Ordell Robbie | 5 | Touché par le grâce. |
Xavier Chanoine | 4.25 | Châtiment! |
drélium | 4.25 | |
Arno Ching-wan | 3.5 | Le cul entre deux chaises |
La fin des années 60. Tout simplement. Cette fin d'époque représentait le sommet de la carrière d'un cinéaste qui n'avait définitivement plus rien à prouver auprès de ses pères et de ses maisons de production. Cinq ans de travail, cinq ans de bons films en particulier Trois samouraïs hors-la-loi et Le sang du damné dont la réussite était due à une direction artistique et une direction d'acteurs de haute facture et à des sujets simples mais facilement modulables afin de piéger le spectateur ou l'enfermer dans une espèce de dimension nihiliste. Hitokiri, réalisé la même année que son film le plus connu sur le sol français, Goyokin, fait parti de ces oeuvres qui ne s'oublieront pas parce qu'elles ont réussi à faire la somme de l'essentiel du cinéma de Gosha : ces figures désoeuvrées, déshumanisées, évoluant dans un univers réduit à la plus simple expression de la violence et de la soumission, mais si ces fameuses figures sont éprouvées d'apparence, elles témoignent d'une rage et d'une fureur propices à éclater les barrières de la liberté, ou tout simplement de la révolution. C'est ici le cas de Okada Izo, un ronin qui fonctionne principalement pour deux facteurs essentiels : se faire plaisir en jouant le tueur à gage et en laissant ainsi crier toute sa rage à l'encontre du système, et l'argent, l'un des seuls moyens lui permettant d'exister auprès des femmes et de la société du coin de rue, c'est à dire ce petit périmètre lui permettant de se saouler. On parle en fait d'une recherche du plaisir, et Hitokiri semble alors diffuser ce sentiment à travers les 2h15 de peloche, ce sentiment de jouissance sabre entre les mains, ce réel facteur de liberté et de "condition" de l'homme, du ronin. Sous la houlette de Hanpei Takechi, chef du clan Tosa, Izo exécute les ordres de ce dernier à la manière d'un chien, on retrouve alors encore cette parabole sur la soumission et l'absence de liberté, plutôt paradoxal lorsque l'on sait que dans sa définition, un ronin est un samouraï (technique et statut social) sans maître. Et c'est justement parce que Izo, sidérant Katsu Shintaro, va prendre conscience qu'il est bien trop attaché à son maître (une attache matérielle et non sentimentale) que le tout va péter, en premier lieu parce qu'il ne souhaite plus être traité ainsi, et parce que Takechi a plus d'une idée derrière la tête pour mener à bien son projet de régner tout simplement sur le Japon, d'étendre son fief au-delà des frontières. Hitokiri nous raconte la déchéance de ces hommes.
Le ton est donné dès les premiers plans. On découvre Izo armé d'un sabre, se lâcher littéralement sur tout ce qui lui passe sous le bras, ou comment exacerber la rage contre le système en l'espace de deux minutes chrono. Mais une autre vision de la chose est possible car on ne le sait pas encore, mais Izo est un ronin un peu simplet, naïf, à l'âme presque enfantine et au comportement bestial. Le voir défoncer tout sur son passage (sauf la corde du puits, naturellement) à la découverte de son sabre pourrait donc aussi faire penser à un gosse qui s'amuse à tout détruire, prémisse de ses "contrats" à venir, définition du plaisir de la destruction et au final on anticipe déjà le fait qu'il sera puni par le ciel parmi d'autres. Les gens qui peuplent Kyoto sont des gens au but simple : certains veulent le pouvoir, d'autres la franchise, la relation simple qui ne pourrait qu'être frein à l'ascension de Takechi, l'un des "boss" les plus respectés au pays. Dans une séquence affirmant ce propos, Izo se retrouve emprisonné suite au meurtre d'un des loyalistes : d'abord impressionné par les détenus, Izo clamera haut et fort qu'il fait parti du clan Tosa ce qui ne manquera pas de déstabiliser complètement ses partenaires de cellule, lesquels se mettront immédiatement aux petits soins pour ce dernier. Voilà une preuve de crainte aveugle parce que chacun sait qu'un certain Takechi est derrière. Ce fameux Takechi est la représentation même du mal, les faux-semblants faisant partis intégrante de la narration. Propre sur lui, élégant et racé, il n'est pourtant qu'avide de pouvoir alors qu'en contrepartie Izo est mal fagoté, transpire la sueur, jouit de l'alcool et du sexe "primaire" mais possède en lui ce caractère qui le rend humain en dépit de son esprit d'enfant. Cette instabilité du système Shogunal, les maladresses du système judiciaire obligeront Tanaka Shimbei (interprété par l'écrivain Mishima) à se faire hara-kiri dans une séquence proprement effrayante.
