Parfois inégal, mais un ensemble de belle tenue
Celui ou celle qui s'est déjà délecté(e) de l'inoubliable
La Chanteuse de Pansori retrouvera ses marques très rapidement avec le tout dernier film du prolifique Im Kwon-Taek (totalisant cent films en plus de quarante ans de carrière) l'un des rares réalisateurs sud-coréens à tenter de défier le courant commercial installé au pays depuis déjà quelques années. Son oeuvre en question dispose de suffisamment d'arguments pour convaincre l'amateur de cinéma d'auteur ou le simple spectateur désireux de découvrir l'Art du Sori d'y jeter un oeil et de plonger dans une aventure partageant de nombreux liens avec
La Chanteuse de Pansori. On retrouve d'ailleurs la gracieuse Oh Jeong-Hae dans le rôle de Song-Hwa, il en va sans dire qu'elle est à présent habituée à endosser ce genre de rôle, celui d'une enfant mais aussi d'une jeune femme obligée d'apprendre le Sori pour ensuite devenir une parfaite maîtresse de cet Art malgré son handicap récent : la cécité.
Si on évoque donc la parenté de Beyond the Years et La Chanteuse de Pansori c'est tout simplement parce qu'il repose sur sa trame originale de Lee Cheong-joon qui servait déjà de matériau de base pour sa création. Mais l'adaptation ici se renouvelle et ne reste pas qu'au cercle familial, elle dépasse les frontières du huit clos pour se libérer d'elle même et ainsi s'inscrire dans le registre du road movie à travers les années, et au-delà comme l'indique son titre. On découvre Dong-Ho dans une époque qui semble contemporaine, vieux routard une fois de plus à la recherche de sa soeur. Fatigué, il désire passer la nuit chez l'habitant (entre la maison d'hôte et l'habitant précaire) sans penser une seule seconde qu'il va retrouver un vieil ami d'enfance. Les deux hommes vont ainsi parler, se redécouvrir et parler du passé avec en ligne de mire, Song-Hwa, son père, et plus encore. Tout comme La Chanteuse de Pansori, Beyond the Years n'a pas de véritable lien chronologique et c'est principalement son audace de défier le temps à coup de flash-back qui peut le rendre brouillon ou alors délicat à la première approche. Il faut pour cela se remémorer l'histoire originale de Lee Cheong-joon et trouver ses marques rapidement sous peine de perdre le fil de l'histoire. Car ce qui était traité sur près de deux heures dans l'opus précédent relève ici d'un simple traitement sommaire histoire d'appuyer les bases du contexte, de remettre en avant les personnages principaux (le vieux dessinateur de caractères, le père abusif) sans pour autant négliger la cohérence. On ne trouve pas d'entraînements vocaux, ou alors très peu, et la véritable première image marquante est cette voix rocailleuse que l'on entend au loin, Dong-Ho alors d'âge actuel détourne le regard pour se revoir des années en arrière accompagnant son père et sa soeur au chant. Une image belle et pleine de grâce gestuelle, masquant pourtant les conditions de vie difficiles et l'extrême sévérité du père que Dong-Ho ne tardera pas à se remémorer autour de bouteilles de vin avec son vieil ami retrouvé.
Im Kwon-Taek veut pourtant construire -une nouvelle fois- son récit autour de moments moins graves que son mélodrame original. Et cette gravité quelque peu adoucie est due à l'apparition de personnages bis qui apportent un semblant de renouvellement scénaristique, entre autre avec le personnage de Hong Dan-Sim (chanteuse de Sori de la troupe Pacific Ocean, critiquée et future fiancée de Dong-Ho) ou celui du vieux maître de troupe, au caractère bien trempé. Si cette démarche de renouvellement n'a pas la grâce et l'onctuosité d'avant, elle permet à l'oeuvre en question de s'élargir davantage et de mettre en scène des sous intrigues dynamisant ce qui avait déjà été vu auparavant. On verra alors que le personnage de Hong Dan-Sim est plus roublard qu'on ne pense et sous son maquillage fin et sa voix puissante se cache une fille torturée, incapable d'assumer la passion de Dong-Ho pour sa soeur, et complètement folle depuis la mort accidentelle du fils qu'elle eut avec Dong-Ho, la transformant en loque adepte des jeux et de la fumette. Pour trouver plus de grâce il faut donc chercher du côté du Sori en lui-même et de son interprétation. Il représente un vent de liberté par l'intermédiaire de ses textes amoureux, utopiques et optimistes chantés par Song-Hwa totalement habitée par son personnage aveugle et seul depuis la mort de son père. Im Kwon-Taek trouve alors les mots justes à travers sa narration : le père est décédé en chantant "Les 4 Saisons" le long de la mer, lors d'un couché de soleil, Song-Hwa appartient pendant quelques temps à un vieil homme de soixante-dix ans qui ne souhaite pas posséder son corps, mais sa voix, une voix qu'il voudra écouter jusqu'à ce qu'il ferme les yeux pour de bon. N'est-ce pas beau? Et pour accompagner ces jolis moments de cinéma, le cinéaste soigne sa mise en scène quitte même à paraître vieux jeu et académique au possible : longs panoramas fixes sur la mer, les collines et la Montagne du Dragon, les pétales d'arbre volant au grès du vent, tout contribue à instaurer une atmosphère zen, cette atmosphère qui cache pourtant une dure réalité : instabilité familiale, sollitude et statut social uniquement reconnu grâce au Sori et rien d'autre. On appelle Song-Hwa pour son chant, pas pour ses beaux yeux.
