E tu vivrai nelle terrore...
Les films de bataille, de guerre et de chaos sont nombreux. On l'a vu, avec Peter Jackson et ses centaines de trolls numériques. Ici, point d'artifices bâtards et lâches, on veut du goût, du vrai! Kurosawa répond à nos attentes. Fable déchirante, violente et incroyablement pessimiste, Ran est la décadence d'un japon médiéval complètement pourrit par la corruption et le traîtrise. Jamais nous n'aurons vu tels complots et tels retournements de veste, tout juste perceptibles dans les polars nippons des années 70, Fukasaku en tête. Orné d'une réalisation majestueuse, toujours j'aurai préféré l'utilisation du Tohoscope, Ran titille la rétine avec ses batailles hallucinantes, réalistes et sans le moindre effet spécial. Ici, ce sont bien cent chevaux qui galopent, cinq cents mecs en costume de samouraï qui courent tous en ligne telles les légions étrangères d'antan. Oui, Kurosawa a le sens de l'exceptionnel, du grandiose, du "truc" qu'il n'y a pas chez son voisin.
La traîtrise, l'acharnement et le dégoût rendront Mon Seigneur fou, tuera ses fils, fera s'entretuer tout un peuple. Une décadence qui ne prête pas à sourire, dont le regard qu'y porte Kurosawa fait froid dans le dos, en témoigne ce plan final avec le dépliant Buddha, d'une froideur et d'un pessimisme ahurissant.
un royaume se pourrit et un chef d'oeuvre fleurit
Après le Chateau de l'araignée, Kurosawa nous offre une nouvelle superbe adaptation de Shakespeare. Cette transposition japonaise du Roi Lear est tout bonnement soufflante.
Les repères moraux s'effondrent, un monde est en voie de pourrissement et Kurosawa accompagne sa chute de sa caméra virtuose. Cinq ans ont passé depuis Kagemusha et le pessimisme de Kurosawa semble s'etre radicalisé: si Shingen restait impassible face aux changements du monde, ici aucun des personnages n'est épargné par un univers où le complot et la trahison sont devenus la norme. Et Ran de refléter visuellement ce désastre à coups d'images marquantes: Hidetoru (Tastuya Nakadai) trainant son sabre dans une pièce en feux puis en sortant et descendant un escalier tandis que les soldats s'écartent épouvantés comme à l'apparition d'une créature surgissant des enfers, les plans insistants sur les cadavres dépecés ou ensanglantés, la tete de renard remis à la veuve de Taro, arriviste qui s'introduit dans la cour pour la détruire de l'intérieur, suivi d'un discours affirmant que les renards peuvent prendre la forme d'une femme pour perpétrer leurs méfaits, Hidetoru assailli de visions près du chateau qu'il avait brulé pour s'élever au sommet ou se prosternant devant le cadavre de son fils mort.
Mais Ran est aussi le récit d'une rédemption par la chute. En se retrouvant mis au ban de la société par ses fils, Hidetoru va sombrer dans une folie qui va lui faire revoir et regretter toutes les atrocités qu'il a commises, rencontrer un homme dont il a crevé les yeux mais qui ne ressent pas malgré tout de haine pour lui. Cette rédemption est d'autant plus forte qu'elle se fait dans un monde sans Dieu. Le personnage de l'ancien bouffon du seigneur, qui s'est converti au bouddhisme, se demandera pourquoi Bouddha laisse des atrocités se perpétrer sur terre sans intervenir et ira meme jusqu'à sous-entendre que le spectacle de l'horreur humaine est un divertissement pour les Dieux. Le bouffon qui commente les événements quand il est dans la cour puis quand il soutient Hidetoru joue un role de véritable voix off du film et son ton devient de plus en plus empreint de gravité au fur et à mesure du film. Si, contrairement à Kagemusha, l'interprétation de Nakadai ne se situe que dans un registre pathétique, elle est superbe et nous fait ressentir les éclairs de lucidité comme les accès de folie du vieux patriarche. Son personnage mourra certes fou mais, contrairement au monde qui l'entoure, il mourra en étant changé (et certains diront qu'il vallait mieux qu'il meure que de continuer à vivre dans un monde sans Dieu). Il s'agit d'ailleurs de la seule note humaniste du film, note malheureusement sans lendemain.
La mise en scène de Kurosawa fait écho par son sens de l'ampleur à l'ampleur des batailles et de la perte de repères, du règne de la loi du plus perfide enregistrés par la caméra. Les intérieurs sont filmés comme un décor de tragédie, le film multiplie les plans sur les ciels nuageux et le brouillard a la meme puissance évocatrice que dans les autres jidai geki de l'empereur du cinéma japonais (et mondial). L'utilisation de cordes accentue le caractère tragique de la dévastation du chateau et de la sortie d'Hidetoru d'un chateau en feux. L'horreur du meurtre de l'arriviste veuve de Taro est rendue par un geyser babycartesque se répendant sur un mur et le plan où toute une troupe se retrouve décimée par des soldats maniant l'arme à feu souligne l'aveuglement de chefs militaires envoyant leurs soldats à une mort certaine parce qu'ils se sont jetés sans réfléchir dans l'action.
