Xavier Chanoine | 3.5 | Souvent surprenant. |
Ordell Robbie | 5 | un sommet contemplatif et mystique |
MLF | 4.5 | |
jeffy | 4 | Grandiose mais... |
drélium | 4.75 | Au royaume de King Hu |
Anel | 3.5 | |
Alain | 2 |
Par delà les montagnes (ce dont suggérait le titre) on trouve surtout un temple Bouddhiste et une enquête policière dans un univers plus souvent axé sur les combats aux sabres et le Kung Fu esthétique. A vrai dire, le métrage de King Hu se déroule essentiellement dans cet immense refuge, les montagnes étant souvent le lieu de combats ou de contemplation. A ce stade, l'introduction franchement longue laisse le soin à King Hu de présenter un univers naturel très souvent sublime qui va de surcroît contraster avec ce qui va suivre : traîtrise, violence et malhonnêteté, un comble pour un ensemble d'univers à priori saints. Le temple est le théâtre de tours de passe-passe, de tentatives de meurtres et d'exagération scénique, le personnage de Tien Feng semblant par exemple sortir tout droit des opéras chinois traditionnels où l'exagération et le grossissement des traits étaient monnaie courante. Raining in the mountain est donc une sorte de farce policière fort bien menée et artistiquement réussie.
Sachant que King Hu est à la fois à la réalisation, au scénario et à la direction artistique, l'ensemble ne peut qu'être réussi malgré des longueurs préjudiciables à la dynamique générale, même si elles ne font que fluidifier et renforcer la trame déjà bien garnie où chaque personnage est étudié avec soin. Le voleur repenti est d'ailleurs un bel exemple de rachat, comme quoi chacun peut dans le fond rattraper ses erreurs en se vouant corps et âme à une philosophie ou religion, c'est selon. On appréciera aussi ce ton volontairement absurde qui en inspirera plus d'un pour la réalisation des futurs classiques du Kung Fu par Tsui Hark, Sammo Hung ou encore Jackie Chan.
Esthétique : 4/5 - Gros travail sur le cadrage et l'harmonie des décors.
Musique : 4/5 - Une musique qui étonne par son ampleur quasi épique.
Interprétation : 3.5/5 - Intéressante au vu du physique particulier de certains personnages.
Scénario : 4/5 - Un brillant mélange de polar, de comédie et de Kung Fu.
Si la richesse d'un A Touch of Zen était dans son équilibre entre le métaphysique et l'action, King Hu bascule avec Raining in the Mountain la plupart du temps -sauf dans les scènes d'action finales- du coté du mystique. Certes, l'introduction est toujours très longue mais l'installation se fait cette fois-çi au travers de plans séquences très distants proches du cinéma japonais classique qui paradoxalement rendent l'émotion plus forte, paradoxe qui fait écho à celui de la superbe scène où les moines ne peuvent s'empecher de regarder les nymphettes baignant dans des eaux vaporeuses tout en récitant leurs sutras.
Et cette très longue et virtuose introduction ne débouche pas comme dans A Touch of Zen sur une explosion d'action mais sur la mise en place de thèmes tels que la rédemption et la tentation à l'intérieur d'un lieu clos. Il s'agit de l'installation d'une atmosphère de recueillement et non d'une montée en puissance accompagnée de traits d'humour comme dans ce dernier film. Dans A Touch of Zen ou l'Auberge du Printemps il s'agissait d'attirer l'ennemi dans un lieu clos; ici les mouvements se font à l'intérieur d'un lieu clos ce qui ajoute à la théatralité offerte par une mise en scène contemplative héritée du cinéma japonais de l'ère classique. On se cache, s'épie, on cache ses intentions (de vol, de pouvoir), on se retrouve piégé, on est tenté, un ancien voleur peut s'y retrouver moine et connaitre la rédemption par l'élévation spirituelle. Le renoncement la plupart du temps à l'action provient d'une thématique plutot axée sur l'idée de lutte contre soi. L'environnement n'a jamais autant parlé aux personnages afin de les pousser à enlever leurs masques, à faire fi de leurs fautes passées, bref à renoncer à leurs machinations, aux motifs profanes qui les ont amenés au temple. Et cette idée de "piège" se refermant sur les personnages trouvera sa plus pure expression dans un final où les assaillants semblent etre la manifestation physique des fautes des fuyards, un peu comme pour leur dire qu'ils ne pourront pas quitter les lieux, que leurs fautes les rattrapperont toujours, bref qu'ils ne peuvent progresser à contresens de l'ordre naturel des choses (cette nature présente ici thématiquement alors qu'elle le sera d'un point de vue de la mise en scène dans le complémentaire du film Legend of the Mountain). Le film s'achèvera d'ailleurs par la suppression de la source des tentations.
