Xavier Chanoine | 3 | Si l'on passe outre son extrême lenteur, voilà une jolie histoire musicale... |
On voit fleurir assez régulièrement dans le cinéma japonais tout un tas de films censés venter les mérites d’adolescents qui doutent de leurs capacités ou qui rêvent d’être artistes dans leurs domaines de prédilection. La radio, le cinéma ou encore la musique sont souvent abordés et le résultat débouche pratiquement sur une bonne bluette des familles où les larmes finissent à un moment ou un autre par couler, naturellement. Ou bien lorsque l’on est trop fier, est-il préférable de dire que l’on termine la gorge nouée devant un énième métrage où l’adolescente un peu trop rêveuse voit sa vie bousculée par une maladie. Dans le pire des cas, elle y passe. Shindo ne va pas jusque là mais raconte en l’espace de deux heures infiniment lentes l’histoire d’une jeune prodige du piano, Uta, hélas perturbée par la disparition de son père et par une maladie à l’oreille atténuant son audition au fur et à mesure que le temps passe. Malgré qu’elle soit extrêmement talentueuse, elle ne souhaite plus se remettre à l’instrument comme pour « oublier », jusqu’au jour où elle se lie d’amitié avec Wao, un autre élève surdoué qui travaille corps et âme pour rentrer dans un conservatoire prestigieux. Pas de remède pour la jeune fille, pas de recherches non plus, le film se focalisera davantage sur son retour petit à petit à l’instrument dont elle excelle, motivée par son ami. Au film donc de verser dans une bluette mignonne comme tout, faisant la part belle aux situations téléphonées mais bien exécutées : l’adolescente est peu sociable, a acquis un grand savoir en piano grâce à son père mais doute de ses capacités, jusqu’au jour où l’opportunité d’interpréter un grand titre lui redonnera l’envie de se plonger dans un solfège qu’elle maîtrise à la perfection (elle préfèrera utiliser une partition de Mozart pour rehausser son assise au piano lors d’un premier et ultime concert).
On suit aussi parallèlement le parcours de Wao, prodige en concurrence avec d’autres élèves surdoués. Le film met alors en avant la compétition, facteur essentiel dans les études au Japon, et le cinéaste ne se cache pas de nous proposer quelques morceaux de méchanceté d’un niveau bien gentillet mais suffisamment présents pour être soulignés. Non, Shindo (littéralement « prodige » en japonais) reste bien trop gentil pour amorcer telle ou telle critique. Une simple histoire d’amitié entre une nana mystique et un garçon qui a hélas d’autres chats à fouetter (histoire d’amour compliquée avec une autre prodige du piano, puis un début d’une autre avec une jeune chanteuse d’opéra, vive la musique, vive le sport), le facteur « handicap auditif » qui surgit en fin de métrage pour bien montrer au spectateur qu’il va falloir pleurer, la nostalgie des anciens prodiges, la reconnaissance d’une petite face à un professionnel occidental dans une scène pas franchement bouleversante, et des séquences d’entraînement plutôt bien torchées (point trop de plan visage/plan mains lorsque les acteurs se mettent à jouer du Mozart par exemple) mais trop répétitives pour marquer. Les thèmes ont beau être fort jolis et exécutés avec maestria par les « vrais » musiciens, ils n’en demeurent pas moins trop nombreux, comme si le cinéaste s’était fixé l’objectif de dépasser les deux heures. Il faut d’ailleurs prendre son courage à deux mains pour ne pas couper le film et reprendre la dernière demi-heure le lendemain avant d’aller en cours ou au boulot tant le rythme « typiquement asiatique » se ressent.
Typiquement nippon, la photographie et la belle lumière, typiquement nippone l’interprétation toute en retenue de la belle Narumi Riko (que l’on a pu voir entre autre dans le dernier film de Ichikawa Jun, How To Become Myself, avant que ce dernier ne décède) et la maladresse presque touchante de Wao, typiquement nippone cette philosophie du « gambatte » malgré le poids de la maladie. Tente ta chance tu ne le regretteras pas, tel est le message du cinéaste après un discours trop long pour marquer, ou sans doute cédant trop souvent à la facilité : hormis quelques flashbacks très courts, le film ne développe pas assez le personnage de Uta, littéralement « chanson » en japonais (laquelle lancera un clin d’œil en disant qu’elle EST la musique). Il est aussi dommage d’éclipser le personnage de Wao, on ne sait pas grand-chose sur son avenir hormis qu’il interprétera un bien joli morceau clôturant les débats avec Uta en toute fin de métrage après cinq minutes « contemplatives » de toute beauté. Son aspect lustré et poli comme tout est finalement cohérent avec l’esprit du film, sa douceur et sa mise en scène réglée comme du papier à musique reste elle aussi en accord. Langage universel de la musique ? Shindo aurait pu être gorgé de grands moments de mélo mais ne reste au final qu’un joli film sur la passion d’adolescents en quête de « quelque chose » typiquement musical, un langage des sens qu’une gosse, au final à moitié sourde, pourra pratiquer pour le restant de ses jours. C’est beau la musique qui vient de l’intérieur…