Avec Ran, Kurosawa offrait une fresque belle mais désespérée, l'oeuvre d'un homme qui ne se reconnaissait plus dans ce qu'était devenu le Japon. Et en offrant au cinéma japonais une nouvelle grande oeuvre il le maintenait à flots en attendant le rebond des années 90. L'empereur régnait sur un royaume aussi délabré que celui des Ichimoji et continuait à ne pas bouger, donc à rester au sommet.
Grandiose
Ce film se vit comme un tout organique au sein duquel les destins individuels se réalisent sans aucune liberté de choix. Voilà le principal apport shakespirien, Kurosawa se contente d'une mise en image dont la lenteur du développement n'est pas sans rappeler un certain Sergio. Heureusement la photographie du film, par la beauté de plans proposés, soutient le développement sans devenir esthétisante. Un bel exercice de style de la part de M. Kurosawa et au final un monument de tragédie.
29 décembre 2003
par
jeffy
Le dernier film de samourais de Kurosawa, superbe mais très pessimiste.
Il y a quelque chose de pourri au royaume des Ichimonji. Hidetoru a bataillé ferme durant
toute sa vie, en répandant du sang innocent, en crevant des yeux, en torturant et peut-être
même en trahissant, pour pouvoir régner sur un domaine recouvrant 3 châteaux. Mais au moins
avait-il l'espoir de cet engrenage de violence se terminerait avec la génération suivante.
Ainsi, lorsqu'il rassemble ses 3 fils, Taro, Jiro et Saburo, dans une grande prairie
et qu'il leur promet chacun un château puisque lui se retire des affaires, ce vieux fou
au physique incomparable a la certitude qu'il a rempli son rôle de père et qu'il vivra une
retraite paisible en voyageant de château en château.
Il cède donc ses terres à son aîné Taro. Jiro est d'accord mais le cadet, Saburo, monte sur ses
grands chevaux et traite son père de fou et d'inconscient. Ce dernier le répudie; il aurait
mieux fait de l'écouter... Car dès lors, Taro va asservir son père, le renvoyer de son château
puis s'allier avec Jiro pour envahir avec ses troupes le domaine de Saburo. Dans la bataille,
Jiro en profite pour tuer son frère Taro et s'emparer du pouvoir. La veuve de Taro, femme
perfide et arriviste (reconnaissable à ses faux sourcils en haut du front), fait du chantage
à Jiro et devient sa femme. Mais la résistance s'organise autour de Hidetoru, bien content
de pouvoir compter sur Saburo...
Je ne vous en raconte pas plus, mais il est clair que cette tragédie familale à des forts
relents de pièce de théâtre à la Shakespeare; ça tombe bien puisque Ran s'inspire très librement
du Roi Lear. Mais Kurosawa se sert de cette trame dramatique
pour filmer ce qu'il a envie de filmer: la bêtise des hommes, qui cherchent à tout prix
la douleur au lieu du bonheur. D'ailleurs, Ran signifie chaos en japonais. Pour ce faire, il
se place du côté des Dieux, régulièrement invoqués pendant le film, et contemple ce pitoyable
spectacle avec une lucidité qui est la marque des sages. Ainsi, les 2 scènes de batailles
inoubliables qui opposent des soldats avec leur bannière accrochées dans le dos et
qui font des centaines de morts, sont filmées sans emphase, de manière très détachée. Les hommes
tombent comme des mouches, et c'est ridicule. La première scène est quant à elle uniquement
musicale, aucun bruitage ni dialogue, et renforce cette idée d'impuissance face à la connerie
qui dévore notre espèce.
Pour tout dire, Ran frise la perfection. Kurosawa a choisi un point de vue original et sage,
mais il n'a pas oublié le spectacle qui est de chaque instant. Les décors sont extraordinaires
(voir la reconstitution des châteaux), les scènes de batailles dantesques,
chaque personnage a du caractère et est parfaitement
écrit, tout s'enchaîne merveilleusement bien. Bref, on en redemande. Reste que pour retrouver
le talent, l'audace et la folie des grandeurs de Kurosawa, il va falloir se lever de
bonne heure car il a placé la barre très haut!
j'ai adoré
J'avais pas mal de chose à dire pour ce film mais bon, ce ne serait que des reformulations de ce qui est déjà écrit!!!
