Vu dans la version « performance » de 30 minutes à l'Etrange Festival.
La filmographie d'Ishii Sogo a beau avoir tout du fatras hétéroclite où viennent s'entasser quantités d'objets cinématographiques tous plus dissemblables les uns des autres, Burst City apparaît véritablement comme un sommet d'inclassable. Peut être sa version de deux heures le rend elle plus conventionnel s'il est seulement possible d'apposer un tel qualificatif à côté de son titre, mais le moyen-métrage projeté en vidéo par Ishii Sogo à l'Etrange Festival est l'objet cinématographique non identifiable par excellence. Visions d'apocalypse, fureur et énergie punks qui emportent tout sur leur passage, images d'une puissance rare, accompagnement sonore litteralement vibrant, Burst City a tout du trip sensoriel. Impossible de décoller les yeux de l'écran, c'est une pure experience de cinéma parcourue d'électricité. Epoustouflant et ahurissant.
Après avoir foutu le feu sur pellicule avec Burst City, Ishii Sogo s’est rapidement imposé comme l’un des chefs de file du cinéma punk nippon. Et pour cause, ce véritable enchaînement de rushs survitaminés, dopés au gazole et à la coke, marque la rétine parce que le spectacle total qu’il propose, et les sensations grisantes qu’il procure, donnent tout son sens au terme « punk ». Cette armée-là, dressée face au conformisme d’une société qui ne leur correspond pas, ou plus, trouve les réponses aux problèmes posés en sortant les guitares et les roadsters, poings levés, fonçant têtes baissées. Ishii Sogo a bien compris qu’il fallait mouiller le maillot et faire exploser –imploser- un maximum de décibels pour exprimer toute sa rage ici condensée en deux heures de folie furieuse. Présenté en France à l’Etrange Festival dans une version d’une demi-heure, Burst City fait aussi cramer les pneus sur 2h, dans une version cinéma prenant le temps de présenter les différentes factions qui ne tarderont pas à se rencontrer le temps un ballet explosif ingérable, pas filmable, mais clairement définitif. Guerriers amochés, rockeurs furieux et malfrats se préparent ainsi au choc des titans le temps d’un concert illégal qui ne ressemble à rien de bien connu. Parmi la foule, quelques forces de l’Ordre…
Difficilement identifiable, Burst City carbure à l’énergie. Il ne ressemble à rien, il ressemble à tout. Il est affreusement sal, mais dans ce tas d’ordures pousse une fleure magnifique, évidente : celle de la conviction. Pousser le concept du film-punk aussi loin, ne reculer devant rien, tel semble être le projet de cet acharné de la bobine qui livre sur un plateau rouillé et poussiéreux un objet d’un bel écrin, difforme et décharné, musicalement génial car régressif malgré des textes salasses et pessimistes qui sont ici les empreintes de toute une génération naissante qui font du doigt d’honneur un symbole à suivre. Explorer les entrailles d’une salle de concert underground, où les acteurs d’un soir rasent les murs avec l’arrogance des grands est à ce stade jouissif : ce sont eux, les maîtres du monde d’un soir, et peut-être plus encore. Du moins, ils en sont sans doute persuadés, convaincus qu’ils peuvent changer cette foutue société en faisant grésiller l’ampli Marshall et en brûlant l’asphalte. Et pourquoi ne pas casser du crâne pendant qu’on y est. You win.
