Au royaume de King Hu
Là où le cinéma de Hong Kong prend réellement une dimension autre, où la tradition chinoise arbore une beauté fraîche, naturelle et picturale quasi nippone, une poésie formelle qui lui manque trop souvent. Là où chaque décor, chaque objet, chaque accessoire, chaque costume atteint la perfection la plus authentique et où la photographie tient du grand art. Là où la sagesse du pauvre éclate de sa superbe, où chacun relève plus d'un courant de pensée, d'une direction plutôt que d'un être incarné. Là où les fils du récit s'entremêlent et dessinent pas à pas une forme parfaitement claire, réunissant avec majesté la douceur et le mouvement, où le silence de la nature cohabite avec les complots énergiques et la folie du pouvoir. Quelque part au milieu de tout cela, il y a King Hu et son royaume.
Ni wu xia pian, genre auquel King Hu n'est que trop calfeutré, ni film contemplatif, Raining in the mountain est une immense partie d'échec spirituelle, mystique et méditative qui tient beaucoup (en effet) d'une version lumineuse du "Nom de la Rose". Pas de moine enquêteur attitré pour résoudre une sombre affaire de meurtre mais une communauté pieuse, un lieu sacré plein de savoir et une brochette d'invités qui recèlent tout autant de mystères à éclaircir, de personnalités à dévoiler. Scène après scène, à chaque détour des innombrables recoins de l'immense temple, un noeud se défait, une surprise apparaît, une énigme s'éclaircit pour mieux embarquer le spectateur aux yeux brillants, à la salive gourmande, complice d'un charme unique qui fait le cinéma des grands.
Des influences puisant dans le meilleur du cinéma occidental, un rythme millimétré, 10 personnages d'horizons distincts bientôt clairement campés d'un côté ou de l'autre et une beauté subjuguante de chaque plan ne suffisent à parfaire le travail si précis de King Hu. Il lui faut encore ce message de paix douce et simple, ce bouddhisme discret, cette richesse spirituelle des gens les plus simples, ce détachement de ceux qui savent voir et cet humour tout en finesse véritablement jouissif, pour donner encore et encore du plaisir.
A la frénésie de mouvements de ceux qui se battent discrètement pour ce sacré rouleau, s'appose la quiétude du site et la sagesse de ceux à qui l'on ne peut cacher ses intentions. Une opposition qui démultiplie encore la force du message de King Hu et unit son travail jusqu'à la perfection. Réalisé en Corée du Sud et en indépendant, en dehors des gros circuits de distribution, King Hu garde l'essence du cinéma HK divertissant en y ajoutant une patte spirituelle typiquement asiatique dont il garde le secret. Son récit, entièrement tourné en extérieur et dans un véritable temple coréen, propose pour finir une distribution d'acteurs remarquable qui ajoute encore à son authenticité.
Peut-être moins brillant que "Touch of zen", plus court et uni dans son propos, très peu démonstratif en combats célestes et bondissants, moins elliptique dans son final, "Raining in the mountain" n'en reste pas moins une formidable démonstration, aussi complexe que limpide, aussi tranquille que furibonde, du plus talentueux des réalisateurs chinois.
Grandiose mais...
Grandiose par la construction,
Raining in the mountain reste pour moi inférieur et d'assez loin à
Legend of the Mountain.
Pourquoi? Il n'y a qu'a regarder les 5 premières minutes pour comprendre, vous avez là le King Hu naturaliste, celui qui n'a pas besoin de paroles pour camper ses personnages, celui qui peut tout utiliser pour suggérer le tréfonds de la nature humaine. Mais après malheureusement cela change, plutôt que de délivrer un film, à l'instar de Wong Kar-Wai si l'on me permet cette analogie un peu osée, King Hu nous raconte une histoire, et par rapport à son talent cette limitation qu'il s'impose est presque une entrave à sa créativité. Evidemmment, cette histoire est magnifiquement mise en image, mais sa simple logique scénaristique grève déjà la liberté du réalisateur dans ce que je lui préfère. Alors il y a bien sur quelques moments où je retrouve ce lyrisme que j'aime tant, comme ceux dans la forêt vers la fin, mais globalement je trouve Raining in the Mountain plus conventionnel que Legend of the Mountain, même si cela reste un exercice de style que peu de réalisateurs peuvent se permettre et qui reste marqué de la griffe du talent.