Mais j'adore
Rien. Rien du tout.
Il faudrait accueillir Ran d'un grand éclat de rire nietzschéen. Lui seul peut-être oserait aujourd'hui proclamer cette évidence : Kurosawa, c'est du sous-Sergio Leone. Son scope mou et ses couleurs faussement exangues, sa sanguinolence théatrale, en stuc, kitsch, tout cela fait rire. C'est du Shakespeare-spaghetti. Déjà, rien que le fait qu'il s'agit, une fois de plus, de Shakespeare devrait nous titiller les zygomatiques. Encore et toujours, chez Kurosawa, le degré zéro du regard, la prostitution totale à un totalitarisme cinématographique importé, font de lui un escalve - ou un clown, cela dépend du film. Ran, comme les autres, est raté. Un plan de clôture zen de pacotille devrait nous faire croire à la grandeur. On est déjà sorti de la salle : ce plan, on l'a vu chez tous les maniéristes du scope, de Leone à Minghella, de Lean à Lucas. Ran et La guerre des étoiles, finalement, c'est la même chose. Mais le second est meilleur.
Un grand film
Oui, Ran est un film theatral, et alors? Le theatre est-il seulement occidental?
Non, le clown ce n'est pas Kurosawa, c'est notre apprenti-Nieszche qui fait probablement pas la difference entre le kabuki et le no.
De plus, comparer Kurosawa a Sergio Leone, pourquoi pas (on pense a Yojimbo notamment) mais concernant Ran je ne trouve pas cela tres approprie. A croire que certains n'ont vu que des extraits du film.
Ajoutons enfin que ceux qui se lamentent parce qu'un Kurosawa adapte Shakespeare sont souvent les premiers a s'extasier devant l'inspiration Art Negre de Picasso et consorts.
J'adore les longues histoires épiques signées KUROSAWA Akira :D
Je suis plongé dans l'époque dès les première minutes, complètement absorbé. Autant vous dire tout de suite, je n'ai de ce fait pas du tout senti passer les 2h40 !
KUROSAWA Akira a décidement quelque chose en plus pour mettre en scène les grandes batailles avec beaucoup de figurants dans l'ombre des héros de premier plan. Ça c'est du cinéma ! Pas d'effets spéciaux, tout à la pogne messieurs dames ! A chaque combat on est scotché à son fauteuil, l'action est restituée avec beaucoup d'ampleur.
Je suis aussi friand de cette ambiance particulière au Japon entre le XVIème et XIXème siècle. Chaque histoire prend des airs de légendes, c'est presque fantastique qu'en on y pense. Les châteaux sont toujours imposants, les armées considérables, l'honneur et les rapports de force monnaie courante... bref, de quoi s'en mettre plein les yeux !
Encore faut-il compléter cette recette par un casting digne de ce nom. Et quand KUROSAWA Akira ne fait pas appel à MIFUNE Toshiro, devinez qui s'y colle ? Le grand NAKADAI Tatsuya bien sûr ! :)
Il est accompagné de tout aussi excellents acteurs que sont TERAO Akira et la fameuse espiègle HARADA Mieko, qui ont déjà tous deux été grandioses dans "Après la Pluie" notamment.
Les femmes ont encore une fois, comme dans "Le château de l'araignée", un fort pouvoir sur leurs hommes, de grandes manipulatrices qui arrivent toujours à leur fins. Comme le dit le grand seigneur joué par NAKADAI à l'un de ses 3 fils : "La poule fait chanter le coq, et le coq est ravi !"
Vengeance et soif de pouvoir ont toujours fait couler le sang, la sagesse de KUROSAWA (toujours un peu moralisateur sur les bords) nous le rapelle aussi dans "Ran".
Bon Kurosawa
Bon film, assez spectaculaire, avec une ambiance de solitude des personnages bien rendue, qui raconte l'histoire tragique d'un roi et de ses 3 fils. Les destins se croisent, s'affrontent et meurent... Tragédie Shakespearienne. Néanmoins, ce n'est pas un chef d'oeuvre à mon goût car un peu lent, et parfois l'émotion ne passe pas vraiment. De plus, les héros des débuts de Kurosawa me manquent un peu.
ran est un grand film
ce que je trouve admirable dans le cinema de kurosawa, c'est sa maniere d'exprimer ses idées et de transmettre son message a travers une apparente simplicité. Il ne donne pas l'impression de s'acharner à vouloir bassiner le spectateur, ici tout se deroule naturellement. Seul petit hic, vraiment minime, c'est le choix d'extreme theatralisation du personnage principal, je sais que ran est inspiré d'une piéce de shakespear, mais sur la fin du film, plus sa situation se dégrade et plus c'est theatralisé, cela sert à accentuer la situation, la tension etc., mais bon à force...
