Eastwood alors au summum de sa carrière de cinéaste réalisait Mémoires de nos pères, un travail dont le but était de saluer les soldats américains morts au combat lors de la guerre les opposant aux japonais en 1944. Un travail louable puisque emprunt d'une certaine retenue et neutralité, Eastwood ne cédant pas -ou peu- au massacre facile de soldats nippons sous sa caméra, le rendant ainsi humaniste et conscient de la gravité du conflit. Malgré toutes les bonnes intentions, le problème était que son film n'arrivait jamais à prendre son envol, restant un simple travail de mémoire de surface, avec son accumulation de flash-back flash-forward presque indigestes malgré des qualités de mise en scène et de direction d'acteurs on ne peut plus évidentes. N'oublions pas non plus les éternelles séquences patriotiques champagne avec l'hommage du peuple américain en direction de ses soldats (statues à leur effigie, défilé dans un stade de baseball, etc), qui contrastaient violemment avec les passages sur le terrain (sur le front), crus et impressionnants de réalisme. Mémoires de nos pères était donc bancal. Diptyque oblige, Lettres d'Iwo Jima voit le jour avec cette fois-ci la guerre du point de vue des soldats japonais.
Démarrant comme son prédécesseur, c'est à dire avec un certain sens de la mise en scène et de la mise en place des choses, du contexte, le bébé d'Eastwood semble bien parti pour reprendre les vilaines habitudes de son aîné, à croire qu'il n'est donc pas prêt de se renouveler, changeant simplement de camps histoire de percevoir le conflit différemment. Le plan d'introduction, à savoir cette immense montagne d'Iwo Jima semble même être le même que dans Mémoires de nos pères. Soit. Mais heureusement que la tournure est bien différente. Lettres d'Iwo Jima ne cède plus à la nostalgie et à la gloire de ses soldats, non. Ici, les soldats japonais -tous mobilisés pour l'occasion- sont les esclaves de la patrie, du gouvernement un poil totalitaire et suicidaire, comme si une poignée de soldats japonais (j'exagère) guère expérimentés ou pas du tout pouvaient résister à une véritable infanterie militaire (paquebots par dizaines, tanks, dizaines de milliers d'hommes) on ne peut plus impressionnante. Ironiquement, et fait bien légitime, les hauts gradés bornaient leurs troupes en leur disant que le point faible des soldats américains est qu'ils sont "inférieurs" aux soldats japonais, moins disciplinés et courageux, entraînant évidemment leur perte, leur défaite. Aveuglés par ces paroles venues du ciel, les hommes motivés font preuve d'une confiance presque aveugle -et ils n'avaient pas le choix- en leur hiérarchie. Une hiérarchie montrée comme inégale et même contradictoire, on ne compte en effet plus les querelles ou les désaccords entre les membres d'un même clan, d'un même régiment : certains prônent la violence, d'autres le rappel à l'ordre exempt de violence puisqu'un soldat battu est un soldat faible, donc inutile. C'est le rôle du général Kuribayashi (extraordinaire Watanabe Ken), humain mais engagé, de rappeler à l'ordre les sergents crapules et fiers, violents et aveuglés par le pouvoir -facile-.
Lettres d'Iwo Jima a aussi cette particularité d'exercer un pouvoir fascinant sur l'humanisme de ses soldats. Le jeune Saigo (impeccable Ninomiya Kazunari) est l'image même du soldat nippon débarqué à l'arrache sur les terres d'Iwo Jima, boulanger et futur papa, il laisse sa femme au pays sous la pression des autorités japonaises, fières de l'envoyer sur le terrain défendre l'île. Il n'a pas le choix, comme la majorité de ses compatriotes. Pourquoi ce mémoire du côté des japonais est-il infiniment supérieur à son prédécesseur? L'absence de flashbacks -omniprésents auparavant- grâce en partie à la lecture des lettres sous fond de voix off? On compte en tout et pour tout peut être trois flashbacks différents dont deux particulièrement poignants. C'est toute la force de l'oeuvre d'Eastwood, celle de ne jamais -ou ne plus- céder aux retours en arrière pompeux et pas utiles pour un sou. Son inutilité est aussi appuyée par le fait que les soldats japonais sont des gens comme les autres, et que leur destinée est déjà toute tracée avant même d'avoir frôlé les terres d'Iwo Jima. Comme disait leur général, on -le peuple japonais, leur descendance- honorera leur mort, pas leur victoire, alors que c'est tout l'inverse du côté des trois soldats"gagnants" de l'opus précédent. La triste réalité (à savoir le soldat japonais "kamikaze") est constamment soulignée par la mentalité bornée des mauvais instructeurs, fiers devant leur haute hiérarchie, mais bas et particulièrement lâches derrière elle, comme cette séquence où un sergent demande à ses troupes de se suicider car la guerre est perdue, avec un "Banzaï" avant de s'exploser à la grenade, un par un.
