La chute d'un modèle social
L'un des plus vieux Kim Ki-Young et sans doute l'un des meilleurs. Dans La servante, il met en scène un couple qui se voit détruire de l'intérieur par une femme engagée comme servante. Rien de bien original dans la filmographie d'un réalisateur qui jusqu'à sa mort n'aura tourné quasiment que cela. Mais celui-ci a l'avantage d'être l'un des premiers (le premier que j'ai vu d'ailleurs) et sans doute l'un des plus réussis. On y voit ainsi l'importance des moeurs confucianistes dans la société coréenne, qui permettent à la servante de prendre le mari en otage grâce à une machination bien pensée. Le couple doit à tout prix sauver les apparences d'une famille soudée et riche par rapport à son entourage. D'ailleurs ils sont plutôt aisés, vu qu'ils ont l'accessoire de luxe des années 60 : la télévision. De tout temps, le statut social est évalué à la façon dont il est mis en valeur, donc par l'utilisation de l'argent dans ce qui est l'image de la réussite sociale : la maison, la voiture et donc, la télévision, afin de pouvoir aller se vanter auprès des amis, voisins, collègue, qu'on a une télé, donc implicitement qu'on est (plus) riche. Mais ce qui est tout aussi important que l'argent : la famille. Si le mariage bat de l'aile, que les enfants sont des voyous, ou que le mari a une maitresse, c'est l'anéantissement de tous les efforts pour réussir son paraître. C'est d'ailleurs toujours en vigueur en Corée (en un peu plus modéré).
La servante utilise donc ce contexte social pour usurper l'homme à sa femme et crée ainsi une spirale destructrice, allant toujours de plus en plus loin dans l'utilisation de son pouvoir. La situation instable finit donc par exploser, anéantissant totalement le modèle social qui ne peut pas survivre à la modernisation du pays et l'émergence des classe pauvre dans le milieu social des riches, alors qu'ils avaient toujours été séparés jusque là. Kim Ki-Young montre ainsi le nouveau pouvoir des classes basses qui peuvent (doivent ?) se battre contre la bourgeoisie en utilisant les nouveaux moyens qui leur sont conférés par cet état moderne. Le néo-confucianisme n'a plus sa place dans la société et doit s'adapter s'il veut survivre à cette évolution, s'il ne veut pas qu'elle se transforme en révolution. L'avenir montre d'ailleurs que la doctrine coréenne ancestrale a finalement bien réussi la transition.
Malgré les techniques encore bien rudimentaires de l'époque, Kim Ki-Young montre un vrai tableau, sans une goutte d'ennui, allant où il veut et décrivant son drame avec beaucoup d'audace. Rare Pièce magnifique à voir et revoir.
27 octobre 2008
par
Elise
Empire des passions
Commençons par évoquer très vite les défauts de cette Servante. Le film n’est ainsi pas exempt de petites lourdeurs. Sa dimension psychanalytique est parfois soulignée avec autant de finesse qu’un bulldozer par les dialogues. Surtout, l’usage récurrent d’un score pastichant Bernard Hermann lors de ses passages dramatiques finit par sentir à la longue le trop appuyé. Et puis il y a ce final sentant bon la concession à la censure de l’époque. Il ressemble à un gag faisant pièce rapportée dans le film. Le reste? Oscille entre singulier et remarquable. Le remarquable se situe d’abord au niveau formel. Chaque scène est ainsi portée par des mouvements de caméra à la belle ampleur classique. La précision souvent de mise dans le travail sur le cadre fait écho au regard d'entomologiste porté par Kim Ki Young sur ses personnages. La mise en scène et le montage se distinguent aussi par leur bonne gestion des ruptures de ton du scénario. Le film peut ainsi passer d’une situation extrême très dramatisée à une scène plus comique avec un naturel confondant. Rien que pour ces deux raisons-là Kim Ki Young méritait d’être tardivement reconnu à domicile comme de figurer dans la rétrospective cinéma coréen de la Cinémathèque de cette année.