Pourtant dans le fond, Beyond the Years reste très classique. Ce classicisme est sûrement dû à la structure même de l'oeuvre puisque tout part du tête à tête entre Dong-Ho et son vieil ami pour ensuite faire naître un flash black, lequel sera automatiquement dynamisé par un évènement. Et à contrario de La Chanteuse de Pansori, les retrouvailles entre Dong-Ho et sa soeur seront nombreuses, toujours à travers les années (1958, 1969, 1974, 1982...) et se feront par pure coïncidence. Cet aspect très "road-movie" dans l'âme convient bien et les rencontres s'avèrent toujours pinçantes car admirablement épurées et accompagnées par la belle partition de Ryo Kunihiko (lequel n'atteint pourtant pas la superbe de Kim Soo-Chul). Mais si l'oeuvre souffre -logiquement- de sa comparaison avec son aînée, c'est aussi parce qu'il n'atteint pas son degré de perfection. Les larmes ne sont pas aussi douloureuses qu'avant (a force de pousser sa voix dans ses derniers retranchements, Song-Hwa finit par cracher du sang) et relèvent plus du sentiment de bonheur que de l'horreur (en apprenant tout ce que Dong-Ho a fait pour elle, cette dernière lâche une timide larme). Beyond the Years s'axe donc davantage dans le registre du bonheur et de l'accomplissement d'un Art, et trouve une petite place confortable auprès de La Chanteuse de Pansori plus dramatique et surtout plus marquant.
Trop ou pas assez mûr, même Cannes n'en voulait pas.
14 ans après La chanteuse de Pansori, Im Kwon-Taek a réussi à tourner la suite de l'histoire de la chanteuse aveugle et de son frère. Alors que le précédent film était plus centré sur la fille, Across The Years suit le parcours de Dong-Ho, après avoir fuit son père. Ainsi, le voila qui ère au milieu d'une Corée en mutation, participant à une troupe de théâtre, et tentant de rester régulièrement en contact avec sa soeur. Pour ceux qui ont vu La Chanteuse de Pansori, vous auriez vu qu'il s'achève sur la réunion des deux personnages après des années sans le moindre contact. Il découvre ainsi la cécité de sa soeur, provoqué volontairement par son père, soit dans le but de la plonger dans une grande tristesse qui la ferait devenir une grande chanteuse, soit par peur, plus réaliste, de la voir partir comme son frère. Ainsi tout le début de Across the Years reprend la majeure partie de cette histoire, permettant au spectateur d'aborder le film sans avoir vu le précédent. Cependant, toute cette partie fait également un peu bouche-trou, Im Kwon-Taek y mettant tout ce qu'il n'a pas pu insérer dans La Chanteuse de Pansori. A part ça, l'histoire est très bien développé. La relation qu'entretient Dong-Ho avec sa femme et avec sa soeur sont parfaitement compréhensible grâce à un développement clair. Le seul problème est qu'on est très peu ému par ce récit. Autant La Chanteuse de Pansori était particulièrement émouvant, autant ici, tout parait fade et sans profondeur. En outre, Oh Jeong-Hae est toujours impressionnante ; on a vraiment l'impression qu'elle est aveugle et qu'elle ne voit pas la caméra, comme si elle jouait son propre rôle ; toujours à fond dans son personnage, elle ne déborde jamais et il est très aisé de revoir exactement le même personnage qui nous émouvait tant 14 ans avant. De plus, dans la dernière demi-heure, Im Kwon-Taek se fend, dans l'idée de dévoiler certains mystères pesant sur les origine de la chanteuse, de magnifiques paysages tournés sur l'île de Jeju, au sud de la corée.
Ce sont très certainement les plus belles scènes du film, et leur beauté naturelle ferait presque passer les magnifiques plans esthétisant de Printemps, Été, Automne, Hiver... (de Kim Ki-Duk) pour du carton pâte. En outre, notre réalisateur aux 100 films se fend de la participation du London Symphonic Orchestra pour composer une musique discrète mais collant parfaitement au montage ; on sent le savoir faire d'un grand compositeur, qui se lâche dans la musique finale. Bref, Across The Years n'est pas le magnifique et puissant 100ème film de Im Kwon-Taek, mais bénéficie tout de même d'un traitement agréable et d'une actrice très doué dans ce rôle ; on regrettera juste le manque de sincérité dans cette adaptation qui arrive sans doute 10 ans trop tard.
02 septembre 2007
par
Elise
Hymne à la vie
"Beyond the years" est l'œuvre de la vie d'un vrai artiste. Quasiment un film testament, s'il n'y avait cette incroyable vitalité qu'habite IM Kwon Taek malgré son âge élevé et sa passion pour le cinéma, qui le poussera toujours à aller plus dans son œuvre.
