Une fable baroque étonnante et généreuse.
Il faudrait commencer par le générique de fin, qui est déjà quelque chose, avec ses gravures pieuses détournées, de la Passion et de l'Annonciation. Ce générique est une image concentrée du film, qui n'est pas un film chrétien, mais qui met en scène un univers imprégné de religiosité - une religiosité spéciale, christianisme mêlé de paganisme et de mysticisme. L'image de la Passion renvoie à une représentation bien réelle donnée au village pour le Vendredi saint, avec trois garçons attachés sur des croix, dont un abandonné là et condamné à y resté alors que tout le monde fuit sous l'orage. Les gravures de l'Annonciation renvoient à la grossesse et l'accouchement de Daisy sans père déclaré, ce qui lui vaut la colère des villageois. Plus généralement, la religion est présente aussi dans les activités des villageois, des flagellations au meurtre rituel. On peut presque lire le film comme un Evangile inversé, de la Passion - les souffrances de Daisy pendant son enfance, les maltraitances infligées par son père tyrannique - à l'Annonciation et la naissance providientielle de l'enfant qui voit, non sans difficulté, le triomphe des persécutés - Daisy, son amoureuse Botchok, le père de l'enfant Nanding et la grand-mère.
Tuli est un film sur la violence ordinaire dans une micro-société rurale, où tout écart par rapport à la norme est puni parfois très sévèrement. Mais ce climat violent est transfiguré par des images lumineuses, aux couleurs chaudes, par un certain humour aussi, qui allège l'ensemble, par l'amour enfin : celui des deux jeunes femmes du couple scandaleux ; l'amour de Daisy pour sa mère, qui l'amène à décider de faire un enfant pour la sortir de la dépression dans laquelle l'a plongée la mort de son mari ; l'amour maternel, qui sauve la famille hors-norme de la vindicte publique.
Tuli est un film rare, une fable féministe étrange et généreuse, en tout cas un film qu'il faut montrer. Il s'agit du deuxième film du philippin Auraeus Solito, après The Blossoming of Maximo Oliveros et avant Philippine Science. Malheureusement, sa classification "restricted" lui a interdit les écrans philippins - il n'a pu être montré que dans des festivals internationaux, dont celui de Sundance il y a deux ans, et le festival Golden Horse de Taipei cette année. Je ne peux que souhaiter qu'une sortie en DVD et d'autres festivals lui donnent davantage de visibilité.
Circoncis circonspects
Contrairement à l'évolution d'un Brillante Mendoza entre son "Foster Child" et "Slingshot", "Tuli" n'a absolument plus rien à voir avec son précédent "Maximo". Il n'en conserve pas moins un même impact émotionnel…dans son genre.
Solito continue à se servir de l'outil numérique, mais cette fois sous l'égide d'un studio mainstream (la branche indépendante numérique des studios VIVA). En revanche, ce passage sous un major n'amenuise en rien sa fibre revendicative; bien au contraire: "Tuli" sera censurée aux Philippines, privant le film d'un passage (qui aura pourtant été méritée) aux principaux Festivals et depuis sorti à la sauvette en DVD.
Cette lourde sanction est assez compréhensible au vu du résultat final et conforte le spectateur dans l'actuelle émergence bénéfique des œuvres numériques indépendantes pour faire un peu bouger les choses: il y est question d'amour homosexuel (entre deux femmes cette fois), de pouvoir chaman mélangé à la culture catholique. Les hommes y sot montrés comme des êtres irresponsables et oppresseurs de femmes et chaque séquence est lourde de sens – sans parler des nombreux moments aux connotations forts érotiques. Une réalisation d'autant plus incroyable, qu'il est servi par un casting impeccable, incluant aux générique des nombreuses starlettes du petit écran (Desiree Del Valle, Vanna Garcia,…), qui n'ont pas tout à fait dû comprendre leur "promotion" au sein d'une véritable œuvre mâture.
Très proche dans l'esprit des œuvres paillardes d'Imamura ("Profond désir des Dieux" en tête), Solito propose un incroyable retour aux sources en s'immergeant au plus profond de son pays, mais en y dénonçant des méthodes folkloriques désuets, ayant abouti à notre société actuelle.
A travers les personnages de Daisy et Vanna, il propose une alternative progressiste quasi utopiste, une sorte de meilleur monde à la Rousseau.
Une œuvre charnière dans l'actuelle cinématographie philippine, qui sera – sans aucun doute – réévalué à sa juste valeur d'ici quelques années.