Si l’on souhaite établir un constat, avec nos moyens, Burst City n’a en rien perdu de sa force. Les Mad Max ou New York 1997 restent encore aujourd’hui des classiques, mais ils en sont là, pris entre leur vision avant-gardiste du monde d’aujourd’hui et leur carapace un tantinet rouillée. Sacrément amochée, même. Le film a beau avoir 30 piges au compteur, sa réalisation brute surprend encore et toujours, car l’on se plait à définir les limites du filmable. Une caméra embarquée dans une foule en plein délire, jusqu’où ira-t-elle ? Comment faire un montage un minimum propre avec ces rushs pris sur le vif ? Comment même espérer s’y retrouver ? C’est encore aujourd’hui la difficulté du film, c'est-à-dire pouvoir faire le tri et ne pas s’ennuyer durant sa première heure truffée de longueurs et de passages dont on se serait bien passé. C’est aussi la force des grands, faire voler en éclat le médiocre le temps d’une séquence jouissive. Et ici, le film en est juste rempli à ras-bord, ça tombe bien. Burst City porte donc encore fièrement le drapeau –taché de sang- d’une révolution cinématographique, et semble avoir du mal à passer le flambeau. Si un cinéaste comme Tsukamoto Shinya a apporté quelques précisions au terme « cinéma punk » et Miike Takashi un déluge de films jamais à la cheville, il est difficile de trouver 30 ans après de nouveaux dignes représentants. Et question musique, les récents Fish Story et The Shonen Merikensack ont beau avoir leurs propres qualités, ils n’offrent qu’une variante sous cellophane de ce que l’on pouvait entendre ou vivre dans Burst City. Le Punk a décidément bien changé...
Burst City est une pièce fondatrice essentielle de tout un pan du cinéma japonais. Le film ne raconte rien (des gangs s’affrontent et puis ?) et tout à la fois : Burst City est un manifeste punk dont l’énergie hallucinante qui s’en dégage témoigne de toute une époque, tout un état d’esprit. Dans sa version longue, Burst City est forcément plus dense, une vraie odyssée de 2h qui sait aussi introduire des personnages, ménager des instants de calme pour mieux souligner les grands moments de furies. Un peu comme un grand tourbillon qui vous entraîne inexorablement , de plus en plus vite. La dernière demi-heure est chaotique, hallucinante et converge vers LA scène : ce poing levé, cette rage folle qui donnerai presque envie de devenir punk!
Dans sa version courte, peut être plus « digeste » , Burst City se résume à un trip sensoriel où Sogo Ishii livre un montage qui modifie sensiblement la chronologie initiale des scènes. Ici, il n’y plus de dialogues, plus de cris, plus de guitares, Burst City est une véritable travail de déconstruction, un fabuleux maelström d’images, de sensations, de sons qui vous emporte très loin.
C'est quoi ces madmarxistes hurleurs sur leur moto pourrie? Ces yakuzas grotesques? Et ce sous-prolétariat d'apocalypse, ces jeunes sauvageons qui s'emmerdent en attendant le prochain concert ou la prochaine course ou le prochain combat? ça court, ça crie, ça s'agite dans tous les sens... Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel? Tout simplement l'explosion inouïe d'un des seuls films qu'on pourrait dire punk sans rougir (tellement le terme est galvaudé) et pas que pour la musique. Document d'une époque filmé à l'arrache, exercice de style secoué d'une énergie libérée jusqu'à la perte de contrôle (montage heurté, défilement parfois légèrement accéléré), rarement film aura donné ainsi le sentiment qu'il s'auto-consumait rageusement sans regard en arrière et sans voir devant lui. Pur présent. Finalement l'histoire n'a que peu d'importance : seule compte la sensation. Burst City, c'est le palimpseste de Sogo Ishii, son big bang, qu'il domestiquera ensuite et dont on trouvera des traces partout, comme un feu qui couve, jamais éteint. En attendant, voici le film de l'énergie pure.
Avec du recul, "Burst City" constitue rien de moins que l'élaboration d'une esthétique du cinéma cyberpunk, suivant par moments les traces de Fukasaku Kinji et Hasegawa Kazuhiko (nb: influence stylistique et idéologique d'un certain cinéma seventies), mais se détachant le reste du temps pour devenir le premier des trois pilliers du cinéma cyberpunk japonais des années 80. Le fait que l'un des personnages du film se fasse appeler Tetsuo n'est d'ailleurs pas un hasard.
Une belle énergie pour ce film qui ne ressemble à rien, ne raconte rien, ne mène nulle part même si l'on est content d'y aller quand même. Des images, de la musique, et c'est déjà pas mal du tout. La puissance animale du film, sa rage et son jusqu'au-boutisme esthétique ont déjà fini de faire de Burst city une pièce maitresse de ce qu'on peut appeller (un peu vulgairement) le cinéma expérimental.