Des débuts difficiles pour une seconde partie admirable
L'art de Kobayashi est de constamment renouveler son travail formel, jusqu'à en tirer le nectar suprême. L'impressionnante maîtrise visuelle atteint donc son apogée avec Rebellion, grand film tragique sur le chantage et l'insoumission durant l'ère Edo confrontant deux clans, dont un aux méthodes vite expéditives (demande d'Hara-Kiri puis demande d'exile). Apogée stylistique évidente, Kobayashi multiplie les techniques de mise en scène pour rendre son oeuvre à la fois audacieuse et haletante, n'en déplaise à certains mais Rebellion est un film extrêmement exigeant et il fallait quelques grands moments de cinéma pour sauver l'ensemble de l'ennuie le plus total. La première heure est ainsi délicate, longue et ténébreuse, instaurant un climat étouffant au fur et à mesure que les langues se délient et que Isaburo se durcit dans ses positions. La mise en scène est aussi à l'image des protagonistes. Lorsque le chambellan lit une lettre envoyée par Isaburo, la lumière s'éteint, un spot lumineux braque le lecteur, une technique déjà utilisée par Kobayashi notamment dans le chef d'oeuvre du drame guerrier La condition de l'homme pour accentuer davantage cette tension, cette solitude au moment même de l'action.
Et Kobayashi réalise le sans-faute du point de vue formel, alternant les travellings, ouverture d'un autre décor au second champ, zooms d'une violence inouïe lorsque la cocotte-minute est prête à exploser, gros plans Leoniens pour capter -une fois de plus- la tension, le cinéaste étonne et réveille car la première partie fut longue, presque ennuyeuse. En revanche, rien à redire sur ce qui se passe par la suite, c'est juste du grand cinéma. Confrontation Mifune/Mishima par la parole à tomber par terre (pendant que Dame Ichi est prise en otage), prémices d'une séquence barbare opposant Mifune à une armée de samouraïs, et duel final tout simplement anthologique, aussi brutal et surprenant que celui de Sanjuro à un degré bien sûr différent. Le code d'honneur à son paroxysme puisque cinq minutes avant, Nakadai portait délicatement dans ses bras l'enfant de son duelliste à mort.
un superbe hymne à l'insoumission
Avec Rebellion, Kobayashi continue magnifiquement son attaque contre les valeurs japonaises traditionnelles entamée dans la Condition de l'Homme et Hara Kiri. Rebellion critique violemment la notion japonaise de sacrifice au groupe et à l'intérêt national. Isaburo s'est élevé au sommet par ses seuls talents au sabre et son sens du sacrifice. Mais, dès que le seigneur essaiera de lui confisquer sa belle fille, il se rendra compte de la vanité de son existence : il n'a jamais accompli d'acte véritablement individuel et celui pour qui il s'est sacrifié veut disloquer sa structure familiale. La rebellion d'Isaburo est le seul moyen pour lui que sa vie ait un sens car, à l'instar du héros de la condition de l'homme, il s'élève contre des valeurs qui aboutissent en pratique à des situations d'une grande barbarie : le hara kiri est aussi cruel que l'obligation de mourir en kamikaze, l'obéissance absolue au chef conduit aux pires dérives dictatoriales et à une volonté inadmissible de régenter la vie privée de ses sujets. Le final montera la difficulté d'un être seul à s'opposer à l'injustice (thème déjà présent dans condition de l'homme).
Le film confirme la capacité du scénariste Shinobu Hasimoto à confectionner des récits capables de transcender les enjeux du cinéma de sabre : il avait co-écrit les 7 samourais ainsi qu'écrit 1 an auparavant un Sword of Doom déjà avec Mifune et Nakadai qui anticipait par certains de ses aspects le cinéma de Chang Cheh. Le final de Rebellion où Isaburo libère sa rage contenue durant tout le film fait écho à celui de Sword of Doom.
Comme à chaque fois qu'ils sont réunis à l'écran (Sword of Doom, Sanjuro), le tandem Mifune/ Nakadai fait des étincelles : Mifune est formidable de haine contenue face à un Nakadai incarnant la soumission froide à l'ordre établi.
