Un Ozu pas tout à fait comme les autres...
Voir un Ozu, c'est les avoir tous vus à quelques nuances près, un peu comme aller toujours dans le meme grand restaurant: la carte est prévisible mais le cuistot ne déçoit jamais. Dans ce film précédant la grande décennie de l'age d'or du cinéma japonais auquel Ozu contribuera, on retrouve donc la richesse de jeu d'une Hara Setsuko au regard riche en nuances d'expression reflet de la pudeur du personnage de Noriko qu'elle incarne, le style Ozu fait de distance, de durée et de filmage à hauteur de tatami ainsi que ses thèmes fétiches: les mariages arrangés, la difficulté à se comprendre entre générations différentes, l'observation du Japon de l'immédiat après-guerre (celui d'avant le miracle économique dans le film, au détour d'un dialogue le cinéaste évoque les difficultés économiques de cette époque-là), l'influence occidentale croissante due à l'occupation américaine (la passion des jeunes japonais pour le base ball, la tante présentant un bon parti à Noriko parce qu'elle trouve qu'il a une ressemblance avec Gary Cooper qui est l'acteur fétiche de Noriko), la disparition progressive de certaines traditions (lorsqu'Ozu filme le spectacle de No, il filme cette tradition qui se perd). Et surtout sa sagesse humaniste: ici comme dans ses autres films, Ozu nous dit que pour faire face aux tracasseries du quotidien il faut avancer, progresser et accepter de choisir des solution allant dans ce sens-là meme si elles ne sont jamais totalement satisfaisantes (un mariage engendrerait la solitude du père mais d'un autre coté si Noriko restait s'occuper de lui elle ne pourrait voler de ses propres ailes). Ozu reprendra une trame voisine en remplaçant le père par la mère avec Fin d'automne. Mais si on trouve dans ce dernier ce naturel et cette fluidité dans l'exécution caractéristique des oeuvres de fin de carrière des grands cinéastes Printemps Tardif a pour lui quelques vrais moments de grâce qui sont parmi les plus beaux du cinéma d'Ozu: la scène du No, le final par exemple... Mais aussi d'avoir un peu moins de longueurs. Et cela suffit à faire de Printemps Tardif un Ozu majeur.
Mariage tardif
Conçu comme une chronique familiale douce-amère,
Printemps tardif est un Ozu plutôt sombre, évoluant sans cesse dans les extrêmes et les contrastes, le rendant justement attachant à plus d'un titre, par sa thématique abordée, ses ellipses, sa mise en scène intuitive et quasi définitive excepté les quelques travellings ou caméras embarquées qu'on ne verra bientôt plus jamais chez le cinéaste. Selon certaines sources,
Printemps tardif est le premier film d'Ozu avec son style de dernière période, mais je ne préfère pas me risquer à telle supposition. En revanche, on retrouve effectivement la patte Ozuesque que ce soit au niveau de la mise en scène au ras du sol, ses quelques plans vides de signification (le dernier plan avec cette mer agitée) et son rapport étroit avec la famille, ses coutumes et traditions.
La belle Hara Setsuko, déjà impériale à l'époque, trouvait avec son personnage de Noriko une identité forte, vaillante et courageuse malgré cette crainte du mariage "forcé", une récurrente dans les familles japonaises trop conservatrices. Elle n'est pas non plus aidée par son père, Kamakura, interprété par le très sobre mais sec Ryu Chishu, hilarant de nonchalance et de fainéantise, presque sidérant dans la mesure où il réussit toujours à capter l'attention du spectateur par son regard et sa voix monotone, malgré ses dialogues qui se résument à d'innombrables "so desu ka?" ou "so ka?" et le tout en gros plan, filmé au ras du sol, évidemment.
Justement balancé entre les rires (les balades en vélo, le personnage de la tante jouée par Sugimura Haruko) et les larmes (le remariage de Kamakura, bien que fictif, les quelques moments en tête à tête entre Kamakura et Noriko), Printemps tardif reste un Ozu de standing tout à fait honorable, moderne et bien écrit, jouissant d'une aura qui captive son spectateur malgré qu'il soit une simple chronique familiale, officieusement remakée version féminin avec Fin d'automne (légèrement supérieur) dont il récupère les grandes lignes, même si la dramaturgie appuyée raisonne plus fort dans cette "version" 47 que dans celle réalisée 13 ans plus tard, plus légère et "romantique" et mieux mise en scène. A voir pour la composition père/fille de Ryu Chishu et Hara Setsuko.
