Xavier Chanoine | 3.75 | D'une grande dureté, un Miike noirissime |
Faisons un rapide état des lieux. Qu’est-ce que Miike nous a proposé en 2006 qui vaille réellement la peine ? Le très surestimé Big Bang love, juvenile A et sa philosophie de comptoir ? L’infecte bouse Waru en compétition pour le pire film de yakuza de l’année ? Oublions dans la seconde ces titres de triste mémoire pour nous attarder sur une œuvre qui vaut vraiment le détour et qui accessoirement rehausse un peu le niveau qualitatif des films du bonhomme réalisés jusque là. Osons même jusqu’à dire que Sun Scarred est le meilleur Miike depuis, allé, Gozu. Pourquoi ? Le fait de traiter trois sujets différents avec brio, classicisme formel, avec un vrai regard d’auteur / sociologue sur la jeunesse nippone actuelle. Katayama est un salaryman sans problème qui assiste à une agression gratuite d’une poignée de jeunes sur un sans-abri alors qu’il rentrait chez lui fêter l’anniversaire de sa fille. Au départ hésitant (la réaction logique de l’homme qui ne veut pas d’ennuis, projection naturelle dans l’avenir avant d’agir bêtement), il court finalement au secours du bonhomme en infligeant, non sans mal, une correction aux agresseurs et en laissant bien amoché le leader, Kamiki, reconnaissable à sa doudoune velue, sa pose et à la sucette qu’il becte avec une douce ironie. Relâché par la police, Katayama croit retrouver Kamiki aux abords d’une supérette. Alerté, il tente de laisser un message sur le téléphone de sa femme afin de la mettre en garde d’une quelconque agression possible sur elle et sa fille, un corps ayant été retrouvé non loin de chez eux. Malheureusement, de sombres évènements vont survenir au même moment, la femme de Katayama laisse sa fille sans surveillance le temps d’un instant, une aubaine pour Kamiki qui ne tardera pas à se venger de la correction reçue la veille. La petite est retrouvée décapitée. Meurtris, Katayama et sa femme tentent de résister à l’imposante présence médiatique axée sur l’évènement, ce que n’arrivera pas à faire cette dernière, incapable de passer outre la mort de sa fille. Elle se suicidera lors d’une après-midi laissant orphelin Katayama d’une famille pourtant modèle. Kamiki est retrouvé, jugé coupable et ressort trois ans plus tard de prison des suites d’un comportement jugé exemplaire de la part des autorités locales. Katayama, mis au courant, va alors tout faire pour retrouver le jeune homme qui bénéficie à présent d’une garde rapprochée aussi bien de la part de ses employeurs que de la police.
Parait-il que Miike est un cinéaste fumeux. Pas faux, entre les tentatives ratées d’un One Missed Call surfant sur le succès des appareils maudits (à quand le grille-pain tueur ?), d’un Izo et sa vision navrante du néo chambara, d’un Great Yokai War qui rate le coche dans le domaine de l’heroïc-fantasy pour sales gosses jusqu’à perdre toute crédibilité avec le débile Sukiyaki Western: Django, on pensait l’auteur incapable de proposer un véritable univers personnel, signant à chaque reprise un film différent. Pourtant, quoi de mieux que de renouveler son style, son univers ? Cependant chez Miike le constat est souvent le même : une sensation de bâclé émane de chacune de ses œuvres un temps soit peu percutantes ou mises sous les projecteurs de festivaliers ou de fanboys qui ont clairement vu en Ichi The Killer le renouveau du film de genre rayon sadisme et humour noir (dieu merci Asano Tadanobu est passé à autre chose entre temps) ou qui tripent devant le non-sens absolu que représente Dead or Alive, là aussi surestimé à outrance. Miike n’est pas qu’un formaliste de première, capable de réaliser autre chose qu’une déferlante –réussie- de séquences pêchues (Sukiyaki Western Django, Crows Zero, Like a Dragon) aussi bien sur pellicule qu’en DV et le prouve de bien belle manière avec ce Sun Scarred, ou comment traiter des problèmes de société en jouant la carte de l’humour, de la violence pour la violence (thématique parfois chère au cinéaste, partagée avec son voisin coréen Park Chan-Wook avec moins de raffinement) simplement pour mettre en exergue un mal enraciné chez l’Homme, qu’importe si d’apparence ce dernier ressemble à un gros ours en peluche ou à une poupée Barbie (Matt Stone et Trey Parker l’avaient bien compris avec l’épisode de South Park « Le Noël des petits animaux de la Forêt »). Et le fait d’être en présence d’enfants dangereux, d’apparence tout à fait normaux, exacerbe encore plus cette crainte de l’adulte face aux gosses (Quién puede matar a un niño?). Doté d’un visage d’ange, Kamiki incarne le mal le plus parfait, celui qui vous sourit en face pour mieux vous rétamer dans le dos, celui que l’on croit remis dans le droit chemin alors qu’il exerce par l’intermédiaire du téléphone portable une vraie chasse organisée par deux trois sidekicks qui rêvent et fantasment à l’idée de porter une arme ou carrément de s’en servir.