Long testament, incroyablement bien narré et interprété, Lettres d'Iwo Jima n'a pas la même densité dramatique que l'autre fresque guerrière de Kobayashi, La condition de l'Homme, pourtant quelque chose fonctionne bien mieux chez le métrage d'Eastwood car Kobayashi s'axait pratiquement uniquement sur le personnage de Nakadai et sur rien d'autre. Ce quelque chose est dû à l'intérêt que porte le réalisateur sur l'ensemble des personnages, allant du simple soldat, de la mère de famille aux plus hauts gradés sur le terrain. Watanabe Ken est ainsi incroyable dans la peau d'un général humain et conscient de l'échec de ses troupes, mais son abnégation et sa passion pour sa patrie lui donnent ce courage supplémentaire, car il est bon. C'est un homme bon. Pas comme cette crapule de lieutenant Ido, interprété par un étonnant Nakamura Shido lâche et violent (tiens donc). On constate aussi cette haine des supérieurs lorsqu'ils vouent corps et âme au gouvernement japonais, appliquant bêtement les règles, augmentant les chances de mourir car transparentes d'improvisation (une guerre n'étant jamais linéaire). Ces règles appliquées respirent le totalitarisme et la propagande minable, comme ce flash-back où un policier ordonne à son collègue de tuer le chien d'une famille tranquille sous prétexte que ses aboiements masquent les transmissions radios. Ridicule mais pourtant légitime en cette période de guerre.
Pièce dorénavant maîtresse de la filmographie du grand Clint, Lettres d'Iwo Jima est donc l'un des films de guerre les plus bouleversants jamais faits. Bouleversant dans son approche du dramatique renouvelé de manière brillante, par l'utilisation exemplaire d'un score somptueux et unique (pratiquement le seul thème du film) mêlé à des séquences poignantes dont on sort difficilement indemne. Les dix dernières minutes, tragiques façon Shakespeare, resteront ancrées dans les mémoires un bon bout de temps. De même que cette direction d'acteurs, d'hommes, dont leurs histoires finissent toujours par nous tirer une larme tant elles sonnent justes, à des années lumières du patriotisme exacerbé de Mémoires de nos pères, film pourtant réussi mais qui ne tient définitivement pas la dragée haute à ce sommet tragique guerrier, inoubliable, et qui espérons sera justement récompensé dans les nombreux festivals où il y sera représenté.
Mémoires de nos Pères : 3/5
Esthétique : 4.5/5 - Les batailles impressionnantes, bruyantes et sales offrent des sensations grisantes. Mise en scène globalement exemplaire. Musique : 4.5/5 - Un thème que l'on retient et qui participe à l'intensité dramatique de l'oeuvre. Interprétation : 4.5/5 - Direction d'acteurs remarquable, en particulier Watanabe Ken, impérial. Scénario : 4.75/5 - Un film de guerre neutre, humain, guerrier et éprouvant, sans tomber dans les clichés assommants du cinéma US.
Ayant vu Mémoires de nos pères plus tôt, je m'attendais à un film radicalement différent du coté japonais, et j'ai pourtant été surpris de voir le même cheminement. Evidemment, le thème est totalement différent, mais au delà, la façon de le traiter ne me paraissait pas se démarquer dans l'un des deux films, et est profondément américaine. Ce n'est pas un reproche de dire que Clint Eastwood traite le film à l'américaine, c'est même plutôt logique, mais j'imaginais une approche de ce second film un peu plus japonaise, quitte à laisser un japonais s'en occuper. Evidemment, tout le thème sur la volonté de fer des japonais, mais également le réalisme qui finit par les envahir et tout le coté humaniste est bien inspiré des traditions japonaises et il est clair que Clint Eastwood a effectué un important travail de recherche pour arriver à montrer le dualité qui luttait dans le corps des pauvres soldats japonais ne comprenant pas l'inutilité de se suicider où d'aller de front sur un ennemi qui le surpasse en nombre et en technologie. Bref rien à dire sur la thématique abordée par les Lettres d'Iwo Jima.
C'est plus sur la forme que c'est, non pas décevant, mais un peu conventionnel. Dans Mémoires de nos pères, on commence sur une scène contemporaine où un vieillard va commencer à parler de son passé, et donc de la célèbre bataille d'Iwo Jima, le drapeau, tout ça, mais je me disais que le coup du film-flashback était fait exprès par Clint Eastwood pour bien montrer le cachet américain (même si la technique a été reprise dans de nombreux pays) et que ce serait évité pour Les Lettres d'Iwo Jima. Mais finalement non, le même truc avec des japonais qui découvrent un paquet enfoui dans une caverne et ni une ni deux, on remonte dans le temps. Ajouter à cela tous les flashback dans le flashback où un personnage entend un bruit, se retourne et se retrouve plongé dans son passé. Bref, le récit aurait gagné à être traité par un japonais plutôt qu'un américain, car même avec le beau discours d'un film pour chaque point de vue et la morale humaniste (qui néanmoins passe très bien), on voit qu'il s'agit d'une oeuvre américaine avant tout, et que cette patte se retranscrit dans la mise en scène.
On notera tout de même l'effort d'avoir tourné le film en japonais et aussi d'avoir ajouté une musique qui est tout de même bien différente de Mémoires de nos Pères, et qui retranscrit bien la mélancolie des soldats coincés sur leur île. Finalement, les deux films apportent chacun leur point de vue particulier sur une seule bataille, grâce à énormément de documentation, et fait preuve de grande sincérité dans son message, même si on sent un peu trop le même style américain sur les deux films.