Mer amère
Sisworo Gautama Putri (qui signe ici sous le pseudo de "S. Gatra) se réunit pour la énième (et dernière) fois avec son actrice fétiche Suzzanna pour tourner une adaptation aussi improbable que foncièrement jouissive de la "déesse des mers du Sud", Nyi Ratu Kidul ("la Reine du Sud"), une légende javanaise incontournable connue dans toute l'Indonésie.
La légende ne sert évidemment que de prétexte dans une histoire beaucoup plus classique du cinéma d'exploitation indonésien des années 1980s avec la cheftaine Lestari chassée du village après avoir subi de plein fouet l'utilisation de magie noire par son concurrent Anggoro. Parmi d'autres, la séquence inclut notamment l'absorption d'un serpent très peu ragoûtant en gros plan par l'actrice culte Suzzanna, effet, qui sera d'ailleurs repris plusieurs fois au cours du film (en vitesse modifiée, voire carrément passée à l'envers), sans perdre pour autant son effet très peu ragoûtant).
Le film n'est d'ailleurs pas avare en effets spéciaux en tous genres, dont certains délicieusement gores en dernière partie, lorsque Suzzanna se déchaîne – une fois n'est pas coutume – sur ses adversaires. Evidemment, tout est à l'image de cette première séquence, où un sorcier se transforme en un "sac d'os toc et plastoc, mais le charme suranné de ces effets n'affecte en rien le génie graphique de Sisworo, maître de l'adaptation BD sur le grand écran. Je le dis et je le répète: ses images sont délicieusement kitsch, mais sa passion u cinéma pardonne toutes les tares du monde et son sens du savoir-faire certain le rapproche quand même davantage d'un Roger Corman, que d'un Ed Wood.
"Aijan RAu Laut Kidul" sonne malheureusement aussi la fin d'une époque: le film d'exploitation vit ses dernières heures de gloire, les effets cheaps et la répétition d'intrigues interchangeables lassant peu à peu les spectateurs – surtout face à la concurrence croissante de films américains importés à nouveau en grand nombre après une longue période de limitation.
Le début des années 1990s verra surtout pléthore de films de silat (arts martiaux) sortir avant que le déclin entraînera une flopée de productions érotiques sans grand intérêt. "Aijan…" en est d'ailleurs déjà fortement marqué avec quelques séquences franchement chaudes, dont deux avec notre belle Suzzanna elle-même. Suzzanna, lucide, qui va d'ailleurs raccrocher les gants après cet ultime succès (le film se placera parmi les premiers succès nationaux de l'année avec 251.089 spectateurs sur la seule ville de Jakarta, nombre relatif, qui rend d'ailleurs compte de la désaffectation du grand public) avant un ultime retour sur les grands écrans dans le médiocre "Hantu Ambulance" du stakhanoviste de la pellicule indonésienne Nayato en 2008, dernier rôle avant sa mort prématurée la même année.
Quant à notre ami Sisworo, il tournera les très moyens "Kembalinya Si Janda Kembang" et "Misteri di malam Pengantin" avant de s'éteindre en 1993.