Un premier film de grande classe
Ang Lee livre là un film simple mais d'une grande délicatesse. La vie de cet homme qui à échappé à 40 ans de persécutions pour se retrouver en Amérique chez son fils, fossé des générations et des civilisations. Mais tout cela est livré avec une grande lucidité qui nous fait ouvrir les yeux sur ce mode de vie que nous ne voyons même plus. De simples faits dans la vie quotidienne rien de plus, mais lorsque des phrases comme "ici vous élévez vos enfants comme vous négociez une affaire" sortent, elles touchent justes car elles nous ramène simplement à notre réalité. Un beau film, assez nostalgique et pourtant sans tristesse.
Chinatown Kid 92
L'histoire
Afin de lui permettre de finir sa vie plus confortablement, Mr Chu (LUNG Si-Hung), expert en taiji, est rapatrié de sa Chine natale en Amérique par son fils Alex (WANG Bo-Zhao), installé dans la région de New York avec sa femme Martha (Deb Snyder), une pure occidentale écrivain de son état, et leur jeune fils d'une dizaine d'années, Jeremy (LI Han). Malheureusement, du fait de leur profonde différence de culture et la barrière linguistique aidant, la cohabitation s'avère difficile entre le vieux Chu et sa belle fille, plongeant le fils dans un difficile dilemne, partagé entre son amour filiale et la survie de son couple. Profitant que son père semble attiré par une certaine Mme Chen (WANG Lai), professeur de cuisine dans l'institution culturelle chinoise où le vieux Chu enseigne lui-même le taiji, le fils tentera de les rapprocher dans l'espoir de délester sa vie familiale de ce poids devenu pour lui ingérable. Mais le père ayant compris la manoeuvre, il préfèrera s'effacer de lui-même et partira tenter sa chance en solitaire.
Le Film
Première impression : beaucoup de douceur et de modestie dans ce premier film de Ang Lee (co-scénarisé par son camarade James Schamus) qui rejoint ici une Clara Law dans la thématique du déracinement culturel. Ang Lee nous y entraîne avec délicatesse et non sans humour à suivre son personnage principal (superbement interprété par LUNG Si-Hung) dans un monde qu'il ne comprend pas et qui ne le comprend pas non plus. Homme de culture classique digne et maître de Taiji ayant affiné la maîtrise tant physique que mentale de son art par réaction de résistance aux soubresauts de l'histoire chinoise du XXème siècle, les souvenirs de son passé tumultueux et sa confrontation apparemment anachronique avec notre civilisation occidentale moderne semblent ainsi se répondre au fil d'un récit parfaitement organisé. En bon maître de l'équilibre du yin et du yang, il représentera en quelque sorte le point de relativisation entre le besoin de vivre son identité culturelle (et personnelle) et les nécessités d'adaptation ou de souplesse réciproques d'un individu face à son environnement et aux évolutions de son époque. Qui plus est, au delà de l'universalité contemporaine de la problématique ainsi posé, la mise en difficulté temporaire du personnage central lui même et sa remise en question face à un environnement inconnu conférera à son aventure une dynamique dramatique supplémentaire propre à faire de ce film une expérience plutôt qu'une simple leçon. D'ailleurs, le film lui même ne se posera aucunement en donneur de leçon et ne se contentera en guise d'épilogue que d'esquisser un premier pas de chacun vers une expérience à poursuivre... Au niveau technique, on pourrait juste reprocher à cette première réalisation de Ang Lee une forme d'académisme timide. En regard de la luminosité de ses oeuvres à venir, cela se traduit par un ton quelque-peu trop sobre voir limite rébarbatif par moment. Malgré tout, ce film essentiellement dramatique calqué sur le commun de ses personnages ne pâtit pas vraiment d'un tel traitement. Reste par ailleurs de jolies idées de mise en scène comme lors de la longue scène d'introduction. Quasiment muette et sans explication préalable, on y voit s'affairer le beau père et belle fille (l'un calligraphiant pendant que l'autre cherche l'inspiration face à son écran d'ordinateur ou l'un méditant pendant que l'autre part faire son footing), se croiser et s'observer d'une manière qui symbolise parfaitement le mur culturel qui les sépare et pose d'emblée la problématique à venir.
Concernant la place de ce film dans l'oeuvre à venir de son auteur, au delà de l'initiation d'une thématique qu'il complètera dans ses deux et demi films "asiatiques" suivants ("The Wedding Banquet"/"Garçon d'Honneur" et "Eat Drink Man Woman/"Salé Sucré" mais également "Siao Yu" qu'il co-scénarisera et produira pour Sylvia Chang), on peut aussi y voir ce que j'imagine être les influences cinématographiques et une forme d'amour nostalgique de Ang Lee pour un pan de cinématographie dont l'évidence se concrétisera quelques années plus tard avec son "Crouching Tiger Hidden Dragon"/"Tigre et Dragon". Comment par exemple ne pas voir dans l'aventure de Mr Chu une sorte de remake personnel et modernisé du "Chinatown Kid" de Chang Cheh (baston comprise !). Et on pourrait légitimement voir le même genre d'hommage dans le choix de Wang Lai pour le rôle salvateur de Mme Chen. Du moins, retrouver ainsi cette comédienne remarquable dont la carrière embrasse une bonne partie de la filmographie hongkongaise et taiwanaise tous genres confondus depuis une cinquantaine d'années suscitera à coup sûr un brin de douce nostalgie pour le spectateur ayant en lui ces mêmes références.
Verdict
Un premier film encore timide formellement mais annonçant fièrement la carrière à venir de son auteur. Avec son rythme lent et tout en finesse calqué sur le commun de ses personnages, "Pushing Hands" se révèle une oeuvre simple mais tout à fait suffisante, de celles qui savent toucher juste par sa profonde humanité et l'universalité des thèmes qu'elle présente.
A découvrir ou à redécouvrir sans réserve.
Ang Lee peut-il réaliser un mauvais film?
Nan!
Un de ces petits films qui n'ont l'air de rien et qui vous laissent tout chose une fois visionnés.
Personnages le cul entre deux...cultures, tendresse, émotion, coups de gueule et humour (aaaah, les scènes au restaurant!), que demander de plus?
24 novembre 2004
par
Izzy