Des trois films consacrés à l'art du pansori (en plus de "La chanteuse de Pansori" et "Le Chant de la fidèle Chunhyang"), "Beyond the years" n'est certainement pas le meilleur; mais il constitue un passionnant complément dans ce qui semble une véritable obsession de l'artiste et n'en devient que plus louable dans sa démarche personnelle.
Il n'y a qu'à voir l'énergie dépensée à monter le projet. En préparation depuis 2003, IM a dû se battre contre vents et marées pour trouver les fonds nécessaires au tournage et de convaincre des acteurs à participer à un projet très loin des habituelles voies commerciales (donc de peu d'intérêt pour des nombreux "vedettes" contemporaines). A quelques jours du début du tournage initialement prévu au mois de décembre 2004, les studios Taehung Pictures se retirent brusquement, mettant un terme abrupt à une relation longue de 17 ans. IM ne se laissera pas décourager pour autant, réunira finalement les fonds nécessaires pour débuter le tournage au printemps 2005, terminer en hiver 2006 et finir de monter en début 2007.
Un projet de cœur, qui est l'aboutissement d'une passion longue de 45 ans.
Car c'est en 1962, qu'IM succombe pour la première fois à la beauté indescriptible du chant "pansori". Invité à la maison de son premier producteur à la suite du succès de son premier film, "Farewell to Tuman River" (1962), il assiste à un concert privé d'un gisaeng. Littéralement envoûté par cette musique, il va intégrer le chant à des nombreux films tournés par ses soins, à commencer par son quatrième, "For my husband" dès 1963.
L'idée d'adapter la nouvelle "Sopyonje" sur grand écran lui vient dès la fin des années 1970; mais dans une période extrêmement difficile pour le cinéma coréen et en l'absence d'artistes capables d'assurer les chants si particuliers, il est obligé de renoncer momentanément à ses intentions; mais son envie devient rapidement une obsession. Son projet de cœur deviendra finalement réalité au début des années 1990 et après avoir découvert la talentueuse Oh Jung-hye à un festival dédié aux chansons pansori.
Malgré l'académisme d'un sujet plus du tout au goût du (jeune) public, "Sopyonje" deviendra un véritable phénomène de société et l'un des films coréens les plus vus de tous les temps. IM a su toucher le nerf d'une société en plein renouveau et rappeler à leur souvenir un héritage culturel unique en Asie. "Chunhyang" se voulait la réponse à "Sopyonje". Alors qu'IM apprenait encore à s'approprier le pansori, "Chunhyang" se voulait l'incarnation parfaite de cet Art. La structure narrative adopte celle d'un chant pansori et le rythme du montage est calqué sur celui de la musique. Il mettra quatre mois à réaliser la seule scène durant laquelle Mong-ryong ordonne à Bang-ja de révéler ses véritables sentiments pour Chunhyang; chaque plan de cette séquence a été filmée avec un objectif différent pour refléter les différents tons/sentiments exprimés à l'intérieur de cette scène. Ou lorsque le cinéma devient un véritable Art.
Telles les chansons pansori se terminant par un retour à la source (retour à son premier amour; revenir à ses origines; retourner dans sa demeure familiale), IM revient une nouvelle fois à son Art préféré à l'occasion d'un événement forcément symbolique: l'occasion de son centième film. Il veut s'approprier une nouvelle fois l'histoire de "Sopyonje" en proposant une relecture fidèle à sa première version – mais en différent. Il dit vouloir exprimer un sentiment d'amour…et de retrouver un "temps perdu". Mettre en parallèle le passé et le présent.
Jamais cette notion du Temps n'aura finalement été aussi présente dans son œuvre. Se jouant une nouvelle fois des structures temporelles (comme l'évocation des souvenirs à l'intérieur d'une chanson pansori), il semble également évoquer le temps nécessaire à produire sur grand écran sa VRAIE passion (le pansori). Il y a comme un parfum nostalgique tout au long de l'histoire. Tout comme les regrets du "frère" à (re-)trouver sa sœur, le temps file et les choses changent. IM, homme proche de la Nature, arrive merveilleusement à traduire ce sentiment par le changement des paysages – jusque dans un ultime plan de toute beauté.
Alors, si effectivement l'enchantement éprouvé à la vision des deux premiers films s'est quelque peu émoussé sus l'effet de la répétition et si l'acteur principal ne peut (sup)porter l'entier poids de l'importance de son rôle sur ses seules épaules. Si son histoire est en définitive moins dramatique, que celle de la "chanteuse de pansori" – il n'en demeure pas moins, qu'il s'agit là d'une fin (provisoire?) toute logique de l'histoire d'un homme courant éternellement derrière sa profonde passion pour un art, qui aura été sa seule raison de vivre.
(A lire: "IM Kwon-taek" par Chung Sung-ill dan sla collection des "Korean Film Directors" publiée par la KOFIC, dont la couv' est reproduite au sein de cet article).