N'apporte pas grand chose à ce qu'on sait déjà
May 18 est la volonté, voire le besoin coréen de donner une image chronologique et la plus exhaustive possible des événements qui se sont produits à Kwangju pendant ces quelques jours ayant résultés sur la mort de plus de 200 personnes (et un nombre incalculable de blessés). Ainsi, le film débute sur les premières manifestations du 18 mai, et finit sur la prise de l'hôtel de ville par l'armée 7 jours plus tard. Et évidemment, comme c'est la mode depuis un moment en Corée, repris d'une mode vieille de plus de 10 ans aux États-Unis, il s'agit ici de suivre une poignée de personne dans leur destin tragique, passant à coté de plein de choses, et notamment du "pourquoi il y a une manifestation et pourquoi l'armée est-elle intervenue ?". Évidemment, le film ayant pour cible les Coréens eux-mêmes, il est inutile de leur expliquer ce qu'ils savent déjà, mais d'un autre coté, le coté humain de l'événement a été rabaché maintes fois au cinéma. La petite fille perdue au milieu du désastre dans
A Petal ; l'ancien soldat dépressif dans
Peppermint Candy ; l'étudiant militant dans
Le Vieux jardin. Bref, tout y passe coté humain, donc où est l'intérêt de montrer des gens qui ont le profil type cinématographique des personnages qui vont mourir. Et du combat militant, tout ce qu'on voit, c'est "À bas Cheon Du-Hwan !!" ; bien, mais encore ? Bref, le pari est tout de même réussi puisque le film a fait ce qu'il cherchait à faire : faire pleurer les jeunes Coréens qui se sont rués en masse l'été dernier pour aller voir ce film tant attendu, puisque tous les films qui touchent à l'histoire contemporaine et traumatisante de la Corée remportent un énorme succès, quelque soit la qualité du film, si on sait tirer sur la bonne corde (
Silmido,
Taegukgi, pour ne citer qu'eux) ; il n'y a vraiment que Im Sang-Soo qui s'est trompé de corde avec
The President's Last Bang et pourtant son film est bien plus réussi et honnête que ceux précédemment cités.
Il y a tout de même un point qui est intéressant à noter, mais qui malheureusement est totalement survolé pendant le film et ne ressort qu'à la toute fin dans le traditionnel épilogue des films historiques : "mais qui a ordonné de tirer ?" C'est vrai ça, qui ? Je connaissais bien l'histoire de Kwangju, et je n'avais pourtant jamais entendu parler de cette histoire, et c'est vraiment la partie la plus intéressante puisque finalement la moins discutée dans le reste de la filmographie sur Kwangju. Au deuxième jour de la manifestation, après de gros heurts (sans arme à feu mais qui font tout de même quelques morts), la population a commencé à s'allier avec les manifestants, et les militaires sur place sont alors en sous-nombre. Manifestement le commandemant programme un retrait des troupes, mais au moment où ils sont censés se retirer, ils tirent sur les manifestants, sans ultimatum. Le truc le plus surprenant, c'est que même dans les réunions de commandemant de l'armée (qui sont nombreuses dans le film), personne ne pose la question, comme si c'était évident et que tout le monde savait ou se doutait bien sans vouloir en parler. Voilà donc un sujet qui pourrait être intéressant de discuter au sujet de Kwangju, plutôt que le nombre exact de morts ou de blessés.
Formellement, c'est léché et académique, comme toute grosse production coréenne. Des ralentis vraiment pas nécessaire sont mis à tout bout de champs pour renforcer le coté dramatique, sans parler de la musique qui gueule plus fort que les coups de feu. On remarquera le premier plan du film sur le visage radieux de Kim Sang-Gyeong, qui donne l'air que tout va bien dans le meilleur des monde, comme si le pays n'était pas sécoué depuis des mois par les manifestations, voire des révoltes étudiantes. Mais il faut bien justifier le titre du film (littéralement "des vacances formidables") et le contraste avec les événements qui doivent se produire ensuite (comme si on s'y attendait pas). Les interprètes ont été choisis bien spécialement pour l'image qu'ils donnent en général dans le cinéma, et on se retrouve inévitablement avec des stéréotypes bien profonds : l'homme qui sort de nul part et va prendre la situation en main parce que c'est un ancien commandant (Ahn Sung-Ki), celui qui veut pas se battre mais s'y met après la mort de son frère (Kim Sang-Gyeong), le duo comique et idiot, la fille (infirmière, comme dans Pearl Harbor) du vieux qui serait devenue la copine du jeune si seulement... Et les acteurs ont tendance à surjouer leur personnage, ce qui n'arrange pas les choses. Le film prend un air léger à cause de ses personnages et ne plonge pas assez dans le vrai drame qu'il essaie de dépeindre. Finalement, May 18 survole les événements sans jamais rentrer dedans, même en essayant de suivre des personnages au coeur du drame. Ceux-ci nous rappellent toujours à l'extérieur en divaguant dans leurs propres petits drames personnels. Bref, un blockbuster coréen de base.
