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L' Etranger à l'intérieur d'une femme
les avis de Cinemasie
2 critiques: 3.75/5
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6 critiques: 3.71/5
Entre polar et mélodrame cruel, un formidable Naruse
Avant-dernier film de Naruse, projet singulier car en décalage avec ses précédentes oeuvres, l'une des rares incursions de Naruse dans le film policier, numéros d'acteurs déprimants mais superbes, L'Etranger à l'intérieur d'une femme est une très grande réussite à la fois du polar et du mélodrame japonais. Plutôt inclassable, le film nous renvoie semble t-il à plusieurs époques du cinéma nippon : il y a d'abord ce parfum de polar enfermé, à huit clos, que l'on pourrait ressentir chez un Kurosawa dans sa veine sombre. Il y a ensuite cette couleur locale, c'est à dire ces salarymen fatigués par leur travail, la femme soucieuse de la bonne santé du couple, les enfants en short qui sont le reflet d'une génération insouciante et naïve face au malheur qu'est entrain de vivre le couple. On trouve aussi des propos proches du cinéma de la Nouvelle Vague : la difficulté d'outrepasser les barrières d'un terrible secret, le choix du silence, de la cachotterie même face à son meilleur ami. Car l'histoire de L'Etranger à l'intérieur d'une femme tourne autour d'un secret. Naruse découpe son film en trois parties distinctes, donnant ainsi au spectateur la possibilité de suivre le récit sans aucune difficulté : le premier tiers est du polar ce qu'il y a de plus classique. Cette famille propre sur elle, une terrible nouvelle, un cadavre puis l'enquête menée par deux commissaires de police qu'on ne connaît pas et que l'on ne connaîtra pas par la suite, les propos du film allant bien plus loin que ceux d'une simple enquête policière à la Hitchcock. Le deuxième tiers se concentre quant à lui sur la découverte du tueur, un choix narratif loin d'être mauvais, car même si l'on connaît l'identité du criminel et la fatalité de l'histoire dès la première demi-heure, la suite demeure particulièrement passionnante, là où un Iñarritu ne tient pas le spectateur en haleine jusqu'au bout en usant des procédés parfois similaires. Cette "seconde partie" sert ainsi de passerelle entre le polar et le mélodrame, le film s'axant véritablement sur l'échange entre Tashiro et sa femme suite aux aveux de ce premier. Naruse revient d'ailleurs à une forme plus classique, bien aidée par de jolies séquences en plein air, des ballades au premier abord sentimentales, classiques chez Naruse, mais qui cachent un véritable mal-être. Noir et blanc, à l'image du tournage du film : lorsque le couple semble nager dans le bonheur, une mauvaise nouvelle débarque et plombe l'ambiance. Ce procédé est répété, de mémoire, trois fois, véritable alternance de noir et de blanc.
Enfin, la dernière partie est consacrée aux échos des aveux de Tashiro et à la dégradation du couple condamné à garder un secret : quid des répercutions? L'emprisonnement donc l'abandon d'une femme et de deux adorables enfants? La tristesse infinie d'une vieille mère? La perte d'un ami cher? Naruse brosse ces différents thèmes avec une roublardise de "grand" : si la forme est académique au possible, sans être un "Naruse académique" dit comme tel, le cinéaste adaptant de nouveau son filmage avec le format utilisé, elle est cohérente jusqu'au bout, sans gros effets de style que l'on pourrait trouver à cette époque dans des oeuvres expérimentales Influencées par la Nouvelle Vague française Godard et consort. Tout juste pourrait-on trouver le choix des scènes en "relief" un peu esbroufant sans qu'elles ne desservent le propos. La mise en scène est retenue, à l'image de l'interprétation de Mihashi Tatsuya. A côté, Aratama Michiyo livre une prestation superbe et pleine de souffle face à la rage et le malaise intérieur du pourtant très pop Kobayashi Keiju. L'utilisation du score est aussi intéressante, alternant les pistes que l'on est en droit d'attendre d'un polar et les élans quasi larmoyants lors des séquences dramatiques. Dans un style presque minimaliste mais pourtant très travaillé (montage impeccable, tension qui va crescendo), Naruse multiplie les contrastes, comme lorsqu'une discussion très grave porte en toile de fond une bande de jeunes entrain de danser sur du rock'n roll ou alors lorsque le plaisir extrême débouche sur la mort.