L’exemple de cet ado qui en arriverait presque à faire l’amour à son pistolet relève de la plus pure transe, tout comme lorsque celui-ci massacre à l’aide son schlass ce qui semble être un chat, la séquence quasi hors-champ n’en est que plus dérangeante. Cette seconde critique évoquée par Miike se ressent aussi lorsqu’un mec d’à peine 18 balais réussit à se faire livrer chez lui des revolvers provenant de l’armée américaine, simplement par le biais d’une vente en ligne d’un fournisseur quelconque (le syndrome Ebay qui gangrène une partie du monde). La nouvelle technologie des téléphones portables permet même aux maîtres d’afficher la tête d’une cible à éliminer simplement par l’envoie d’un message. Tout le monde peut le faire. Vrai réseau organisé. A partir du moment où l’adolescent de moins de 13 ans est libre de tout emprisonnement (dixit la loi), celui-ci peut très bien du jour au lendemain descendre une gueule qui ne lui revient pas, le cinéaste appuie alors cette vérité en montrant des gosses s’exciter rien qu’à l’idée d’y penser. Intouchables sont-ils sur le plan purement juridique, mais dans la vie la règle est toute autre et certains l’apprendront à leurs dépends. Autre système visé par la caméra-arme de Miike, la justice. Si les policiers sont incapables de mettre en taule un serial killer de moins de 13 ans, il en va de même pour toutes les affaires où un peu de bon sens et d’humanisme auraient pu empêcher le pire : la remise en liberté d’un individu coupable de barbarie sur une fillette jugé à présent stable (alors qu’en fait, non, évidemment), la surdité parfaite face aux demandes d’un homme définitivement anéanti suite à la mort de ceux à qui il tenait le plus au monde et cette incapacité à faire taire les bruits de couloir en faisant de Katayama le vilain de l’affaire, celui responsable de la mort de sa fille, une mort amorcée en venant à l’aide d’un sans-abri (fait que ne reprendront pas les médias, ces derniers parlant plus d’échauffourée).
Mais jusqu’au bout Katayama sera virtuellement menotté par cette police, l’empêchant d’avoir quelconque moyen de contact avec le bourreau de sa fille. La seule preuve d’humanisme revient à une jeune femme officier, Takezawa, qui cédera naturellement face à la détresse d’un homme, lequel la mettra dans de beaux draps de manière involontaire, donnant ainsi au film une belle dose de suspense pour son cahier de charges. La caméra de Miike est aussi plus intéressante ici qu’à l’accoutumé. Pas de superbe pellicule magnifiquement colorée et contrastée à la Sukiyaki Western Django, mais bien de la DV HD comme Miike sait l’utiliser lorsqu’il est inspiré (Visitor Q) ou lorsqu’il expérimente (la série des MPD-PSYCHO) donnant ainsi un cachet particulier à l’ensemble : des couleurs ternes, parfois du noir et blanc comme pour signifier la mise en stand by d’une vie (renaissance timide) avant de passer à une autre (la chasse). Les mouvements de caméra sont d’une douceur presque inquiétante, les travellings contemplatifs soulignent parfaitement le caractère désenchanté de la ville où le moindre recoin peut à présent renfermer une forme lugubre, une entité vicelarde, à l’image d’un cadavre ou d’un mec pas net qui enfilerait les sucettes comme il alignerait les cadavres. Seule la musique discrète mais cheap et les « défauts » de la DV tendent à remettre ce Miike dans son contexte : du métrage discount fourmillant de petites idées brillantes hélas entaché par un manque d’éclat général. L’interprétation globalement satisfaisante (notamment un excellent Aikawa Sho en mode avenger) commet aussi quelques bévues notamment lors de la prise d’otage de Takezawa dans sa voiture où l’on n’y croit pas des masses, ceci dit l’on pardonnera cette petite faute vu que l’optique du film n’est vraiment pas de jouer dans le registre du dramatique, préférant faire dans le frontal, le sec, le brutal, à l’image des excès de violence parsemant le film dans son ensemble et confirmant Miike comme l’un des cinéastes les plus costauds dans le domaine. Sun Scarred s’inscrit donc dans le registre des grandes réussites de Miike, épinglant sur son tableau de chasse le système judiciaire mais aussi carcéral, la jeunesse intouchable et admiratrice d’une violence gratuite (renvoyant aussi à Orange Mécanique de Kubrick) juste pour déconner après les cours, mais aussi d’une jeunesse utilisée à des fins plus glauques encore (la jeune fille attirant Endo Kenichi dans un piège lors d’une séquence ironique). La morale « la violence pour régler la violence » amorcera aussi quelques débats savoureux, créant le malaise lors d’un climax désespérant rendant le système encore plus illégitime qu’il ne l’est déjà. Et ce ne sont que des gosses. Une Miike qui enfonce des portes ouvertes ? Tout simplement un grand Miike mature ?