18 janvier 2008
par
Elise
non seulement mauvais, mais nuisible (ou comment, sous prétexte de devoir de mémoire, on flatte bassement la fibre sentimentalo-patriotique et on enc*** l'Histoire à sec)
Ayant conscience de mon aversion pour les blockbusters grandiloquents et lacrymaux, je ne me penchais certes pas sur
May 18 avec d’énormes espérances mais seulement pour la culture (cinématographique, s’entend, car comme on le verra c’est pas avec ce film que je vais en apprendre sur les émeutes de Kwangju) et je pensais malgré tout pouvoir lui sauver un quart voir un demi point en vertu du soin dont font toujours preuve les gros films coréens. Soin qui ne les empêche certes pas d’être lisses et fades, de faire preuve d’une mise en scène (cadres, montage, utilisation du son,...) des plus scolaires et de caractérisation des personnages horriblement stéréotypée, d’user d’artifices larmoyants à vomir (c’est un festival, du gamin perdu au milieu des morts dont le père se fait tuer en essayant de le sauver aux messages radio emprunts de sacrifice à l’heure de la débâcle, en passant par la grand-mère aveugle, la levée de drapeau la main sur le coeur, les tirs sur les ambulances, la lecture de lettre d’adieu sur cercueil et j’en passe), de se sentir obligé d’introduire des sidekicks comiques et des scènes de romance niaises, sans compter tout ce que sous le coup de la précipitation j’oublie probablement, mais qui (rappel : le soin dont font preuve les grosses prods coréennes) garantit tout de même un minimum syndical.
Je ne m’y abaisserai finalement pas, je souhaiterais même qu’on puisse mettre des notes négatives, car
May 18 est de ces films heureusement rares mais gerbants qui, non contents d’être une insulte au septième art (ce dont on a l’habitude), sont surtout une insulte à l’Histoire, Histoire dont ils se proclament pourtant les hérauts.
Il est pourtant salutaire pour une société de s’attaquer à la représentation par l’art, en particulier à diffusion de masse comme le cinéma, de drames marquants voir fondateurs et à ce titre le soulèvement de Kwangju mérite d’être abordé au cinéma – ce qui reste finalement rare. Mais surtout pas n’importe comment ! C’est justement en vertu de sa grande valeur traumatique qu’un tel événement se doit d’être avec toutes les nuances nécessaires à une vraie réflexion sur les faits et leurs conséquences. Nuances et réflexion que
May 18 refuse catégoriquement, préférant une vision caricaturale, unilatérale et lâchement rassurante (c’est la faute à la dictature, c’est du passé et maintenant vous pouvez regarder ça en toute bonne conscience... attention à ne pas vous étouffer avec le popcorn surtout !), refusant finalement de regarder en face son sujet. Comme si revendiquer son inspiration de faits réels garantissait la détention de la vérité, comme l’objectivité, l’exhaustivité et la profondeur du propos – ce dont va peut-être malheureusement finir par se parer
May 18, et je suis totalement dégoûté d’une société pour laquelle avec un peu de (mal)chance la vision ce film va peu à peu s’imposer en lieu et place des faits.
Peppermint Candy de
Lee Chang-Dong (à coté d’un certain nombre d’autres qualités, dont non des moindres est sa structure en flash-backs successifs exprimant brillamment le poids du traumatisme sur l’individu et plus globalement la société) est un des rares films à montrer la répression des émeutes de mai 80 du coté des militaires, et cet angle de vue est absolument vital. Il est nécessaire de montrer la Corée victime, mais également la Corée bourreau, car ce n’est qu’ainsi qu’il peut y avoir remise en cause. Ceci,
May 18 le passe totalement sous silence. Les militaires ne sont pas coréens – si si, je vous assure, rappelez vous les premiers plans montrant ces parachutistes partant pour une invasion, ces colonnes de blindés avançant comme en pays conquit, ou encore ce discours du capitaine affirmant texto que les soldats ne mérite pas de faire partie de l’armée coréenne et donc n’en font plus partie, ces constantes déclarations incitant à protéger la ville dès lors bonbardée symbole du pays lui même – ce sont des hordes barbares dont les seules motivations sont de bastonner et de tuer les innocents et débarquant comme des sauvages au milieu d'un monde idyllique où tout le monde est gentil. Voilà comment
May 18 (au dela de ses raccourcis scénaristiques grossiers mais dont arrivé à se niveau on se fout royalement) dédouane la Corée de toute remise en question et préfère se voiler la face en brandissant haut et fort le sacrifice et le courage de ces émeutiers dont la démocratie actuelle se revendique l’héritière.
Alors il y a des jours comme ça où l’autodafé vous semble d’utilité publique et où vous avez sérieusement envie de vous coller une balle en pleine gueule. Je ne suis même pas coréen, mais si j’avais vécu les événements ou si des proches y avaient crevé je crois bien que je pleurerais devant tant de connerie condensée en deux heures de temps.
Je me contenterai vainement de vous conseiller la vision de en vrac
Peppermint Candy,
Le vieux jardin ou encore
A Petal (film auquel on ferait mieux d’offrir une diffusion décente au lieu de financer de telles absurdités), films probablement pas parfaits, encore moins exhaustifs, mais faisant au moins preuve de la nuance, de la réflexion et de l’honnêteté essentielles à la représentation de tel événement et sur lesquelles
May 18 pisse joyeusement.
26 janvier 2008
par
Epikt