28 décembre 2004
par
jeffy
un sommet contemplatif et mystique
Si la richesse d'un A Touch of Zen était dans son équilibre entre le métaphysique et l'action, King Hu bascule avec Raining in the Mountain la plupart du temps -sauf dans les scènes d'action finales- du coté du mystique. Certes, l'introduction est toujours très longue mais l'installation se fait cette fois-çi au travers de plans séquences très distants proches du cinéma japonais classique qui paradoxalement rendent l'émotion plus forte, paradoxe qui fait écho à celui de la superbe scène où les moines ne peuvent s'empecher de regarder les nymphettes baignant dans des eaux vaporeuses tout en récitant leurs sutras.
Et cette très longue et virtuose introduction ne débouche pas comme dans A Touch of Zen sur une explosion d'action mais sur la mise en place de thèmes tels que la rédemption et la tentation à l'intérieur d'un lieu clos. Il s'agit de l'installation d'une atmosphère de recueillement et non d'une montée en puissance accompagnée de traits d'humour comme dans ce dernier film. Dans A Touch of Zen ou l'Auberge du Printemps il s'agissait d'attirer l'ennemi dans un lieu clos; ici les mouvements se font à l'intérieur d'un lieu clos ce qui ajoute à la théatralité offerte par une mise en scène contemplative héritée du cinéma japonais de l'ère classique. On se cache, s'épie, on cache ses intentions (de vol, de pouvoir), on se retrouve piégé, on est tenté, un ancien voleur peut s'y retrouver moine et connaitre la rédemption par l'élévation spirituelle. Le renoncement la plupart du temps à l'action provient d'une thématique plutot axée sur l'idée de lutte contre soi. L'environnement n'a jamais autant parlé aux personnages afin de les pousser à enlever leurs masques, à faire fi de leurs fautes passées, bref à renoncer à leurs machinations, aux motifs profanes qui les ont amenés au temple. Et cette idée de "piège" se refermant sur les personnages trouvera sa plus pure expression dans un final où les assaillants semblent etre la manifestation physique des fautes des fuyards, un peu comme pour leur dire qu'ils ne pourront pas quitter les lieux, que leurs fautes les rattrapperont toujours, bref qu'ils ne peuvent progresser à contresens de l'ordre naturel des choses (cette nature présente ici thématiquement alors qu'elle le sera d'un point de vue de la mise en scène dans le complémentaire du film Legend of the Mountain). Le film s'achèvera d'ailleurs par la suppression de la source des tentations.
De Raining in the Mountain il faut aussi dire la splendeur picturale de chaque plan qui échappe néanmoins à la peinture filmée par l'étirement de la durée, un score musical alternant sons glacés et cordes plus classiques, la rigueur de ses cadrages et surtout son utilisation bienvenue du format scope: le film est un huis clos donc de nature théatrale (théatralité qui se retrouve dans les chorégraphies de certaines scènes d'action) et dès lors le format choisi est celui qui ressemble le plus à une scène de théatre, un théatre des vanités et de leur expiation qui se déroule sous nos yeux. Certains trouveront ce film glacé alors qu'il ne fait que dégager une profonde austérité qui est celle du cheminement de ses protagonistes. On dira que c'est un film trop cérébral alors que les émotions sont bien présentes mais intériorisées (elles exploseront d'ailleurs dans la surenchère finale d'action). Dès lors, il n'est pas surprenant qu'il s'agisse d'un des films à l'origine du malentendu King Hu: peu d'action, un coté contemplatif très prononcé, une densité romanesque avérée, les qualités de Raining in the Mountain sont celles de certains sommets du cinéma japonais de l'age d'or -le cinéma comme art en rapport avec la littérature et les arts plastiques- donc pas vraiment quelque chose de neuf pour la cinéphilie des années 70 qui toisait la rage nihiliste et saignante d'un Chang Cheh. En ayant l'impression d'aller vers une autre culture au travers du cinéma de King Hu elle se retrouvait involontairement en terrain esthétique connu.
Mais c'est aussi la beauté d'un Raining in the Mountain que d'etre à contre-courant et également en avance sur son temps: on retrouvera la beauté des scènes de bains vaporeuses entrevues ici et le personnage du jeune moine bouddhiste dans Green Snake et la splendeur picturale des décors dans the Lovers tandis qu'un Legend of the Mountain préfigure plutot les Histoires de Fantomes Chinois par sa naiveté sans que l'élément action soit aussi prononcé que chez Tsui Hark. Avec le dyptique Raining in the Mountain/Legend of the Mountain la route des années fastes de la Workshop était déjà pavée. C'est un creuset où peut se lire à la fois l'incandescence du style King Hu et un véritable passage de témoin que confirmera un Butterfly Murders à la théatralité héritée de King Hu.