Quant à la réalisation, elle intègre les acquis de la tendance réaliste du film de sabre de l'époque tout en ne faisant pas table rase des acquis kurosawaiens : si les zooms, les arrets sur image, les cadrages rapprochés, les caméras pivotant rapidement d'un personnage à l'autre expriment magnifiquement les haines et les frustrations des personnages, Kobayashi n'oublie pas de cadrer ses intérieurs comme une scène de théatre à l'instar du maitre. La mise en scène des combats qui crée magnifiquement la durée dans les confrontations ainsi que leur résolution très brève nous rappellent que le chambara n'est jamais que le cousin nippon du western. A l'instar de Ford et Hawks pour le western, les grands cinéastes japonais (Kurosawa, Kobayashi) ont utlisé le film de sabre pour proposer leur vision de l'existence et des valeurs fondatrices de leur nation. De par son charisme et son coté proche du Japon rural, Mifune a pu occuper dans le genre une place qui n'est pas sans rappeler celle de John Wayne dans le western.
Chef d'oeuvre
Je me suis pris une vraie baffe en regardant Rebellion, tant ce film frôle la perfection à tous les niveaux. La narration tout d’abord, d’une limpidité telle qu’il semble facile et évident de faire du Cinéma, sait captiver l’attention en développant de manière crescendo la tension, une tension palpable et ébouriffante qui atteint son apogée lors d’un final à couper le souffle : on frissonne quand Sasahara (Toshiro Mifune), samouraï talentueux à la retraite qui a toujours été dominé par sa mégère de femme, élève la voix pour la première fois en traitant son fils d’imbécile qui ne doit pas rendre sa femme au Suzerain sous prétexte que c’est le règlement, quitte à provoquer la ruine de la maison ; on trépigne en voyant débarquer à grands pas dans son fief les émissaires du Chambellan, furieux et outrés de la résistance de cette famille à la volonté gouvernementale ; on s’esclaffe en contemplant Tatewaki (Tatsuya Nakadai) renvoyer dans les cordes le Chambellan qui lui demande de se débarrasser de Sasahara et de son fils. La force de toutes ces scènes est encore tirée vers le haut par une mise en scène et des cadrages impeccables, une interprétation grave et musclée dominée par 2 monuments du Cinéma Japonais, et surtout des dialogues ciselés dont chaque mot, précis et soupesé, tranche comme la lame d’un sabre.
Cette résistance héroïque face à l’ordre établi et à cette société procédurière, hiérarchisée d’une telle force que des décisions égoïstes et inacceptables peuvent être prises sans que personne ne les remettent en cause (le début du fascisme ?) est salvatrice, tant elle fait appel aux valeurs profondément humaines de chacun, et de l’âme nippone en particulier : l’honneur, la justice, le sacrifice de soi pour une cause noble. La voie du samouraï est ici magnifiée même si elle s’oppose à ses traditions séculaires : l’ordre, l’obéissance, et même le seppuku qui est rejeté d’un revers de la main (l’Honneur est plus justement défendu si l’on combat que si l’on se donne la mort…). Un film révolutionnaire et tout à fait incontournable de l’âge d’or nippon.
Seuls contre tous.
Mazette quelle oeuvre ! Je trépigne de pouvoir enfin voir
Kobayashi à l'oeuvre dans les légendaires
Kwaidan et
Hara Kiri et voici déjà une formidable démonstration de maîtrise au coeur d'un statisme rebutant forcément le novice (mais pas le curieux). Que nenni, nulle crainte à avoir, le récit s'élance et tout à priori part en lambeaux. 2h00 de plans fixes et de légers zooms préparés au microscope où seuls comptent la beauté du plan dans son épuration la plus totale, la présence des acteurs, le drame, les dialogues et leur portée ; et le résultat est bluffant à tous les niveaux, bluffant dans la tension et l'implication qu'il génère malgré une lenteur et une immobilité qui représenteraient même une sorte de mètre étalon de la fausse image du film japonais lent à mourir et ch.., bluffant dans le décalage entre ses dialogues d'une franchise, d'une rebellion et d'une honnêteté à toute épreuve et les postures parfaites, quasi inamovibles (balai dans le c., allons-y gaiement pour les poncifs) des protagonistes dont les visages graves, passionnément décortiqués en gros plans oppressants, baignent dans un noir et blanc saillant qui n'a d'égal que la parfaite géométrie du plan (quel générique, quel plan de dame Ichi illuminant les deux lanciers, quel face à face final ! ...). Quelques menus bémols subistent mais le résultat est fascinant et lourd de contestation. Après
Les 7 Samouraïs et
Le Sabre du mal,
Hashimoto montre encore et toujours son génie à pondre et à découper magistralement une histoire au réalisme prenant et au contexte historique captivant, et Kobayashi de parfaitement transcrire le drame contestataire qui se noue.
