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Tue, Vaurien, Tue!
les avis de Cinemasie
2 critiques: 3/5
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1 critiques: 3.25/5
En dehors des yakusa
Tue, Vaurien, tue ! fait partie d’une série de petits films de yakusa nerveux qui consacra Watari Tatsuya comme figure incontournable du banditisme nippon au cinéma. Le statut de son personnage est ici emblématique : dans un pays où l’on se réalise via un groupe, un collectif, lui œuvre en tant qu’indépendant entre 2 bandes de yakusa qui se disputent un territoire, ne faisant confiance qu’à son expérience de la vie et des sentiments qui l’animent comme l’amitié et l’honneur. A ce titre, il apparaît comme un rebelle qui tente de réveiller ses congénères, un éclairé qui a compris que le monde des yakusa est vain et qu’il tue la vie de famille, qu’aucune femme de yakusa n’est heureuse, une figure paternelle qui conseille les jeunes chiens fous qui débutent dans le métier.
Tue, Vaurien, tue ! est loin d’être un chef d’œuvre, mais il est efficace notamment dans ses scènes d’action qui n’hésitent pas à intégrer de furtifs plans gores ainsi que dans la description d'une icône ancrée dans la réalité. Une curiosité à voir, renvoyant une image intéressante du Japon des sixties.
Tokyo nagaremono
De 1968 à 69, la série des Burai (littéralement 'Vaurien') fut un grand succès populaire mais aussi un témoignage emblématique du traitement réservé aux films de yakuza par les grands pontes de la Nikkatsu. Au contraire de la Toei respectueuse d'une certaine image flatteuse de ces figures populaires (Koji Shundo,le patron du studio, ne cachait d'ailleurs pas ses accointances avec le milieu), la Nikkatsu s'appliquait alors à une relecture plus distanciée mettant l'emphase sur des figures romantiques et ténébreuses auxquelles son jeune public masculin pouvait s'identifier. Basée sur la biographie de Goro Fujita qui inspira nombres d'œuvres, la série des Burai mit à l'honneur le couple Tetsuya Watari/Chieko Matsubara que l'on retrouvait immuablement le long de ces six itérations ainsi qu'à l'affiche des très cool Vagabond de Tokyo (Seijun Suzuki,1966) ou Velvet Hustler (Toshio Masuda,1966). Figures cultes auprès de la jeunesse, ces icônes incarnaient sur pellicule le couple romantique idéal, Watari avec son étrange magnétisme sensuel, Matsubara avec sa troublante fragilité.
Pour ce sixième et dernier opus, Keichi Ozawa retourne à la source de la série en mettant l'emphase sur la solitude existentielle de son héros romantique perdu dans des conflits tragiques qui agitent un Tokyo clandestin. Electron libre et sans attache, Goro 'le tueur au poignard' se pose comme un trait d'union entre différentes sous intrigues qui composent un script classique mais bien troussé. Son détachement profond nourrit aussi bien son aura sensuelle qu'il lui permet de poser un regard lucide sur l'agitation de ce bas-monde (sa réplique restée célèbre 'Yakuza no ikusaki wa akai kimono ka shiroi kimono ka sore igai ni ne yo', soit 'la destinée d'un yakuza est le kimono rouge [de la prison] ou blanc [de la mort]). De sa romance platonique avec Matsubara qui débute dans une veine légère pour graduellement s'intensifier à ses implications dans les sombres magouilles du milieu, cet 'ange gardien' campe une figure qui transcende les habituels clichés du genre. Fustigeant l'imbécillité d'une jeunesse naïve fasciné par les caïds ou le passéisme d'hommes pourtant murs (un mari bientôt père incapable de se détacher du giri-ninjo, dilemme amour/devoir, qui le conduira à sa perte), la tonalité pessimiste de l'ensemble témoigne d'un durcissement notable annonciateur des jisturoku (histoires vraies) à venir où le jingi (code d'honneur) fut définitivement mis en berne.
Bon artisan, Ozawa insuffle une tension constante à son ensemble avec de classiques cadrages posés et un montage bien huilé. Si l'on regrette quelques parti-pris scénaristiques un peu facile (Goro a décidément le chic pour se trouver toujours au bon endroit au moment opportun), le scénario propose des personnages secondaires développés densifiant la thématique générale. L'action abondante ne phagocyte pas la teneur romantique du film et procède d'un soin attentif. Habituel point faible de ces productions, elle se fait ici variée (rixes aux poignards, poings, sabres ou pistolets), plus nerveuse et viscérale aussi (apparitions notables d'inserts gores). Ozawa en profite pour isoler dans son cadre quelques beaux moments pathétiques insistant ainsi la futilité de ces conflits. Enfin, la composante musicale fondamentale du genre est ici toujours aussi réussie (splendide chanson-thème et sa trompette plaintive ou encore un groove-60's final très remuant ). Une scène finale qui est ici remarquable par son approche. Ozawa transcende son climax (un inévitable combat à mort) en le parasitant d'éléments pop : lumières psychédéliques, plancher transparent, mini-jupes aux couleurs criardes. L'aspect résolument moderniste de la scène tranche avec le reste du métrage en constituant un contrepoint séduisant et osé.
Ce beau dernier opus témoigne de l'évolution du film de yakuza à la fin des années soixante. Mélange de tradition et de modernité propre aux films de la jeune génération de l'époque, la figure atypique de Goro loin de n'être qu'un cliché insuffle un pessimisme bienvenu. A mettre en perspective avec la relecture de Kinji Fukasaku (Le cimetière de la morale) dans une veine autrement plus nihiliste et désespérée.
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EIGA GOGO!