Kore’Eda est un auteur singulier, à la signature personnelle qui en fait un gage de qualité dans une production nippone actuelle quelque peu morose. Depuis After Life jusqu’à Nobody Knows, le cinéaste aura touché à différents genres qui auront fait sa reconnaissance grâce à un style et un univers particuliers. Il semble en revanche que ses deux derniers films aient changé la donne, comme si les prises de position avaient été mises de côté pour davantage se focaliser sur le concret, le palpable, l’authentique sans forcer le trait à une époque où l’on allait chercher le cinéma social nippon comme excuse pour passer 2h devant quelque chose de narrativement intéressant, exotique, car « typiquement japonais » comme dirait l’autre. Kore’Eda oublie un peu cette idée-là avec Still Walking, film sur les retrouvailles et tensions familiales étalées sur 24 heures. Tout comme les œuvres de vieillesse d’un Shindo Kaneto ou d’un Yamada Yoji pour ne citer qu’eux, il est ici question d’une chronique qui ne bouleversera pas le cinéma mais qui fait preuve de vraies qualités sur le plan de la structure, classique mais propre, et de l’interprétation sonnant parfaitement juste. Le film se repose d’ailleurs intégralement sur le naturel des protagonistes, des situations, des rancœurs que les plus vieux tentent de cacher malgré leur sécheresse. Il est ici question des retrouvailles annuelles de Ryota et sa sœur, tous deux conviés avec leur épouse et époux respectifs à venir passer un moment chez leurs parents. L’occasion pour tous d’avoir une pensée pour leur fils décédé accidentellement il y a quelques années. Le décès de ce dernier a d’ailleurs provoqué un traumatisme chez le père qui voyait en lui l’homme idéal pour reprendre le flambeau de médecin, chose que n’aura pas suivi Ryota, préférant vaquer à ses occupations de restaurateur d’œuvres. Il est donc intéressant de voir comment Kore’Eda s’en sort pour autopsier cette famille japonaise aux valeurs à l’ancienne : le père renie presque son fils car il n’a pas pu poursuivre sa passion, une passion encore visible par l’intermédiaire de séquences où, enfermé dans son cabinet, ce dernier reçoit encore des coups de fils de ses voisins en cas de malaise bien qu'il ne soit plus capable d'éxercer sa fonction. Il aimerait rester le grand médecin qu'il était. Le cas de la mère est à peu près similaire puisque cette dernière ne semble pas tout à fait accepter le fait que son fils soit avec une femme visiblement divorcée, tout comme elle semble renier l’appartenance du beau-fils de Ryota au sein de la famille.
Comme quoi une chronique simple d’une famille en apparence simple peut cacher un malaise, l’art des non-dits dans le cinéma japonais. Mais puisque l’évènement est de prier le décès d’un des fils, il n’est pas question de mauvais fond ni de larmes douloureuses. Still Walking c’est le rassemblement de gens simples autour d’une table, partageant les histoires de tous les jours, s’étonnant que les enfants grandissent si vite. Le cinéaste joue même sur le conflit des générations opposant le vieillard, le sage, face à la naïveté des enfants, un peu comme lorsque Yamada Yoji montre la vieillesse sous un jour certes peu reluisant mais très souvent humain. A croire que Kore’Eda a déjà réalisé son film de la grande maturité avec Still Walking, alors qu’il a encore de grands jours devant lui. Les thématiques des âges sont aussi bien traitées par le cinéaste qui sait filmer l’enfance avec un regard d’une belle douceur, n’apposant aucun jugement sur qui que ce soit via son objectif, seulement des constats et des petites idées pour tenter d’améliorer ce qui peut l’être. Le film baigne dans une ambiance de nostalgie par moment, notamment lors d’une séquence où une partie de la famille se retrouve à diner le soir (et au spectateur de sentir que les langues se délient au fur et à mesure que la nuit passe) en écoutant une ballade romantique des années 70 où l’on peut entendre les « aruitemo aruitemo » dont le titre du film est tiré. Toujours niveau musique, le célèbre duo de guitaristes nippons des années 80, GONTITI, signe une nouvelle fois la bande-son du film en apportant le nécessaire de calme et de sagesse pour un tel évènement. Si au final Still Walking dispose de vraies qualités et d’une retenue typique du cinéma « d’auteur » nippon, il n’apporte pas grand-chose au genre malgré de sérieux atouts : un sens du cadre parfait, une retenue dans l’interprétation, un caméo de Susumu Terajima en livreur de sushis et une discussion hilarante autour de grands sumotoris. Certes, on en rajoute un peu ici. Mais disons que ces éléments ne pèsent pas bien lourd pour quiconque ayant déjà eu affaire de nombreuses fois à une chronique de cet acabit. Reste que l’occidental moyen désireux de découvrir « comment ça se passe là-bas » dans les réunions de famille pourra y trouver un certain intérêt, au pire une curiosité. Enfin, on se demande encore qu'est-ce qui a bien pu attirer les distributeurs pour exploiter un tel film en France sachant que Kabei : Our Mother plus sublime et clairement plus profond encore, s'est vu retirer l'accès aux salles françaises.