Souvent surprenant.
Par delà les montagnes (ce dont suggérait le titre) on trouve surtout un temple Bouddhiste et une enquête policière dans un univers plus souvent axé sur les combats aux sabres et le Kung Fu esthétique. A vrai dire, le métrage de King Hu se déroule essentiellement dans cet immense refuge, les montagnes étant souvent le lieu de combats ou de contemplation. A ce stade, l'introduction franchement longue laisse le soin à King Hu de présenter un univers naturel très souvent sublime qui va de surcroît contraster avec ce qui va suivre : traîtrise, violence et malhonnêteté, un comble pour un ensemble d'univers à priori saints. Le temple est le théâtre de tours de passe-passe, de tentatives de meurtres et d'exagération scénique, le personnage de Tien Feng semblant par exemple sortir tout droit des opéras chinois traditionnels où l'exagération et le grossissement des traits étaient monnaie courante. Raining in the mountain est donc une sorte de farce policière fort bien menée et artistiquement réussie.
Sachant que King Hu est à la fois à la réalisation, au scénario et à la direction artistique, l'ensemble ne peut qu'être réussi malgré des longueurs préjudiciables à la dynamique générale, même si elles ne font que fluidifier et renforcer la trame déjà bien garnie où chaque personnage est étudié avec soin. Le voleur repenti est d'ailleurs un bel exemple de rachat, comme quoi chacun peut dans le fond rattraper ses erreurs en se vouant corps et âme à une philosophie ou religion, c'est selon. On appréciera aussi ce ton volontairement absurde qui en inspirera plus d'un pour la réalisation des futurs classiques du Kung Fu par Tsui Hark, Sammo Hung ou encore Jackie Chan.
Esthétique : 4/5 - Gros travail sur le cadrage et l'harmonie des décors.
Musique : 4/5 - Une musique qui étonne par son ampleur quasi épique.
Interprétation : 3.5/5 - Intéressante au vu du physique particulier de certains personnages.
Scénario : 4/5 - Un brillant mélange de polar, de comédie et de Kung Fu.
Que King Hu soit loué
Ce "jeu" de pouvoir est toujours aussi plaisant et clair, même pour moi, un profane - au mieux - des préceptes bouddhistes. La pensée de ce courant religieux est illustrée de façon remarquable par les pions de tout un chacun avançant au gré des "promenades" de plusieurs personnages, incarnés avec une délectable maîtrise.
Au même titre que la mise en scène, extraordinaire. L'économie de dialogue et de scène d'action n'entrave en rien l'efficacité du métrage en en faisant autant une œuvre propice à la réflexion qu'un très bon divertissement.
Le travail présenté dans l'édition Spectrum Film (concernant "Raining in the Mountain") est celui restauré par le Taïwan Film Institute.
Les 7 heures de bonus (+ le livre "King Hu" par Roger Garcia traduit pour la première fois en France) sont captivants sans pour autant, bien logiquement, éviter des redondances.
Tous les suppléments présentent néanmoins des informations propres à chacun.
L'excellent commentaire audio (sous-titré français) d'un spécialiste de King Hu s'avère être un flot ininterrompu de connaissance en ne s'axant pas uniquement sur le film dont il parle.
"All the King's Men", un autre long-métrage du réalisateur est présenté dans un beau transfert hd sous-titré français également.
03 février 2021
par
A-b-a
Un 'revirement' pour l'esthète et l'occulte
Nombreux ont été chanceux d'avoir pu voir ce film de longue durée sur ARTE en prime time puis rediffusé à plusieurs reprise tard dans la nuit il y a deça bientôt 10 ans déjà ! Mais ont-ils été nombreux à savoir que ce fut un film réalisé par le grand maitre du cinéma hong-kongais de Wu Xia Pian, le roi en personne, KING-HU ? Celui qui tourna au début de l'âge d'or de la Shaw-Brothers en 1966 les chef-d'oeuvres du Eastern Nouille : 'Come Drink with me' , 'Touch Of Zen' , puis avec la Union Films Company le légendaire 'Dragon Inn' ?
