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Hitokiri le châtiment
les avis de Cinemasie
4 critiques: 4.25/5
vos avis
24 critiques: 4.23/5
Châtiment!
La fin des années 60. Tout simplement. Cette fin d'époque représentait le sommet de la carrière d'un cinéaste qui n'avait définitivement plus rien à prouver auprès de ses pères et de ses maisons de production. Cinq ans de travail, cinq ans de bons films en particulier Trois samouraïs hors-la-loi et Le sang du damné dont la réussite était due à une direction artistique et une direction d'acteurs de haute facture et à des sujets simples mais facilement modulables afin de piéger le spectateur ou l'enfermer dans une espèce de dimension nihiliste. Hitokiri, réalisé la même année que son film le plus connu sur le sol français, Goyokin, fait parti de ces oeuvres qui ne s'oublieront pas parce qu'elles ont réussi à faire la somme de l'essentiel du cinéma de Gosha : ces figures désoeuvrées, déshumanisées, évoluant dans un univers réduit à la plus simple expression de la violence et de la soumission, mais si ces fameuses figures sont éprouvées d'apparence, elles témoignent d'une rage et d'une fureur propices à éclater les barrières de la liberté, ou tout simplement de la révolution. C'est ici le cas de Okada Izo, un ronin qui fonctionne principalement pour deux facteurs essentiels : se faire plaisir en jouant le tueur à gage et en laissant ainsi crier toute sa rage à l'encontre du système, et l'argent, l'un des seuls moyens lui permettant d'exister auprès des femmes et de la société du coin de rue, c'est à dire ce petit périmètre lui permettant de se saouler. On parle en fait d'une recherche du plaisir, et Hitokiri semble alors diffuser ce sentiment à travers les 2h15 de peloche, ce sentiment de jouissance sabre entre les mains, ce réel facteur de liberté et de "condition" de l'homme, du ronin. Sous la houlette de Hanpei Takechi, chef du clan Tosa, Izo exécute les ordres de ce dernier à la manière d'un chien, on retrouve alors encore cette parabole sur la soumission et l'absence de liberté, plutôt paradoxal lorsque l'on sait que dans sa définition, un ronin est un samouraï (technique et statut social) sans maître. Et c'est justement parce que Izo, sidérant Katsu Shintaro, va prendre conscience qu'il est bien trop attaché à son maître (une attache matérielle et non sentimentale) que le tout va péter, en premier lieu parce qu'il ne souhaite plus être traité ainsi, et parce que Takechi a plus d'une idée derrière la tête pour mener à bien son projet de régner tout simplement sur le Japon, d'étendre son fief au-delà des frontières. Hitokiri nous raconte la déchéance de ces hommes.
Le ton est donné dès les premiers plans. On découvre Izo armé d'un sabre, se lâcher littéralement sur tout ce qui lui passe sous le bras, ou comment exacerber la rage contre le système en l'espace de deux minutes chrono. Mais une autre vision de la chose est possible car on ne le sait pas encore, mais Izo est un ronin un peu simplet, naïf, à l'âme presque enfantine et au comportement bestial. Le voir défoncer tout sur son passage (sauf la corde du puits, naturellement) à la découverte de son sabre pourrait donc aussi faire penser à un gosse qui s'amuse à tout détruire, prémisse de ses "contrats" à venir, définition du plaisir de la destruction et au final on anticipe déjà le fait qu'il sera puni par le ciel parmi d'autres. Les gens qui peuplent Kyoto sont des gens au but simple : certains veulent le pouvoir, d'autres la franchise, la relation simple qui ne pourrait qu'être frein à l'ascension de Takechi, l'un des "boss" les plus respectés au pays. Dans une séquence affirmant ce propos, Izo se retrouve emprisonné suite au meurtre d'un des loyalistes : d'abord impressionné par les détenus, Izo clamera haut et fort qu'il fait parti du clan Tosa ce qui ne manquera pas de déstabiliser complètement ses partenaires de cellule, lesquels se mettront immédiatement aux petits soins pour ce dernier. Voilà une preuve de crainte aveugle parce que chacun sait qu'un certain Takechi est derrière. Ce fameux Takechi est la représentation même du mal, les faux-semblants faisant partis intégrante de la narration. Propre sur lui, élégant et racé, il n'est pourtant qu'avide de pouvoir alors qu'en contrepartie Izo est mal fagoté, transpire la sueur, jouit de l'alcool et du sexe "primaire" mais possède en lui ce caractère qui le rend humain en dépit de son esprit d'enfant. Cette instabilité du système Shogunal, les maladresses du système judiciaire obligeront Tanaka Shimbei (interprété par l'écrivain Mishima) à se faire hara-kiri dans une séquence proprement effrayante.