Tempête sous un crâne
Etonnant de retrouver le style et les habituels protagonistes de Naruse (Michiyo Aratama, en épouse traditionnelle, Keiju Kobayashi, en père de famille modèle) dans ce film qui commence comme un thriller. Notre bon père de famille avait une liaison avec la femme (très sexy) de son meilleur ami. Un jeu amoureux (ou une volonté inconsciente?) ont conduit à l'assassinat par strangulation de la jeune fille. Notre héros n'est pas soupçonné mais ne tarde pas à avoir de redoutables problèmes de conscience. Va-t-il garder le silence, se livrer, se suicider ? Tel est le sujet.
Le film est assez bancal : un prologue criminel passionant, un corps du récit centré sur les états d'âme de notre héros (et son couple), une conclusion fulgurante qui revient vers le motif criminel de départ. On voit bien que c'est le contraste entre la tâche du crime et l'environnement idyllique de la famille et du travail qui a intéressé Naruse. A sa manière unique, par petites touches, il a le génie de la peinture d'une petite famille ordinaire (les deux enfants sont géniaux et utilisés à bon escient, la grand-mère idem) ou d'une entreprise (ici, la maison d'édition du criminel). Le gros de l'oeuvre reste cependant (comme l'indique le titre) la lutte que va mener son épouse pour sauver notre criminel de ses démons psychologiques : étonnant face à face, qui reste en mémoire. L'ensemble reste tout de même assez mineur, je trouve, dans la filmographie de Naruse.
NB : lors de la rétrospective Naruse à la MCJP de Paris, le film a été présenté sous le nom de "L'étau".
"Le remords, c'est le crime enfoncé dans l'âme, qui s'oxyde"
Sous ses faux airs de polar à papa, cet antépénultième opus de Naruse est un saisissant drame sur le remords et le sentiment de culpabilité, aux interprètes fabuleux et à la mise en scène au cordeau. Il s'agit sans nul doute d'un des films les plus accessibles de son auteur dans la mesure où le sujet se prête à un certain suspense et à un grand nombre de rebondissements – d'ordre avant tout psychologique – peu coutumiers de l'univers narusien. On retrouve bel et bien cette ambiance fiévreuse, voire asphyxiante de
Nuages Flottants,
mais l'amertume et la passion brûlante ont ici laissé place à la honte et l'angoisse, qui creusent un gouffre abominable dans l'existence du personnage principal. Keiju Kobayashi est extraordinaire de sobriété et de véracité dans un rôle ingrat et difficile qui figure parmi les meilleures prestations de ce comédien trop souvent relégué aux seconds couteaux. En femme et en ami (trop) dévoués, Michiyo Aratama et Tatsuya Mihashi lui donnent remarquablement la réplique tandis que la créature de rêve Akiko Wakabayashi intervient au cours des scènes les plus intenses du film. Point de bacchanales dans cet
Étranger à l'intérieur d'une Femme: les rares moments de sérénité (balade au bord d'une rivière, volonté de rédemption de Kobayashi vers la fin) sont immédiatement suivis par des événements tragiques (retour sur des aveux mensongers, préparation d'empoisonnement filmée avec le même degré d'horreur naturaliste que dans certains Von Stroheim) qui éclipsent la moindre lueur d'optimisme et le fascinant score signé Hikaru Hayashi de recouvrer ses tonalités sombres et mélancoliques après un ou deux thèmes guillerets. Un diamant noir, de ce noir implacable et infini où le salut n'a plus lieu d'être.