Le singulier? Il se situe dans la façon dont le film semble en avance sur les audaces des cinémas d'auteur japonais et européens des sixties. Les dérèglements engendrés par la passion sont ainsi observés avec un regard d’entomologiste. Un «corps étranger» s’introduit dans un foyer familial et va progressivement déranger la tranquillité de ce dernier. Et pour montrer les conséquences de ce dérèglement le film ne fait pas l’impasse sur des situations extrêmes. On y voit la maîtresse finir par prendre le pouvoir dans le foyer en mettant la femme légitime à la périphérie de ce dernier. Les enfants n’hésitent pas non plus à user d’une relative violence pour contrecarrer les volontés de cette dernière. La femme légitime se retrouve investie de désir de meurtre. Et la servante/«corps étranger» veut venger son avortement par la mort d’un enfant. D’un simple adultère on bascule vers un engrenage aussi surprenant qu’étonnant de violence physique et psychologique. Passion et désir meurtriers surgissent ainsi subitement du quotidien ordinaire. Un drame psychologique en huis clos s’y combine avec des éléments de film d’horreur (l’usage de la foudre). Les décors dans lesquels se déroule le drame sont eux très bien utilisés. Le film confirme également que la fascination du cinéma coréen pour les handicapés ne date pas d’aujourd’hui.
Un film cousin coréen du cinéma de Bunuel et Von Stroheim comme le prétend la brochure de la rétrospective? Peu importe ce que cela serait censé évoquer. Rien n’enlèverait de toute façon à la Servante sa singularité. A défaut d’être un chef d’œuvre, il s’agit d’un film à part dans le cinéma coréen comme dans le cinéma d’Extrême Orient.
Des scènes assez belles, d'autres assez ridicules. Avis mitigé.
C'est plutôt marrant et atypique, néanmoins le film a pris un bon coup de vieux.
A voir pour 5€ dans un ciné de quartier pour se changer les idées.
Il ne faut surtout pas s'attendre à voir une perle retrouvée dans les cartons par Scorcese, vous risquez d'être un poil déçu sinon...
The maid got laid
VIVA Internet, VIVA Scorsese….VIVA !!!
Vieux de la veille: tremblez: alors que ma génération trentenaire (put1, suis pas SI vieux quand même !!) bravait encore vents et marées pour aller récupérer K7 vidéo d'import HK à Londres à prix d'or pour voir le dernier John Woo, puis se faisait chier à tenter de ramener les exorbitants taxes douanières aux paquets volumineux envoyés depuis les 4 continents asiatiques, voilà qu'on nous bombarde de films à télécharger en moins de 30 secondes…LEGALEMENT TELECHARGEABLES !
Des films hyper rares en plus, que l'on avait l'occasion de voir que lors de quelques rares rétrospectives réservées aux seuls festivaliers élitistes (Festival de Berlin 1998 – non, je n'y étais pas encore et j'habitais même encore l'Australie à l'époque…) ou parisiens fortunés (rétrospective en…2005 ?!)…Bref, grâce à la bonté, sagesse et humilité du plus grand des partisans du cinéma mondial, Martin Scorsese, nous avons donc aujourd'hui la possibilité de voir l'un des plus grands chefs-d'œuvre du cinéma classique coréen GRATUITEMENT à notre disposition en allant sur son magnifique site (que j'espère évoluer rapidement):
http://www.theauteurs.com/cinemas
Bon, pas le meilleur des moyens pour profiter pleinement de la magnificence de la mise en scène de Kim Ki-young (bonjour la taille de l'image sur un petit écran d'ordinateur – je m'y ferais jamais – ou encor le degré de pixellisation sur un grand écran du home cinéma); mais au moins cette initiative permet de voir et revoir cet authentique chef-d'œuvre…Et ô combien ce film mérite un visionnage répétée et une analyse approfondie, tant "The Housemaid" est une véritable leçon de cinéma – et une authentique claque dans la tranche, qui prouve que le récent cinéma de Kim Ki-duk ou Lee Chang-dong n'a rien inventé…
Un cinéma à mettre à égalité avec l'incroyable maturité du cinéma japonais de la même époque, loin, très, très loin devant ses homologues hongkongais ou thaïlandais.
Pour la petite histoire, "The Housemaid" est le 9e film du réalisateur Kim Ki-young, mais seulement second – avec "Yangsan Province" de 1955, encore très largement incomplet à ce jour – à être parvenu jusqu'à notre époque; toutes ses autres premières œuvres sont dites avoir "disparu" pour l'instant.
Difficile donc, en l'état, de pouvoir juger de ses autres premières œuvres; mais nul doute, que ce "Housemaid" est à marquer d'une pierre blanche dans la carrière de ce réalisateur par ailleurs (et à juger sur ces 23 films encore existants) très inégal.