à part cela, ran permet, comme tous les grands films de kurosawa, de s'interroger sur la nature humaine, encore une fois, c'est vraiment intéressant
Beauté cinématographique
Ran, film historique sur l'époque des samouraïs, est une oeuvre typiquement "Kurosawa" avec ce soucis du détail et ce pessimisme qui le caractérise. Au même titre que Kagemusha, les images sont sublimes, et je dirais avec une distinstion supplémentaire pour Ran. Ran exprime avec douleur les conséquences des délires de quelques hommes: souffrance, guerre et tristesse. Le chef du clan a cru que les sentiments exprimés étaient une science exacte. Seulement, l'homme reste l'homme, qu'on soit père ou fils, la quête du pouvoir n'a pas de prix, et le vieux père va l'apprendre à ses dépends en écartant la sincérité pour laisser place à la flatterie. Ran sera la dernière oeuvre de Kurosawa sur le thème des samouraïs, un sujet bien complexe, et ce film est, à mon humble avis, une de ses oeuvres les plus abouties.
Nippon Lear...
Superbe adaptation du Roi Lear de Shakespeare, long, dense, dur, émouvant, splendide, intense, bref indispensable. L'esprit de Shakespeare reste très présent malgré l'aclimatation qu'il doit subir. Le seul personnage rajouté à la trame originale (la femme-renard à neuf queues) est des plus pertinents. Après le trop long Kagemusha, Kurosawa trouve un équilibre parfait entre dramaturgie et contemplation, entre action et psychologie et signe un film en apesanteur.
Un classique quelque peu surfait
En cette période relativement creuse de l'industrie cinématographique nipponne, le senseï Kurosawa mène toujours la barque.
Ran, qui fait office de seconde adaptation du
Roi Lear de Shakespeare dans sa filmographie après
Le Château de l'Araignée réalisé près de trente ans plus tôt, se veut une titanesque production franco-japonaise dans laquelle le cadre du Japon féodal du XVIe siècle où une simple querelle familiale aboutissant à une succession de batailles livrées par trois royaumes différents sert de prétexte à une puissante étude psychologique sur la traîtrise des hommes et leur perte de loyauté. En dépit d'une reconstitution magistrale (mise en scène, décors et costumes sont à couper le souffle),
Ran déçoit par la théâtralité excessive de son interprétation et ses trop nombreuses lenteurs. Kurosawa s'éternise sur des plages de dialogues poético-philosophiques et des plans fixes d'une durée parfois interminable entre deux morceaux de bravoure filmés de manière, il est vrai, pour le moins époustouflante. À ce titre, on pourra s'étonner du haut degré de violence graphique de l'œuvre, laquelle n'hésite pas à mettre en évidence de la façon la plus crue qu'il soit la boucherie se déroulant sous nos yeux, malgré un sang d'un rouge – volontairement ? – trop vif pour paraître réellement crédible. On ne va pas remettre un tel fait en question:
Ran est objectivement l'un des films les plus importants de son auteur doublé d'un prestigieux classique du cinéma historique japonais, au souffle épique sidérant. Seulement, sur ces 2h40 de bobine, un bon tiers se révèle ennuyeux et on ne peut finalement s'empêcher de préférer certains métrages kurosawaiens plus personnels, mineurs, ou moins réputés, d'une valeur moins grande mais davantage dignes de nous procurer du plaisir.
Les herbes dorées
Je n'ai revu ni
Kagemusha ni
Ran depuis leur sortie. Je me souviens avoir été affreusement déçue par
Kagemusha, et rassurée par
Ran : Kurosawa sensei était toujours là, avec ses faiblesses et ses chevaux.
Dans le coffret Kurosawa édité par Arte-Vidéo on trouve, entre autres bonus, le célèbre court métrage
AK de Chris Marker, qui a précisément été réalisé pendant le tournage de
Ran. Mais ce n'est pas un film de film ; ce n'est pas vraiment non plus un film sur la vedette Kurosawa ; c'est un documentaire qui parle du métier de cinéaste.
Voir
AK est frustrant, parce qu'on n'apprend rien de bien excitant, sinon le vieillissement ou la mort des coéquipiers de Kurosawa ; et qu'on partage la frustration de tous ces gens qui poireautent en attendant que le soleil se montre, que les figurants soient habillés, que les chevaux se calment, que les acteurs arrêtent de se tromper dans leur texte.
Chris Marker est constamment présent dans
AK, mais en retrait, il est là pour parler de cinéma, il se défend de filmer des images dont la beauté n'aurait pas de sens. Mais il a filmé un champ d'herbes que, sur la demande de Kurosawa, l'équipe avait mis des heures à passer à la peinture dorée, pour une scène de nuit. Qui a été coupée au montage.