Tanuki | 3.25 | Mourir en désespoir de cause |
Générations Comics sort de temps en temps des one-shots assez méconnus de derrière les fagots. Ainsi la publication d'un manga s'intéressant au sort d'un "kamikaze" d'une vingtaine d'années à la fin de la deuxième guerre mondiale est assez rare pour attiser la curiosité.
En premier lieu, il faut arriver à passer outre le style graphique assez particulier de l'auteur : visages très allongés, yeux et bouches rectangulaires, et nez busqués pour tout le monde. Les visages sont parfois assez difficilement différentiables si on ne fait pas attention aux petits détails ce qui bien évidemment peut poser problème lors de la lecture. De même, l'expressivité des visages est très moyenne et n'aide pas l'auteur dans sa description des derniers jours de la vie de ces jeunes hommes. Ce sont surtout les paroles associées aux personnages qui donnent vraiment le ton à la scène, bien plus que les deux-trois gouttes de sueurs, larmes et autres froncements de sourcils. Là où l'auteur se rattrape niveau dessin c'est clairement avec les accessoires et le décor, en particulier les maisons en bois et le design des avions. C'est tellement réussi et réaliste que certains les ont adaptés en skins pour Combat Flight Simulator 2.
Bien sûr avec un sujet tel que celui choisi par l'auteur, il faut plus prendre en compte le fond que la forme. Ma seule autre référence manga en la matière était Aux frontières du ciel de Hojo (première nouvelle de La Mélodie de Jenny) qui est très romancée mais bien plus triste au final. J'avoue avoir pris plus de plaisir à la lecture de Tsubasa après avoir butiné sur le net quelques infos sur les fameux pilotes "kamikaze". Non pas parce qu'il devient plus pénétrant au niveau des sentiments (l'auteur ayant décidé de garder un ton neutre, ça désamorce pas mal de choses) mais surtout parce qu'on apprécie plus les petits détails noyés dans les cas de conscience du personnage principal. Il est le témoin de tout ce qui se passe autour de lui mais aussi celui qui ne sait pas pourquoi il a fait le pas fatidique, celui qui va voir les jeunes lycéennes lui dire au revoir par deux fois, celui qui va devoir subir l'humiliation de revenir vivant et celui qu'on va vouloir retenir. Ainsi on se rend mieux compte du degré d'endoctrinement des futurs sacrifiés, que même s'ils croient avoir eu le choix, ils ne l'ont en fait jamais eu. Tout est mis en œuvre pour les aveugler, la propagande est bien ancrée dans les esprits. "Les Américains ont les yeux clairs, ils ne peuvent regarder la mer" d'où les attaques aux ras des flots, les femmes et enfants se suicident pour échapper à l'envahisseur. Quand on voit comment étaient dépeints les Américains dans le programme n°6 sur la propagande diffusée lors de la rétrospective sur l'animation des années 20 aux années 50, on comprend mieux ce que pouvait avoir les gens dans la tête à cette époque et pourquoi ils étaient prêts à se sacrifier ainsi pour leur pays (rajoutons à cela le code du Bushido qui hante les Japonais depuis des siècles). Et toujours autour de ce héros, des gens qui ont vu partir trop de monde et qui voudraient bien que ça s'arrêtent. Ceux qui ont ouvert les yeux sur l'issu fatale de cette guerre et voudraient les ouvrir aux autres aussi. Et ce jeune homme qui persiste à avancer vers sa mort de manière si désespérante parce qu'en fait il n'a pas le choix mais qu'il faut bien se convaincre qu'il y a une raison plus valable. Quand on rajoute du contexte à cette histoire en lisant quelques articles autour, ça mine encore plus le moral au final.
Tsubasa se révèle être une approche assez intelligente de la psychologie d'un "kamikaze" qui, du coup, ne passe plus pour un barjot ou un martyr mais pour un homme au coeur pur dont la cause est noble. Le lecteur pourra méditer sur cette phrase en page 151. Pour ma part, je trouve que ça marche très bien quand on s'en tient à l'histoire de Tsubasa. Pour ce qu'il en fût dans la réalité, mon avis reste plus réservé mais c'est sans doute l'esprit occidental qui veut ça.