Malaise ? Sûrement, et de manière involontaire. The Sun Also Rises est un film malade, contagieux et particulièrement déstabilisant pour quiconque habitué au cinéma populaire chinois plus ou moins récent, lacrymal ou évitant d’une quelconque manière toute forme de prises de risque. Jiang Wen s’en fiche éperdument et bouscule la donne par son récit d’une grande intelligence à la fois narrative et visuelle, mais qui donne cette désagréable sensation de transporter le spectateur où il le désire tout en s’en fichant éperdument. Ainsi, si le film démarre dans un cadre d’une grande beauté visuelle, naturelle au possible, il passe à un cadre étriqué et poisseux (l’hôpital, lors du second acte, et ses éclairages glauques), puis s’ouvre une nouvelle fois vers la nature dans une forêt tantôt illuminée (les parties de chasse, gonflantes) tantôt brumeuse (après l’adultère de la femme de Tang), comme si le cinéaste voulait à la fois faire passer l’inquiétude aussi bien sur le plan écrit que visuel. Toutes les émotions et les caractères changeants de l’œuvre sont immédiatement retranscrits par le biais de sa caméra : plans larges à la pelle, couleurs vives, scope sur épaule, grands angles en veux tu en voilà, mise en scène alarmante car le film l’est aussi (logique, donc), travail sur la lumière grandiose, montage d’une rapidité confondante. Bienvenue chez les fous.
Mais toute cette vitalité, cet esprit festif, cette volonté de fendre le rythme peut laisser le spectateur sur la touche : l’interminable dialogue entre Lin et Liang dans la chambre d’hôpital est aussi fatiguant visuellement (gros plans à la pelle, lumière de dehors clignotante) que d’un intérêt scénaristique limite, le personnage blasé d’Anthony Wong n’aidant pas non plus de ce côté-là, ensuite tout est une question de goût, mais le matraquage d’éléments que l’on retrouve régulièrement (le son de la trompette de Tang, insupportable, les parties de chasse, le séquences comiques d’un goût douteux) finit par fatiguer. Il manque une stabilité, un lien plus fort entre les trois (voir quatre) parties, une osmose générale. The Sun Also Rises marquera d’ailleurs sûrement pour ses audaces de style plutôt que pour son intérêt intrinsèque : le film est bien cadré, c’est une évidence, comme il est tout aussi bien monté. La musique de Hisaishi Joe est parfois superbe malgré quelques passages à vide sérieux. Mais dans l’ensemble, il faudra faire preuve de motivation pour se sentir concerné par ce qui se dit et s’y passe : la « mère » du début casse des assiettes par terre, c’est rigolo, et alors ? Liang finit pendu et alors ? Le « fils » aime la femme de Tang, et alors ? Ne pas intéresser le spectateur est sûrement la pire chose qui peut arriver à un cinéaste qui n’a plus rien à prouver aussi bien devant que derrière la caméra. On ne rechignera pas devant la belle poésie formelle d’ensemble, ses quelques élans furieux d’une noirceur redoutable (la fête nocturne en fin de métrage) mais quel dommage de se demander où le réalisateur a voulu en venir durant ces deux longues heures.
Le Soleil se lève aussi se présente sous forme d'un patchwork iconoclaste de plusieurs histoires emboitées l'une après l'autre, possédant plus ou moins de liens entre elles, et formant au final un ensemble certes bon techniquement mais vain dans sa globalité.
La réalisation comme la direction d'acteurs tirent clairement le film vers le haut, seulement cette succession de sketchs serait 100 fois plus digeste en moyens métrages qu'en un long qui se veut non-sensique et qui donne surtout une sensation bordélique, poussive, assez fatigante.Une jolie et intéressante déception.
Incompréhensible
Un tandem Jiang Wen / Joe Hisaishi, sur le papier, ça avait de quoi exciter : l’acteur-réalisateur chinois avait signé en 2000 l’un des films asiatiques les plus importants de la décennie (Les démons à ma porte), faisant preuve d’un talent tant visuel que narratif inouï doublé d’un parti pris politique jubilatoire ; quant au compositeur, on ne le présente plus.
La déception est bien sûr à la hauteur des espérances et des exigences naturelles de tout cinéphile envers Jiang Wen. Le principal reproche ? Le film est incompréhensible. Bouillonnant, inventif par moments, mais totalement décousu, tel un grand bazar où l’on aurait entassé tout et n’importe quoi sans aucun souci de cohérence scénaristique ou thématique. J’apprécie pourtant les intrigues à tiroir type Lynch, mais Le soleil se lève aussi semble si brouillon et sans queue ni tête que tout effort intellectuel pour tenter de raccrocher les morceaux laisse les bras ballants.
L’impression de coquille vide est d’autant plus ressentie qu’il n’y a ici plus aucune dimension politique (et donc polémique) qui faisait la force de son précédent métrage. L’histoire se déroule pourtant aux environs de la mort de Mao (septembre 1976), augurant un des plus radicaux changements de cap idéologiques de l’empire du milieu, passant d’un communisme qui a échoué sur toute la ligne à un capitalisme autoritaire. Or, mis à part de rares évocations en filigrane (« c’est pour la communauté, tu as un point »), c’est le désert.
Insupportable
Tout cela ne serait rien si le film n’était pas de surcroît insupportable de bout en bout. Dès les premières images et ce ballet indigeste mettant en scène un arbre, une folle avec des chaussons rouges et un perroquet numérique immonde qui crie « je sais, je sais », j’ai failli me lever de mon siège et quitter
Dans l’affaire, on a oublié Hisaishi : prestation passable, peu inspirée, bruyante au début, discrète la plupart du temps. On a aussi oublié les acteurs : noyés par un montage écœurant digne d’un Jean-Marie Poiré, ils font pâle figure dans ce naufrage collectif.
Car oui, c’est un naufrage. L’un des plus énormes ratages de ces dernières années. N'est pas Kusturica qui veut !