'Raining in the Mountain' achevé en 1979 fut récompensé d'un Award à Hong-Kong, puis en 1980 : 'Legend of the Mountain' pourraient surprendre plus d'un cinéphile. 1979 est aussi l'année où King-Hu est définitvement sorti de sa légende du roi du Wu Xia Pian pour nous démontrer autrement son art de cinéaste-photographe en s'inspirant librement de deux oeuvres chinoises 'Raining' et 'Legend' tournés avec le même esprit et souci de l'esthétisme. Un revirement donc à 90 degré et déçus seront nombreux les fans de ses films de Wu Xia Pian à succès des fins d'années 60.
Etait-ce le chant du signe ? La fin d'une carrière exemplaire pour donner au public le meilleur de soi-même en marquant de ses signes de noblesse la cinématographie chinoise comme un peintre-poète marquerait de son style particulier une école de peintres ?
D'emblée le peu de dialogue où les actions sont transformées en image dans le grand silence du monastère nous ferait croire à un film de la Chine continentale où le banissement en politique sous le régime prolétarien réduisait l'expression et le dialogue au plus simple dans les films produits sous le régime de Mao. Mais nous étions en 1979, au lendemain de la fin de la révolution culturelle en Chine, et le style cinématographique de King-Hu refusant l'expression par le dialogue semblait incompréhensible. Et pourtant, le maître a tenu à s'exprimer autrement par la force des images , des mimes et du ballet artistique du Wu-Zu tels que l'on connait dans les récits du Roi Singe perché sur son baton. L'atmosphère silencieuse et de mort qui règne dans ce monastère situé en Corée du Sud, érigé en un véritable temple bouddhiste impénétrable et contre-révolutionnaire donne alors à ce film tout son sens dramatique. King-Hu rallonge expressément les scènes comme pour faire durer le suspense et nous faire ressentir une certaine lenteur de la vie oisive au sein d'une confrérie bouddhiste. Il défile les êtres comme des ombres frolant les murs historiques du temple à la recherche d'un sutra véritable trésor et réponse à leur quête sur l'existence de la vie. Plus que dans l'intrigue des tentatives de vol du sutra, King-Hu nous dépeint le malaise dans cette société chinoise féodale coincée entre servage et secte religieux, et prône pour le libéralisme des esprits et des êtres en démontrant que les temps morts d'une journée sont autant d' espaces de liberté et d'évasion au sein d'une communauté réglementée et stricte au sens propre du devoir et de l' asservissement.
Résultat : 'Raining in the Mountain', c'est aussi cette pluie qui va balayer par le haut des monts et de la hiérarchie les affres d'une société mal desservie et trop régimentée pour un renouvellement de la vie et des rythmes des saisons. Un film à la limite du documentaire qui se veut 'culte' de par la force de sa réalisation et la construction solide du scénario dans l'enchainement des scènes annonça déjà un renouveau du cinéma chinois pour l'esthétisme et la méditation solennelle, dans le but aussi de laisser enfin au peuple chinois la libre opinion et le libre jugement personnel du récit de ce film qui ne donne pas de leçon de moral mais qui ouvre une porte à l'imagination.
Chef d'oeuvre ml connu en Occident...
Mélange de style: initiation bouddhiste, comédie policière, arts martiaux...le tout enrobé sous une beauté formelle exceptionnelle.
Les chats et la souris
Un huis clos dans un temple où tout le monde semble poursuivre tout le monde, les faux semblants laissent place aux à priori. Le tout dans une intrigue où le pouvoir et la vanité sont le but des protagonistes. Pouvoir et contre pouvoir s'attirent pour mieux se repousser.
Le cinéma du grand King Hu s'affirme totalement dans ce flamboyant "wu xia pian ???", "whodunit???"... à ton avis Christian ?, les décors sont splendides, la photographie carrément terrassante. La longue scène du début où les protagonistes traversent une forêt que les rayons du soleil viennent strier reste pour moi l'un des plus beau moment de cinéma. On comprend ce que veux dire esthétisme, d'ailleurs Tsui Hark s'en est fortement inspiré pour la beauté photographique du merveilleux The Lovers. Le grand maître King Hu a comme héritiers tout les grands esthètes du monde.
MYSTIQUE
"Raining in the moutain" est un excellent cru signé King Hu . Comme d'habitude chez le maître, on a droit une mise en scène sophistiquée et un scénario fin, nuancé et riche en rebondissements . La majeure partie du film a été tourné dans un vrai temple coréen, ce dernier est vraiment superbe et ajoute un côté mystique au film . Les personnages sont succulents : pervers, sournois pour certains ; bons, honnêtes et droits pour les autres . L'intrigue palpitante tourne autour d'un vieux pachemin et réserve son lot de surprises ... Une perle presque parfaite à ne pas manquer .