Et si un hara kiri ne diffère pas franchement d'un autre, son impact à l'écran peut varier selon son filmage : ici, Gosha et le grand Morita Fujio ont eu l'intelligence de ne pas filmer la scène de manière complaisante mais seulement la souffrance (délivrance) de celui qui l'exécute, ce cadrage si proche du corps, des muscles -impressionnants- de Mishima, est d'autant plus impressionnant parce qu'il suggère l'innommable. Et le film recèle justement de passages extrêmement impressionnants. Prenons d'abord les affrontements au sabre, tous démentiels pour un film de cette trempe, jouissent d'une fureur incarnée à elle seule par un Katsu Shintaro qui livre l'une si ce n'est sa plus grande performance à l'écran : on pourrait le rapprocher du Tuco de Sergio Leone, pas bien chanceux, pas bien élevé mais doté d'une véritable envie, d'un but. L'une des séquences les plus formidables du film est celle où il se met à cavaler en direction de l'auberge Ishibejuku à la vitesse de l'éclair pour arriver à destination le soir et déssimer toute une partie des personnes présentes sur le lieu. Mémorable. Cette vision très sombre du monde Shogunal est l'un des grands thèmes de Hitokiri, à la fois vrai film de samouraïs dans ses gènes avec son lot suffisant de scènes de combats mémorables et une véritable réflexion sur le pouvoir et la liberté, mais qui trouve sa force dans sa veine pessimiste. On aime donc sa direction d'acteurs hallucinante, sa photographie remarquable alternant les teintes et les claires obscures avec un véritable savoir-faire, sa direction artistique renversante signée par l'un des plus grands du genre, sa musique aux sonorités dignes d'un Luis Enrique Bacalov de la grande époque par ses instruments alternant joie et terreur, et tant d'autres choses encore. S'il ne renverse pas le plus grand film de samouraïs jamais réalisé, à savoir le complet Les sept samouraïs, dans son genre Hitokiri inflige une véritable baffe à l'industrie du film de sabre d'époque. Un très grand film à la beauté terrassante.
Ce film se concentre sur les motivations et routines d'un tueur barbare à la solde d'un chef de clan renommé. Un chien fou, personnage central usuel du chambara, ici le démentiel Katsu. Lent et visuellement inspiré, le film déroule inexorablement le destin de cet homme peu commun. Très bon, oui, reste que le final déçoit aux vues des longueurs qui apparaissent dans la seconde moitié du métrage. Il n’y a pas de climax. Ce qui aurait relevé le tout, et une vengeance plus standard, plus bourrine, aurait fait de ce film un chef d'oeuvre. A mes yeux. Parce que : le thème du repentir chez le tueur, on le connaît archi par cœur, alors autant y aller gaiement, non? Là ça fait plus shakespearien, c'est certes plus classe que l’exutoire populaire, oui, mais franchement moins fun...
En tentant de faire s'évaporer le grosbill qui sommeille en nous (pô facile), apprécions ce vrai-faux chambara regorgeant de scènes mémorables: notre personnage Izo courrant comme un taré pour participer à un massacre auquel il n'est pas convié, le massacre d'un honnête homme, son corps qui tombe dans les douves , la mare de sang qui l'accompagne, l'introduction où Izo, halluciné, pense qu'il peut tuer mieux que les autres, les diverses manipulations dont il fait l'objet… autant de scènes magistrales plombées par un final tragique à l’excès, en plus d’être frustrant sur la dimension « entertainment » de la chose, trahie au bout du compte.