Et si un hara kiri ne diffère pas franchement d'un autre, son impact à l'écran peut varier selon son filmage : ici, Gosha et le grand Morita Fujio ont eu l'intelligence de ne pas filmer la scène de manière complaisante mais seulement la souffrance (délivrance) de celui qui l'exécute, ce cadrage si proche du corps, des muscles -impressionnants- de Mishima, est d'autant plus impressionnant parce qu'il suggère l'innommable. Et le film recèle justement de passages extrêmement impressionnants. Prenons d'abord les affrontements au sabre, tous démentiels pour un film de cette trempe, jouissent d'une fureur incarnée à elle seule par un Katsu Shintaro qui livre l'une si ce n'est sa plus grande performance à l'écran : on pourrait le rapprocher du Tuco de Sergio Leone, pas bien chanceux, pas bien élevé mais doté d'une véritable envie, d'un but. L'une des séquences les plus formidables du film est celle où il se met à cavaler en direction de l'auberge Ishibejuku à la vitesse de l'éclair pour arriver à destination le soir et déssimer toute une partie des personnes présentes sur le lieu. Mémorable. Cette vision très sombre du monde Shogunal est l'un des grands thèmes de Hitokiri, à la fois vrai film de samouraïs dans ses gènes avec son lot suffisant de scènes de combats mémorables et une véritable réflexion sur le pouvoir et la liberté, mais qui trouve sa force dans sa veine pessimiste. On aime donc sa direction d'acteurs hallucinante, sa photographie remarquable alternant les teintes et les claires obscures avec un véritable savoir-faire, sa direction artistique renversante signée par l'un des plus grands du genre, sa musique aux sonorités dignes d'un Luis Enrique Bacalov de la grande époque par ses instruments alternant joie et terreur, et tant d'autres choses encore. S'il ne renverse pas le plus grand film de samouraïs jamais réalisé, à savoir le complet Les sept samouraïs, dans son genre Hitokiri inflige une véritable baffe à l'industrie du film de sabre d'époque. Un très grand film à la beauté terrassante.
Le cul entre deux chaises
Ce film se concentre sur les motivations et routines d'un tueur barbare à la solde d'un chef de clan renommé. Un chien fou, personnage central usuel du chambara, ici le démentiel Katsu. Lent et visuellement inspiré, le film déroule inexorablement le destin de cet homme peu commun. Très bon, oui, reste que le final déçoit aux vues des longueurs qui apparaissent dans la seconde moitié du métrage. Il n’y a pas de climax. Ce qui aurait relevé le tout, et une vengeance plus standard, plus bourrine, aurait fait de ce film un chef d'oeuvre. A mes yeux. Parce que : le thème du repentir chez le tueur, on le connaît archi par cœur, alors autant y aller gaiement, non? Là ça fait plus shakespearien, c'est certes plus classe que l’exutoire populaire, oui, mais franchement moins fun...
