Ordell Robbie | 4 | Le savoir faire shomingeki en bon pilotage automatique. |
Xavier Chanoine | 4 | Amours croisés et routine. |
Pourquoi Pluie soudaine est-il si beau et si plaisant à suivre? Parce que Naruse Mikio aime les femmes et qu’il les sublime à chaque instant? Parce que Hara Setsuko est l'une des légendes féminines du cinéma japonais classique? Pour beaucoup de raisons à vrai dire, d'autant plus qu'à l'image du Repas réalisé cinq ans avant, Naruse développe à nouveau les hauts et les bas d'un couple en perte de repères, se noyant de plus en plus dans une désagréable routine. On parle de routine puisque le quotidien des protagonistes est un vrai tour de manège : le mari rentre du travail et les premiers mots à sa femme sont "qu'est-ce qu'on mange?", suivi de remarques pas très gentilles "ton riz est trop sec" lors de merveilleuses scènes gavées de sous-entendus.
Cette Pluie soudaine est un film majeur de Naruse Mikio hélas trop méconnu dans nos contrées pour d'obscures raisons. Majeur dans sa construction, allant de la simple chronique sociale (la condition de la femme à l'époque) à une autre évoquant des amours croisés entre deux ménages. Le couple Fumiko (Hara Setsuko) et Ryôtarô (Kobayashi Keiju) ne va en effet pas très bien et cela attise la curiosité de leurs voisins. Le mari passe son temps à reluquer les moindres faits et gestes de Fumiko, use et abuse de prétextes pour se retrouver devant elle (lieu de scénettes irrésistibles) tandis que dans le sens inverse, Ryôtarô décide un soir d'inviter sa voisine au cinéma. On parle alors ici d'amours croisés puisque dans tous les cas les couples ne vont pas bien, en résulte alors un effet miroir. Cet effet miroir est d'avantage visible au fur et à mesure que le film progresse. Fumiko est la boniche de service tandis que sa voisine passe son temps à ne rien faire. Ryôtarô baille tandis que son voisin est aux ordres de sa femme qu'il n'aime plus. Deux couples, deux situations diamétralement opposées mais qui finiront par se croiser pour les raisons évoquées précédemment. Naruse Mikio étonne par son sens de l'analyse d'un couple, en y montrant d'un côté une femme "soumise" comme il était coutume à l'époque et de l'autre une véritable peste, cette peste représenterait-elle le condensé d'une révolution féminine?
Naruse étonne encore plus lorsqu'il allège son récit en le parsemant de touches d'humour bienvenues, tour à tour cocasses et jouant sur les petites phrases rigolotes (comme les recettes de cuisine, les nombreux potins que se racontent les femmes, le ridicule non assumé de Ryôtarô, etc...). Il sait aussi proposer un contenu dramatique (le couple présenté est tout de même en crise), mais immédiatement rehaussé par une ambiance qui vire au bon enfant, comme cette sidérante scène de fin où Fumiko et Ryôtarô entament une partie de ballon. Une scène d'une beauté remarquable soutenue par une partition au piano généreuse et très présente, forte en nuances selon les situations (notes appuyées pour évoquer la colère). Au final, Pluie soudaine est une brillante chronique sur l'homme et la femme, tous finalement réduits au même pieds d'égalité, plutôt loin de l'hommage ultime que rendra Naruse Mikio à la femme dans Coeur d'épouse.
Esthétique : 4/5 - Belle utilisation du décor, des beaux visages, une belle lumière... Musique : 3/5 – Etonnement présente, elle soutient les passages les plus virulents. Interprétation : 4.75/5 - Un casting absolument incroyable pour une interprétation exemplaire. Scénario : 4.25/5 - Des hauts, des bas, mais aussi d'innombrables sourires.