Une idée géniale malgré tout
Sex Jack, avant d’être un énième regard sur la jeunesse contestataire nippone, c’est aussi un film d’une idée. Et l’idée géniale est de prétendre qu’une révolution, ou qu’un début de révolution, naîtrait d’une masturbation ou d’un viol. C’est quand même l’idée motrice du film, huit-clos étouffant où l’on s’autorise quelques libertés dans la cellule rose, où chacun se méfie de tout nouvel arrivant de peur d’être balancé. Mais un huit-clos où l’on s’ennuie quand même beaucoup, Wakamatsu n’arrivant à faire mouche que lorsque la situation le permet : l’introduction, comme celles des meilleurs films du cinéaste, est puissante, la caméra étant embarquée au milieu d’une émeute. La suite est plus classique, un jeune voleur récupère l’arme volée d’un des révolutionnaires et souhaite rejoindre le groupe. Malgré sa supposée bonne foi, il sera tout de même passé à tabac par ses futurs camarades juste pour vérifier s’il ne ment pas. Les groupes révolutionnaires aux idées utopiques dépeints par Wakamatsu ne semblent jamais être des terres d’accueil chaleureuses, on peut se reporter jusqu’à son récent United Red Army pour s’en convaincre, avec leurs séances d’autocritique, c’est aussi tout leur côté pathétique qui est ici ciblé. Bêtes avides de chair fraiche à consommer selon l’envie, pseudo-révolutionnaires incapables de sortir leur tête du trou, ils ne sont que des simples no life d’hier armés de grands discours.
C’est aussi pour cela qu’on pourra trouver l’exercice une nouvelle fois vain, Wakamatsu ne semblant jamais être capable d’aller au-delà du constat, de cette peinture de paumés. Quant au visuel, contrairement aux Anges Violés qui arrivaient à diffuser l’émotion par le biais des regards, ici les choix de photographie tournent rapidement en rond. La séquence d’orgie en couleur en est presque insupportable à force d’incessants balayages. On appréciera donc le film pour son idée aussi pathétique que géniale, celle du sexe en guise de moteur de la révolution. Reste que cette révolution n’aura jamais lieu, sauf dans son introduction soufflante. Heureusement que sa conclusion vaut le coup pour son côté proprement absurde et nihiliste : armez vous de patience, donc.
Pas solidaire du spectateur...
Si Sex Jack reflète l'air du temps d'un Japon où les étudiants contestaient le renouvellement du Pacte de Sécurité américano-japonais, il ne le transcende que trop rarement. Le plus beau moment du film, c'est encore son ouverture montrant la répression des manifestations d'époque prise sur le vif par Wakamatsu, passage d'intérêt documentaire autant que cinématographique. La suite? C'est le tableau de la façon dont l'ordre établi réussit à faire se confronter les unes aux autres les forces contestataires. Le jeune voleur du film, être pour qui seule compte la survie, incarne à la fois le type de personne que prétendent aider les gauchistes et une forme de regard extérieur/révélateur. La méfiance qu'il subit, c'est celle de gauchistes n'ayant plus confiance en personne et cherchant à mettre à terre leurs rivaux. La scène de son "viol" démontre d'ailleurs par son grotesque (c'est la seule solidarité qu'ils ont à lui offrir) les limites de ces désirs de révolution se heurtant de plein fouet au monde réel. Désirs qui vont se radicaliser dans la violence. Et c'est quand le film rend compte de cette radicalisation à coup de coupures de presse, de photos et d'une poursuite de fin de film que Wakamatsu retrouve son sens de l'air du temps. Le reste du temps, les parti pris du film (peu de ruptures, plans étirés, cadrages travaillés et souvent plongeants rendant compte du sentiment d'oppression des personnages) finissent par leur quasi-systématisme à produire un effet de monotonie. Surtout, on a le sentiment que d'autres cinéastes (Godard, Bertolucci) ont mieux rendu compte des lendemains révolutionnaires sixties qui déchantent. Dommage...