Yoko Tsukasa y incarne une vibrante jeune épouse qui, si elle est condamnée à être un objet balloté, n'en garde pas moins une féroce indépendance qui scelle son amour avec force. Coincé entre le suzerain et sa cours, la famille peu compréhensive et une hiérarchie totalement hermétique aux sentiments, Toshiro Mifune lui ne désire plus qu'une chose, vivre ou tout du moins penser librement et faire éclater son coeur trop longtemps resté endormi, autant pour permettre à son fils et à l'amour qu'il porte pour sa jeune femme de s'affirmer avec force que pour lui-même, samouraï émérite n'ayant toujours combattu que pour les autres, de combattre enfin pour de bonnes raisons, quitte à porter ses convictions jusqu'à Edo si il le faut avec sa petite fille, et affronter le gardien de la frontière, Tatsuya Nakadai, son frère mais aussi son penchant soumis. Il s'agit bien de libérer son fils du joug féodal dirigiste pour qu'il évite de mener la même vie de servitude, mais aussi pour lui-même de libérer enfin sa conscience quitte à ruiner sa famille. Il s'agit aussi de dénoncer la pratique déshonorante du Hara Kiri avec splendeur et d'appuyer la notion de sacrifice dans ce qu'elle a de plus noble (quel final !).
Premier film coproduit par Mifune lui-même et tourné dans ses propres studios, on sent le grand monsieur très engagé dans ce drame historique et partout à la fois, aussi à l'aise en grand père attentif, père compréhensif que guerrier insoumis. Il reste une lenteur statique obligée et quelques dialogues qui peuvent friser la répétition et lèser un chouilla la grandeur de la chose mais bon, c'est du détail, en bref, de la bonne grosse claque.
Précision comique : Nakadai qui avoue tout sourire avoir été bien pinté le jour du duel final, tout comme Mifune qui lui aussi aimait chopiner. Chapeau les artistes !
beau mais statique
Maître dans la Garde, Mifune se voit contraint de prendre pour bru une concubine que son Seigneur a délaissée. Lorsque l'enfant qu'a eu cette femme avec le Seigneur devient la mère du potentiel héritier, Mifune s'oppose à son départ de sa nouvelle famille et à son retour au Château. Il entre en rébellion contre son seigneur, qui veut maintenant reprendre ce qu'il avait donné, et lui a ordonné de commettre le seppuku.
A la mort de son fils et de sa bru, lui assassiné par la soldatesque du Seigneur, elle suicidée, Mifune tente de partir pour Edo plaider sa cause auprès du Shogun. Mais pour cela, il lui faudra vaincre le gardien des frontières, son ami et rival...
Le film est très illustratif des qualités et défauts du cinéma de Kobayashi : tout le film progresse très lentement, avec une lenteur qui me semble plus proche de la pose et de la pompe que procédant d'une vraie exigence stylistique, vers l'inévitable combat final. Le film manque d'arguments scénaristiques puisqu'un Kurosawa ou un Ichikawa auraient expédié l'heure et demie d'exposition du film en 20 mns ! On attend, on attend, on attend. Certes, le N&B est sublime, la mise en scène au cordeau, la direction artistique remarquablement épurée : un bonheur d'architecte ou de géomètre que le cinéma de Kobayashi... Certes, le message de rebellion contre la culture samouraï des Tokugawa, de respect de la femme, est pertinent. Certes, le combat final (la chute dans les roseaux....) est admirablement filmé. Manque un sentiment d'urgence et de passion.
un autre chef d'oeuvre de kobayashi....
un duo de comédien révé( nakadai/mifune quand meme!!)
une realisation proche de la perfection.
un modèle de dramaturgie.
une tension constante.
que demander de plus??