De Raining in the Mountain il faut aussi dire la splendeur picturale de chaque plan qui échappe néanmoins à la peinture filmée par l'étirement de la durée, un score musical alternant sons glacés et cordes plus classiques, la rigueur de ses cadrages et surtout son utilisation bienvenue du format scope: le film est un huis clos donc de nature théatrale (théatralité qui se retrouve dans les chorégraphies de certaines scènes d'action) et dès lors le format choisi est celui qui ressemble le plus à une scène de théatre, un théatre des vanités et de leur expiation qui se déroule sous nos yeux. Certains trouveront ce film glacé alors qu'il ne fait que dégager une profonde austérité qui est celle du cheminement de ses protagonistes. On dira que c'est un film trop cérébral alors que les émotions sont bien présentes mais intériorisées (elles exploseront d'ailleurs dans la surenchère finale d'action). Dès lors, il n'est pas surprenant qu'il s'agisse d'un des films à l'origine du malentendu King Hu: peu d'action, un coté contemplatif très prononcé, une densité romanesque avérée, les qualités de Raining in the Mountain sont celles de certains sommets du cinéma japonais de l'age d'or -le cinéma comme art en rapport avec la littérature et les arts plastiques- donc pas vraiment quelque chose de neuf pour la cinéphilie des années 70 qui toisait la rage nihiliste et saignante d'un Chang Cheh. En ayant l'impression d'aller vers une autre culture au travers du cinéma de King Hu elle se retrouvait involontairement en terrain esthétique connu.
Mais c'est aussi la beauté d'un Raining in the Mountain que d'etre à contre-courant et également en avance sur son temps: on retrouvera la beauté des scènes de bains vaporeuses entrevues ici et le personnage du jeune moine bouddhiste dans Green Snake et la splendeur picturale des décors dans the Lovers tandis qu'un Legend of the Mountain préfigure plutot les Histoires de Fantomes Chinois par sa naiveté sans que l'élément action soit aussi prononcé que chez Tsui Hark. Avec le dyptique Raining in the Mountain/Legend of the Mountain la route des années fastes de la Workshop était déjà pavée. C'est un creuset où peut se lire à la fois l'incandescence du style King Hu et un véritable passage de témoin que confirmera un Butterfly Murders à la théatralité héritée de King Hu.
Pourquoi? Il n'y a qu'a regarder les 5 premières minutes pour comprendre, vous avez là le King Hu naturaliste, celui qui n'a pas besoin de paroles pour camper ses personnages, celui qui peut tout utiliser pour suggérer le tréfonds de la nature humaine. Mais après malheureusement cela change, plutôt que de délivrer un film, à l'instar de Wong Kar-Wai si l'on me permet cette analogie un peu osée, King Hu nous raconte une histoire, et par rapport à son talent cette limitation qu'il s'impose est presque une entrave à sa créativité. Evidemmment, cette histoire est magnifiquement mise en image, mais sa simple logique scénaristique grève déjà la liberté du réalisateur dans ce que je lui préfère. Alors il y a bien sur quelques moments où je retrouve ce lyrisme que j'aime tant, comme ceux dans la forêt vers la fin, mais globalement je trouve Raining in the Mountain plus conventionnel que Legend of the Mountain, même si cela reste un exercice de style que peu de réalisateurs peuvent se permettre et qui reste marqué de la griffe du talent.
Ni wu xia pian, genre auquel King Hu n'est que trop calfeutré, ni film contemplatif, Raining in the mountain est une immense partie d'échec spirituelle, mystique et méditative qui tient beaucoup (en effet) d'une version lumineuse du "Nom de la Rose". Pas de moine enquêteur attitré pour résoudre une sombre affaire de meurtre mais une communauté pieuse, un lieu sacré plein de savoir et une brochette d'invités qui recèlent tout autant de mystères à éclaircir, de personnalités à dévoiler. Scène après scène, à chaque détour des innombrables recoins de l'immense temple, un noeud se défait, une surprise apparaît, une énigme s'éclaircit pour mieux embarquer le spectateur aux yeux brillants, à la salive gourmande, complice d'un charme unique qui fait le cinéma des grands.
Des influences puisant dans le meilleur du cinéma occidental, un rythme millimétré, 10 personnages d'horizons distincts bientôt clairement campés d'un côté ou de l'autre et une beauté subjuguante de chaque plan ne suffisent à parfaire le travail si précis de King Hu. Il lui faut encore ce message de paix douce et simple, ce bouddhisme discret, cette richesse spirituelle des gens les plus simples, ce détachement de ceux qui savent voir et cet humour tout en finesse véritablement jouissif, pour donner encore et encore du plaisir.
A la frénésie de mouvements de ceux qui se battent discrètement pour ce sacré rouleau, s'appose la quiétude du site et la sagesse de ceux à qui l'on ne peut cacher ses intentions. Une opposition qui démultiplie encore la force du message de King Hu et unit son travail jusqu'à la perfection. Réalisé en Corée du Sud et en indépendant, en dehors des gros circuits de distribution, King Hu garde l'essence du cinéma HK divertissant en y ajoutant une patte spirituelle typiquement asiatique dont il garde le secret. Son récit, entièrement tourné en extérieur et dans un véritable temple coréen, propose pour finir une distribution d'acteurs remarquable qui ajoute encore à son authenticité.
Peut-être moins brillant que "Touch of zen", plus court et uni dans son propos, très peu démonstratif en combats célestes et bondissants, moins elliptique dans son final, "Raining in the mountain" n'en reste pas moins une formidable démonstration, aussi complexe que limpide, aussi tranquille que furibonde, du plus talentueux des réalisateurs chinois.