Astec | 4.75 | Le Tsui Hark de l'animation, il existe... |
Ordell Robbie | 4.5 | Quand la surenchère Gainax rencontre l'action supersonique Workshop. |
La Chine ancienne, mythologique. La bête sacrée Quilin (animal composite fabuleux de la mythologie chinoise) émerge d’un portail mystique face à un homme qui engage abruptement le combat. La séquence est intense, rapide, savamment découpée et animée avec brio pour un impact maximum. L’épisode débute à peine et on a l’impression d’assister au combat final de la série. « L’Envoyé du feu », un homme aux pouvoirs élémentaires censé protéger le portail contre les démons, a contrevenu à son devoir en l’ouvrant, déclenchant une cascade d’évènements aux conséquences désastreuses. Des années plus tard, le soleil se lève sur les collines brumeuses, la journée est lumineuse, le paysage beau comme un tableau, une jeune silhouette féminine s’immisce en courant dans le champ de la caméra, un hameau pittoresque visible au loin, les oiseaux chantent...
Été 2020, les épisodes (la suite arrive le 26 juillet sur Bilibili) de Fog Hill of Five Elements sont mis en ligne sur le « Youtube chinois de l’animation », la plateforme Bilibili avec ses plus de 300 millions d’utilisateurs mensuel actifs. En très peu de temps la série va battre plusieurs records d’audience (elle totalise aujourd’hui plusieurs centaines de millions de vues) et se voit très vite programmée sur une chaîne nationale, avec le même succès. Beau, impressionnant, furieux et épique, mais également pastoral et poétique, moderne et totalement ancré dans la culture et mythologie chinoise…, un concentré de qualités fruit du labeur d’un studio de 10 personnes seulement. Un véritable tour de force. C’est donc tout naturellement que le show obtient le prix de la meilleure série d’animation lors du 18e China Animation Golden Dragon Awards. Et tout commence par un court métrage fait en solo en 2016, une superbe séquence de duel martial dont le succès poussera le jeune animateur Lin Hun (un pseudo) à fonder son propre studio pour produire sa série. La légende veut que le capital de départ était de 10 yuans. Il faut également savoir qu’il sortait à l’époque de plusieurs années de déception, ayant perdu tout le travail qu’il avait fourni pour un précédent projet (cherchez « Epic Martial Arts Anime Trailer! » sur YT) sur lequel il s’était fait avoir par ses associés…
Grosse difficulté dès le départ car pour une bonne part des quatre ans de production le studio ne comptera en réalité que trois employés (et lui uniquement comme artiste de haut niveau), pour finir à dix au moment de la sortie. Il ne faut donc pas s’étonner de voir le nom de Lin Hun 14 fois au générique (toutes les grosses séquences d'animation c'est lui en solo, les décors, l'animation de l'ending...). Une production à la difficulté renforcée par le choix d’un style visuel inédit, une alternative aux productions locales sous influence 2D japonaise et 3D hollywoodienne, rarement à la hauteur des modèles. Pari réussi, il n’y a quasiment pas un plan de la série qui ne propose un petit quelque chose d’intéressant à voir. Le soin du détail, une autre marque de la mise en scène de Lin Hun. Dans le premier épisode par exemple, qui se déroule sur une journée, la lumière change naturellement avec le passage du temps, d’une scène pleine de vie au matin jusqu’au plan où le soleil se couche sur un combat à l’arme blanche sur un pont. Une façon délicate de faire monter la tension et le signe d’une prévisualisation poussée du réalisateur : toutes les vista, les positions du soleil, les éléments significatifs du décors, les corps… restent cohérents, consistants, d’un moment de la journée à l’autre, d’un endroit à l’autre, d’un épisode à l’autre. Dès le départ, le tout est pensé comme la scène du drame qui va se jouer, drame qui à son paroxysme est mouvement, chorégraphies, animation, découpage/montage, couleurs, sound design comme des percussions…, rythme, et ce jusqu’à la quasi-abstraction.
Les combats justement, la qualité « dans ta face » de la série. Sans même évoquer l’animation, digne des meilleurs quand le rythme du récit s'emballe, c’est dans la composition, la mise en scène, le montage, la chorégraphie que Lin Hun fait la différence. Cela va vite, les combattants ne parlent pas mais agissent, ne s’interrompent pas pour scander attaques et techniques mais s’adaptent et exécutent, tout est au service du « flow » du combat, du dialogue martial et de l’immersion. Même lorsque l'action devient si rapide et furieuse qu'il en devient difficile de suivre les gestes des protagonistes, Lin Hun s'assure qu'une certaine logique martiale soit respectée : ils continuent à bloquer, feinter, frapper à tour de rôle. Les combats sont également plein de subtilité "martiale" (dans la logique du récit) et à charge pour le spectateur de les percevoir s'il le désir. Chaque affrontement est "méta commentaires friendly". Nous ne sommes pas dans le code du récit shônen mais celui des films de kung-fu et de chevalerie qui ont fait la gloire de Hongkong. Lin Hun en invoque toute la science de narration des combats et en magnifie l’intensité par son sens du rythme et l’utilisation du pinceau et de l’encre, moins précis sur le plan illustratif mais bien plus aptes à capturer et restituer l’énergie du geste de l'animateur, le « coup de pinceau », littéralement. Oui, Lin Hun est calligraphe à ses heures et ce n’est ainsi pas étonnant qu’en terme de direction artistique il se soit notamment inspiré de plusieurs traditions chinoises, dont celle tirée de l'œuvre de Chang Dai-Chien (1889 - 1983), une des figures les plus marquantes de la peinture chinoise contemporaine (et cardinal pour l'identité du cinéma HK, le logo SB c'est lui, la calligraphie de l'affiche originale du Zu de Tsui Hark aussi, sur demande express de Brigitte Lin.... Les connexions...) et qui a su faire le pont entre traditions et peinture moderne occidentale. Il y a une intention claire et les nombreux décors de la série semblent sortir tout droit de l’atelier du grand maître. Lin Hun va jusqu’à donner à ses fonds le grain si caractéristique du papier de riz, utilisé dans la peinture traditionnelle chinoise. D’autres plans, décors, sont des références directes à d’autres traditions picturales chinoises.
Il y aura un "avant et "après" Fog Hill of Five Elements pour l'industrie de l’animation chinoise et mondiale. Et il ne faut pas s'y tromper, Lin Hun n'est pas qu'un jeune animateur brillant, et le meilleur chorégraphe martial en animation, c'est aussi un réalisateur doué qui sait raconter une histoire, construire un univers dense et plein de mystères à découvrir, doser humour et pathos au service de la narration, et qui possède un sens du rythme consommé. Et il chante très bien le générique d’ouverture des premiers épisodes. C'est le package complet.
Quant à nous, la série arrivera dans nos contrées plus tôt que tard. Le réalisateur m’a confirmé l’intérêt de distributeurs et surtout, secret de polichinelle, Netflix bloque les vidéos trop longues dédiées à la série sur Youtube, pour raisons de droits d’auteurs.