Noriko et les cornichons
Assez d'accord avec la critique de Florent: globalement les films d'Ozu (surtout les derniers) se ressemblent énormément et il est donc difficile d'en sortir vraiment un du lot (ma préférence personnelle va à "Dernier Caprice").
Mais cela ne signifie surtout pas qu'il ne faille en voir qu'un et que l'on aurait tout vu. Au contraire je pense qu'il est nécessaire d'en voir beaucoup pour vraiment plonger dans cette oeuvre si cohérente et homogène, en saisir les nuances et les subtilités.
Une fois encore, un thème récurrent d'Ozu est là:
1/ le mariage/remariage
2/ dans le Japon d'après-guerre (généralement un défunt dans la famille + l'hymne de la marine japonaise)
3/ qui va avec une disparition des traditions. On notera par exemple que chez le père de Noriko on s'assoit par terre alors que chez l'amie divorcée de Noriko, on s'assoit sur une chaise...
"Printemps tardif" est le film d'Ozu que les japonais préfèrent et ce n'est sans doute pas un hasard.
Bref, un très grand film.
Fille à papa
Une nouvelle fois, OZU traite du délicat problème intergénérationnel entre un père et sa fille. Ménage heureux, le paternel est soucieux de voir sa fille toujours à la maison et cède à la pression de sa sœur à finalement donner en mariage son enfant.
L'une des toutes premières variations, qu'Ozu n'aura de cesse de renouveler tout au long de sa foisonnante filmographie, le thème y est traité avec beaucoup de sensibilité et de douceur. Le scénario ne développe que cette seule idée, mais réussit à ne jamais lasser et à dépeindre els personnages avec un sens du détail frôlant le génie.
Les inserts si typiques de l'œuvre du réalisateur trouvent ici une parfaite justification pour accompagner cette sensible comédie de mœurs familiale, où le drame humain est entièrement caché derrière les rigides codes de al bonne conduite à tenir – jusqu'au magnifique plan final.
Setsuko n'est pas contente
Il s'agit toujours de la même histoire : la fille ne veut pas se marier, de peur de laisser seul son veuf de père. Celui-ci doit donc s'engager à se remarier pour la convaincre de franchir de le pas. L'histoire est donc la même que par exemple Fin D'automne, sauf qu'ici c'est un père et sa fille et non une mère et sa fille - et que Setsuko Hara joue la fille et non la mère sacrifiée comme 11 ans plus tard.
Historiquement, le film est important car c'est le premier Ozu typiquement Ozu, au sens où tous les films ultérieurs ressembleront fortement à celui-ci, qui est un peu leur modèle à tous. Au plan du plaisir immédiat qu'on y trouve, je garde en tête les fureurs incroyablement expressives de Setsuko Hara lorsqu'elle apprend le remariage de son père (ces plans sont l'image même de l'expression "fusiller du regard") et cette quasi indécente déclaration d'amour de la fille au père sur le thème "je ne veux pas te quitter" - qu'on croirait directement issue des fantasmes d'un père incestueux.
À vingt-sept printemps, il est temps d'aller de l'avant !
Nul besoin de présenter ce film qui inaugure le cycle des grands Ozu et reste le chef-d'œuvre du réalisateur aux yeux des cinéphiles japonais. Les quelque dix long-métrages suivants du maître en seront presque tous des moutures, et ce pour un résultat souvent remarquable car comme on l'a si bien dit ici-même, voir un Ozu c'est comme aller toujours dans le même restaurant en sachant que la cuisine ne déçoit jamais. Si ce
Printemps Tardif n'a sans doute pas encore l'homogénéité parfaite des derniers opus du metteur en scène, il possède en contrepartie un entrain et une spontanéité qui feront un brin défaut à ceux-là. Et puis il y a Setsuko Hara, belle, juvénile et rayonnante, qu'Ozu filme pour la première fois et qu'il n'a peut-être jamais mieux filmée. Un bien grand merci au cuistot.