En tentant de faire s'évaporer le grosbill qui sommeille en nous (pô facile), apprécions ce vrai-faux chambara regorgeant de scènes mémorables: notre personnage Izo courrant comme un taré pour participer à un massacre auquel il n'est pas convié, le massacre d'un honnête homme, son corps qui tombe dans les douves , la mare de sang qui l'accompagne, l'introduction où Izo, halluciné, pense qu'il peut tuer mieux que les autres, les diverses manipulations dont il fait l'objet… autant de scènes magistrales plombées par un final tragique à l’excès, en plus d’être frustrant sur la dimension « entertainment » de la chose, trahie au bout du compte.
dans mon top 5 des meilleurs chambaras
tout simplement un des meilleurs chambara de l'histoire.
comm toujours chez Gosha, la réalisation est monstrueuse; chaque plan est une véritable peinture, au service d'un montage toujours hyper sensible à la dramaturgie...
et puis quelques unes des plus grandes scènes de sabres jamais filmés...
et la cerise sur le gateau: un formidable shintaro katsu qui prouve ici qu'il est véritablement un grand acteur: tour a tour inquiétant, pathétique et émouvant, c'est peut etre ici son meilleur role....
Le samourai du crépuscule
Hideo GOSHA nous propose de suivre le destin tragique du Samouraï querelleur IZO OKADA, dans le Japon de la fin du XIX° siècle en proie aux bouleversements historiques dus à son éminente ouverture au monde occidental.
La reconstitution de toute une époque est remarquable : les personnages évoluent dans des costumes et des décors très soignés, le film nous offrant une qualité picturale superbe. IZO cadré devant un toit de tuiles bleutées sous une pluie battante, ou filmé grand angle dans de hautes herbes, vision nocturne d’une traînée de sang dans une réserve d’eau après un meurtre, on a là une multitude de plans filmés comme des tableaux.
Mais la dimension psychologique du film est son autre grande qualité.
Les complots de cour et les luttes de pouvoir composent un huis clos peuplé de samouraïs qui n’ont plus grand-chose de chevaleresque, les seuls guerriers au tempérament noble se voyant vite écartés, assassinés ou manipulés à leurs dépens. IZO se révèle ainsi fort en gueule mais d’une naïveté totale, dindon de la farce idéal qui agit avant de réfléchir et cumule les erreurs de jugement ou les mauvais choix. Et qui finalement n’a plus vraiment de place dans le modernisme pragmatique qui se profile.
On peut parler alors de Chambara crépusculaire, en référence directe à ce genre de westerns de la fin des années soixante style LA HORDE SAUVAGE qui décrivent la fin d’une époque héroïque. Et la comparaison est ici d’autant plus évidente que GOSHA multiplie les scènes à la Sergio LEONE, par exemple ce gros plan ultra serré sur le regard mobile de IZO lors de la scène de prison. La musique participe à cette évocation par des citations occasionnelles des scores westerniens signés Ennio MORRICONE.
IZO doit beaucoup à son interprète Shintaro KATSU, prenant visiblement grand plaisir à endosser le rôle. Très démonstratif, il compose ce personnage excessif, à la manière d’un Toshiro MIFUNE en plus extrême.
Face à lui, Tatsuya NAKADAI, autre grande figure du cinéma nippon, a toute l’élégance hautaine nécessaire pour jouer le seigneur ambitieux.
Quant à Yukio MISHIMA, on ne pourra que regretter sa courte participation. Il impose en effet une tension dés qu’il apparaît à l’écran, et il présente une forme physique éblouissante, la musculation étant passé par là, ainsi que le Kendo qu’il commençait alors à bien maîtriser. Ses combats sont très crédibles, et on ne s’étonnera plus de le voir interpréter un guerrier finissant par se trancher le ventre pour l’honneur : sa lente maturation intérieure était alors presque arrivée à son terme et il devait accomplir le traditionnel Seppuku un an après ce film, pour de bon cette fois.
Si certaines séquences ont tendance à s’étirer un peu trop, comme la description de la déchéance du héros principal au milieu du film, ces longueurs sont estompées par une belle dynamique des scènes d’action ou les combattants s’en donnent à cœur joie dans la bataille.
Voilà une œuvre méconnue d’un cinéaste qui a abordé des genres différents mais s’est imposé comme un maître des films de sabre, et ce TENSHU ! mérite grandement sa place au rang de ses plus belles réussites.
J'ai tué, mais...