Les insoumis.
Film sur l'insoumission, Rebellion est une réflexion sur la dualité entre l'homme et le système dont il dépend.
Toshiro Mifûne y interprète le rôle d'un père qui prend conscience de ce qu'il aurait toujours voulu être au moment ou l'heure du repos du guerrier sonne le glas d'une longue vie de servitude et de dévouement à l'autoritarisme représenté par un seigneur aux manières despotiques et une épouse antipathique, lorsque son fils est victime d'aimer une femme qui est l'antithèse de la sienne, il prend les armes pour défier ce qu'il a toujours défendu.
La réalisation de Masaki Kobayashi est toujours basée sur une description très méthodique et une culture de la disséquation. La photographie est comme toujours chez le maître d'une beauté frappante, les interprètes, Mifune en tête, sont d'une justesse appropriée dans leur jeu.
Le tout est dépeint avec un rythme lent, mais dans lequel on ressent une sorte de pression qui présage un final explosif d'une violence inouïe.
Une grande oeuvre de maître.
Un monde où les sentiments ne comptent pas
Après une parenthèse dans le fantastique avec le fascinant mais inégal
Kwaidan, Masaki Kobayashi retrouve la veine du drame déguisé en chanbara qui avait inspiré
Hara Kiri, son œuvre la plus connue et admirée. À la manière de celui-ci,
Rébellion bouillonne, se contient patiemment, puis finit par exploser telle une cocotte-minute en effervescence. Il y a d’étonnantes similitudes entre les deux films qui vont au-delà de la progression narrative, de la critique du système féodal nippon et de la vendetta individuelle à grands coups de katana: les protagonistes incarnés par Toshiro Mifune comme par Tatsuya Nakadai dans
Hara Kiri sont des individus dociles, soumis aux règles qu’on leur impose et même bien intégrés au sein de leur environnement social, qui se trouvent confrontés à une accumulation d’injustices déclenchant leur foudroyante révolte personnelle contre l’élite. Il ne s’agit pas de marginaux ou de redresseurs de torts par nature, mais de simples patriarches poussés à bout par la cruauté de leurs suzerains, qui ordonnent le harakiri comme on envoyait les « hérétiques » au bûcher durant l’Inquisition. La photographie de
Rébellion est plus dynamique et débridée que celle de son prédécesseur, avec une grande variété de mouvements d’appareil, des zooms brutaux, des gros plans obsessionnels et un jeu sur les cadres représentatifs d’une certaine esthétique des 60’s qu’on retrouve à divers degrés dans les westerns spaghetti et les wu xia pian réalisés à la même époque. Malgré quelques longueurs et une chorégraphie des combats parfois bancale, ce film reste par son aboutissement thématique et sa vitalité formelle l’un des chefs-d’œuvre de Kobayashi.
Ni Dieu, ni maître...
Kobayashi réalise un nouveau magnifique métrage sur la dénonciation des fameux codes d'honneurs chers au Japon et notamment sur l'aveugle dévouement que doit un vassal à son maître.
Finalement, un homme ayant sacrifié sa vie pour le compte de son seigneur se rend compte, qu'il n'est qu'un simple pion sur l'échiquier du jeu du pouvoir de son maître.
Voulant réaliser son propre bonheur, il en est empêché par un infernal engrenage de jeux de pouvoirs et devra y laisser sa vie.
Un nouveau regard très dur sur la cruauté des hommes après son magnifique triptyque "La Condition de l'Homme", Kobayashi est toujours autant d'actualité même en plaçant son intrigue sous le règne féodal.
Un très grand film au final époustouflant de beauté et de violence.