Xavier Chanoine | 3.75 | Un Suzuki fendard, mélodramatique et bagarreur. L'essentiel? |
Si les nouvelles aventures d'Akutarô (personnage fictif) n'ont clairement rien à voir avec celles déjà étudiées par Suzuki (Akutarô l'impénitent réalisé en 61), elles n'en demeurent pas moins maîtrisées de bout en bout, à l'heure d'un style décomplexé et déconneur de première manié par un cinéaste alors en pleine possession de ses moyens. Cet "Akutarô" de son nom Suzuki est donc joué par l'infatigable Wada Koji, l'un des acteurs attitrés de Suzuki, avec Kobayashi Akira et Shishido Jo, et incarne à lui seul la jeunesse hésitante ou alors trop repliée sur elle-même d'où cette mise en avant de la timidité (inoubliable séquence du bain avec la géniale Nogawa Yumiko). Pourtant, cette timidité contraste grandement avec le caractère totalitaire du personnage de Wada Koji, lequel prendra le dessus sur ses compagnons d'école des suites d'une bagarre avec l'un des responsables de l'autorité. Et cette confrontation des caractères propres à chaque personnage rend l'action inépuisable, et l'on peut s'avancer sur le fait que La mauvaise étoile d'Akutarô est l'un des films les plus hystériques de son auteur. La confrontation des comportements est aussi d'ordre social puisque les paysans (que l'on croirait sortis tout droit des plaines du Texas, avec leur chapeau de cow-boy et leurs vaches) semblent être considérés comme de véritables arriérés, n'hésitant pas à battre leur femme (même si l'ironie est parfaitement de mise) et même lorsqu'ils sont une vingtaine de se planquer devant un yakuza maigrelet et grande gueule.
Les yakuzas de leur côté en prennent aussi pour leur grade puisque le seul vrai yakuza n'est qu'un vulgaire sabreur maigrichon, ridiculisé par Suzuki. La ridiculisation ne s'arrête pas là puisque les élèves "supérieurs" sont purement et simplement comparés à des coqs, notamment lorsque ces derniers s'affrontent dans un combat de Kendo qui dégénère. La juxtaposition du combat de coq et du Kendo renvoie donc à la simple rétrogradation d'homme à animal. Cet aspect décontracté et surtout humoristique renvoie aux meilleurs Suzuki de la période des sixties, et bien qu'il ne soit pas l'un des plus inoubliables de son auteur, sa grande fraîcheur prend la tangente sur d'autres oeuvres plus "sérieuses" mais bien plus laborieuses et pénibles à suivre, L'appel du sang en tête. En revanche d'un point de vu formel, ce second Akutarô est réussi. Filmé dans un Nikkatsu Scope noir et blanc, Suzuki use de ses travellings "navettes" de gauche à droite pour pointer l'action et la soutenir encore davantage, d'où une simple querelle entre paysans qui peut se transformer en séquence épique à souhait. La balance pleine de justesse entre le mélodrame typique signé Suzuki et le parti pris déconne fonctionne donc à merveille puisque Suzuki-san sera confronté à un choix délicat : se rallier à une jeune femme de bonne famille (avec les valeurs et traditions pénibles à suivre) ou à une autre particulièrement extravagante, facile et peut-être manipulatrice?
Quelques mots de Suzuki:
"Dans la dernière scène, la lycéenne enterre une bouteille de lait avec son insigne dedans. Dans le cinéma, il faut du sentimentalisme. Sans lui, rien n'est possible, surtout à cette époque. C'est un élément indissociable du cinéma." ©Propos recueillis par Isoda Tsutomu