Autopsie d’une vie brisée
La révélation de ce film est incontestablement l’actrice Yan Bingyan. Frêle bimbo habillée mode sur l’estrade du CID de Deauville, elle campe paradoxalement un vrai garçon manqué dans la 1ère partie de ce Teeth of Love avant d’être touchée par l’amour, par la mort, et de devenir une femme à part entière, assumant ses responsabilités d’amante et de mère. Interprétation remarquable, visage marquant, palette de sentiments large, voici un nom à retenir.
Mais le nom de Zhuang Yuxin est également à noter sur ses tablettes. Pour son 1er film, il dresse un portrait douloureux d’une femme chinoise entre 1977 et 1987 dont la vie est bouleversée par les rencontres amoureuses et, en filigrane, par le régime autoritaire de l’époque. Son personnage féminin est d’abord embrigadé mentalement par les jeunesses communistes à l’école et rejette violemment tout ce qui sort de la norme, à commencer par cette jeune fille accusée d’être facile et par ce jeune garçon qui la défend. Mais l’amour platonique qu’elle va rencontrer transcende sa façon de raisonner et la fait basculer dans l’interdit, dans le tabou, en dehors de la pensée unique officielle : elle ne gardera comme amie de lycée que celle qu’elle a si brutalement combattue, elle entretiendra une relation sulfureuse avec un homme marié, avant de payer ses choix au travers d’un avortement inhumain et d’un mariage arrangé calamiteux.
Si la dénonciation du régime communiste n’est jamais frontale, elle se fait pourtant d’une autre manière en insinuant que le pouvoir central a influencé la vie de l’héroine d’une manière sous-jacente, indirecte, pour mieux la soumettre. Dans la lignée de Shanghai dreams ou Dam Street, Teeth of Love est un film intéressant sur une période sombre de l’Histoire chinoise.
Three times...Three extremes...
L'originalité de Teeth of love, au passage excellent, c'est de donner cette impression de forte cohérence entre les trois histoires d'amour, comme si elles se suivaient gentiment sans gros espaces, alors qu'elles se déroulent sur dix ans de 1977 à 1987, période de bouleversement en Chine continentale (et dix après, rétrocession de HongKong, le trio gagnant). Trois époques bien différentes, où l'on découvre Quian Yehong, demoiselle au fort tempérament membre d'un pseudo clan improvisé où les filles font reigner la terreur dans une école très stricte. Son personnage, fort mais humain, n'ose pas avouer son amour pour un jeune homme qu'elle terrifie jusqu'à passer aux menaces physiques. Plusieurs années passent, Quian est alors étudiante dans une université de médecine et réalise un stage dans un hôpital, endroit où elle rencontre un homme mûr qui lui fait des avances plus ou moins douteuses, pour finalement tomber amoureux l'un et l'autre alors que ce dernier mène déjà une vie de famille. Les années passent et Quian se retrouve ouvrière dans une usine de découpe de viandes des suites d'une affaire suspecte où elle dût avorter illégalement avec la collaboration de l'homme qu'elle côtoya, ce dernier, conscient de sa situation professionnelle, nia toute responsabilité dans cet avortement en accusant fermement Quian, alors renvoyée de son université en guise de punition. Ils décident de se quitter, logiquement. Enfin, en quête de retrouver une situation descente, Quian retourne à Pékin, la ville où elle passa son enfance et adolescence. Elle y retrouvera une ennemie puis amie d'école qui l'aidera dans sa démarche de trouver l'âme soeur. Teeth of love nous raconte tout simplement l'histoire de Quian.
Zhaung Yuxin, réalisateur peu expérimenté, dévoile avec Teeth of love sa maîtrise de l'espace temps et la cohérence qui en découle. De plus, ce dernier réussit à démontrer par l'intermédiaire des bouleversements économiques du pays au cours de ces dix années le destin pas commode d'une femme qui se cherche et qui visiblement ne trouve pas l'âme soeur. Son dernier ami en date, un cadre dynamique pas très attirant et à la dentition originale (d'où le titre) témoigne de son amour envers Quian alors que cette dernière semble s'être marié avec lui dans le simple but de fonder une famille, un peu comme tout le monde, et de se sentir là aussi comme tout le monde. Recherche d'identité, contexte économique et politique cruel (punitions infligées par le gouvernement à cause d'un avortement, conditions de travail précaires d'une usine de découpe de viandes, mari muté à divers endroits...), voilà ce qui ressort de Teeth of love, oeuvre globalement réussie et bien interprétée par une Yan Bigyang extrêmement convaincante dans la peau d'une femme sensible. Mise en scène sans pépins, séquences touchantes à la pelle, on ressort de la projection avec le sentiment d'avoir eu à faire à un film complet et maîtrisé. Un cinéaste en devenir, à condition d'éviter les écueils surmontables du film dramatique et larmoyant de base.