Moins accessible que
Goyokin, l’Or du Shogun mais tout aussi passionnant, cet autre grand cru 1969 signé Gosha n’a pas volé son statut de classique du chanbara. Fi des relents westerniens ici; le ton se fait plus réaliste et terre-à-terre, avec un regard d’une grande acuité sur les clans loyalistes en faveur de la cause impériale dans un Japon en période de trouble, à savoir la fin de l’ère Tokugawa dans les années 1860. Le film présente d’indéniables faiblesses, à commencer par un montage qui aurait gagné à être un peu plus resserré lors de certaines scènes sans que le développement du récit et des personnages n’en pâtissent – les deux heures et quart de l’ensemble ne sont pas forcément justifiées par un scénario certes solide mais peu adapté à la durée d’une fresque. Shintaro Katsu se prend quant à lui pour le Toshiro Mifune des
Sept Samouraïs mais n’en a ni la finesse ni la truculence, se bornant à un pénible cabotinage à base de vociférations, de pleurnicheries et de grimaces. On regrettera également la façon dont le score de Masaru Sato – au demeurant sublime – est utilisé, soit le plus souvent en décalage total avec l’action. Ces réserves formulées, on reste face à du grand cinéma, plein de bruit et de fureur tout en faisant montre d’un extrême foisonnement: la description saisissante d’un monde funeste et désenchanté où le code d’honneur n’a plus la cote, la précision millimétrique de la photographie, la modernité des affrontements au sabre où tout nous est montré dans des plans-séquences vertigineux, le fascinant personnage de despote blafard campé par Tatsuya Nakadai, la force des images finales, autant d’éléments qui laissent une empreinte durable dans la mémoire du spectateur et ne permettent pas de questionner la réputation de chef-d’œuvre crépusculaire dont bénéficie
Hitokiri. Un grand film barbare qui ne doit plus rien à Kurosawa et consorts.
Dans le haut du panier des chambara.
Le cinéma japonais de la seconde moitié des années 60 est un incroyable vivier à chef-d'oeuvres.
Si on regarde bien, on a des films tels que "La marque du tueur" de Suzuki Seijun, "Blackmail is my life" de Fukasaku Kinji, "Le visage d'un autre" de Teshigahara Hiroshi, "The Pornographers" de Imamura Shohei et "Blind Beast" de Masumura Yasuzo, qui sont sortis à cette époque (liste loin d'être exhaustive !).
Mais cette grande période a également donné naissance aux deux chambara que je considérais jusque là comme les meilleurs existants : "Sword Of Doom", de Okamoto Kihachi (1966) et "Samuraï Rebellion" de Kobayashi Masaki (1967).
Je dis "jusque là", parceque la vision de "Tenchu" de Gosha Hideo a un peu changé la donne. En effet, celui-ci fait partie à présent de mon palmarès des meilleurs chambara.
J'avais déjà bien aimé "Trois Samouraïs hors-la-loi", qui est, pour un premier film, un petit coup de génie en la matière. Et puis "Goyokin", le film de Gosha le plus connu chez nous, est une valeur sûre dans le genre.
Mais "Tenchu", c'est encore le niveau au-dessus.
Déjà, le casting calme : Nakadai Tatsuya et Katsu Shintaro dans les rôles principaux. Gosha a exploité au mieux les capacités de ces deux acteurs. Rien que le début du film, qui montre déjà toute la rage et la soif de reconnaissance du personnage interprété par Katsu Shintaro, est un pur régal. Et une bonne partie de "Tenchu" est baigné de ce duel (psychologique) entre les différents protagonistes (à noter que Mishima Yukio a aussi un rôle dans le film).
Et puis, comme l'a signalé le critique Cinémasie, le film réserve quelques moments inoubliables. Je trouve d'ailleurs que le brin de folie amené par Katsu Shintaro est pour beaucoup dans la réussite de ce film.
Bref, encore une belle preuve du talent de Gosha Hideo, dont les films mériteraient décidément une meilleure distribution (sortir "Goyokin" en plusieurs éditions, c'est bien, mais que fait-on de "The Wolves", "Hunter in the dark" ou encore "Portrait d'un criminel" ?).