A le replacer dans sa filmographie, "The Housemaid" est le premier long à avoir été tourné sous la bannière de sa propre société de production fraîchement créée, "Korean Literature Films". Très fortement impressionné par les travaux de Freud à l'époque, Kim s'empare du fait divers d'une bonne ayant tué le fils de cinq ans d'une famille de classe moyenne pour tenter de projeter quelques-unes des théories les plus célèbres du fameux psychologue dans une adaptation très librement adapté des faits réels. Une étude de mœurs, qui le fascine tant, que Kim s'attèlera à deux remakes de son propre film, "The woman of fire" en 1971 et "The woman of fire" de 1981 en réservant toujours la même histoire, mais à des décennies radicalement différentes dans une Corée évoluant à toute vitesse; car au-delà du suspense hitchcockien de toute beauté, "The Housemaid" est également une implacable étude sociale d'époques bien distinctes.
Il faut ainsi savoir, que suite à véritable explosion économique des grandes villes sous un fort régime (dictatorial) dans un pays déchiré, des très nombreuses jeunes femmes des campagnes étaient attirées par les "lumières" des grandes villes…où elles finissaient souvent comme prostituées, serveuses, bonnes ou même conductrices de bus (eh oui). Parallèlement, des familles auparavant plus pauvres accédaient finalement à une catégorie sociale supérieure et pouvaient, par conséquent, s'offrir les services d'une bonne à peu de frais. Si elles étaient certes d'une bonne aide pour les ménagères, rapidement histories vraies et fausses légendes couraient au sujet des filles "naïves" de la campagne, prêtes à tout pour réussir, même à séduire leurs employeurs – selon les dires de beaucoup des dames des grandes villes…Il n'était donc pas rare de voir des cas de divorces (shocking !!) ou des drames humains entre épouses furieuses et hommes surpris dans les bras de leur bonne faire la Une des journaux.
C'est d'ailleurs là-dessus que s'ouvre le film: sur l'anecdote (vraie) d'un drame à cause des méfaits d'une bonne.
Cette différence des classes est traitée à bien des égards dans le film. Le professeur de musique a récemment pu bénéficier d'un certain enrichissement personnel et a pu s'offrir un piano pour des heures de soutien à domicile, une machine à coudre pour sa femme, une télévision un peu plus tard dans le film et – surtout – une maison à DEUX étages dernier "chic" de la classe moyenne de l'époque. Ces deux étages (et la cave) permettent ainsi de rapidement dissocier la bonne de ses employeurs plus riches et créer un véritable petit microcosme sous un même toit – de même que les pièces vont permettre le magnifique dénouement de huis-clos, aux personnages de se croiser, fuir et se faire affronter, aux uns et aux autres à la fois échapper à la surveillance, mais aussi chacun pouvoir comploter dans leur coin.
Ces étages sont reliés par un escalier, dont les marches émettent différents grincements ne fonction des personnages, définis en fonction de leurs attitudes, comportements, habitudes vestimentaires, mais également leur démarche évolutive en fonction du dénouement de l'histoire – démarches, qui vont influer sur le grincement des marches, un procédé tout simplement incroyable et génial.
Outre une bande-son incroyablement soignée (le grincement des marches, mais également l'importance du piano pour ponctuer scènes et moments dramatiques, comme la soudaine explosion de sons au moment où le mari avoue l'adultère à sa femme), le film fourmille de milliers de petits détails (la multiplication des horloges, chacune indiquant une heure différente et émettant un autre son) et est un formidable cas d'école dans la maitrise de sa mise en scène; c'est que Kim avait mis le paquet pour sa première production, avait lui-même imaginé décors, costumes et chaque plan et avait opté pour un tournage en studio pour pouvoir moduler chaque décor en fonction des mouvements de sa caméra. Un tournage, qui lui aura finalement pris plus de deux mois, soit deux fois plus de temps, qu'une réalisation moyenne (4 semaines) à l'époque.
Le film a finalement créé la sensation en raison de son temps très libertin et – au moins – aussi libéré, que l'attitude grossière de la bonne provinciale embrassant (trop) rapidement les attitudes mondaines (elle dit ce qu'elle pense, elle fume comme un homme et s'habille à la "mode occidentale", très loin des habits traditionnels de la mère au foyer), faisant d'ailleurs surtout réagir la gente féminine, qui est dite avoir très souvent quitté la salle en pleine séance pour s'offusquer du portrait féminin qu'en avait fait le réalisateur. Un film au parfum de scandale, qui avait au moins pour effet de se faire se déplacer les foules…et à contribuer à un succès critique largement mérité en raflant l'ensemble des plus grands prix des "Oscars" locaux de cette année-là; mais contrairement à beaucoup d'autres films archi-récompensés pour avoir été des purs produits de leur époque, qui ont horriblement vieilli depuis, "The Housemaid" a su transcender les temps pour rester, encore aujourd'hui, une vraie leçon de cinéma, tant au niveau du fond, que de la forme.
Un chef-d'œuvre du 7e Art mondial – tout simplement.