Son regard sur l’enfance déborde ainsi de tendresse indulgente, sans aucune niaiserie mais avec une justesse de ton confondante.
La simplicité du style touche au sublime, rendant passionnante une histoire somme toute banale. La poésie n’est pas absente, comme cette courte séquence ou le petit gamin TETSU apporte un cadeau à son oncle malade, des poissons dans un bocal que le père observe mélancoliquement, image d’une vie débordante et apaisante pour celui qui va bientôt la quitter.
Mais si NARUSE évite toute dramatisation, le fond de son histoire reste d’un pessimisme incontestable et profond.Le regard de la mère vers qui le réalisateur se tourne régulièrement, est révélateur de ses doutes, de ses angoisses en l’avenir, d’un sentiment d’injustice face à l’inéluctabilité d’un destin souvent injuste et douloureux. Tout cela rejoint le leitmotiv répété tout au long du film : le temps passe trop vite, et il faut faire avec.
Kinuyo TANAKA est exceptionnelle dans le rôle-titre, entourée de comédiens parfaitement dirigés (NARUSE étant réputé pour cela) dont les jeunes enfants ne sont pas les moins talentueux.Dans le rôle du jeune boulanger on reconnaîtra Eiji OKADA au début d'une longue carrière: Hiroshima mon amour, La femme des sables,Le visage d'un autre...
Avant de nous donner en 1954 une superbe adaptation du romancier KAWABATA avec LE GRONDEMENT DE LA MONTAGNE, Mikio NARUSE signe là un portrait de femme souvent bouleversant, célébration de la mère que les dernières paroles de sa grande fille résument parfaitement : « Maman,es-tu heureuse ?Je voudrais tant savoir. Je te souhaite une longue vie heureuse. Maman »
Un film magnifique.