Entre poussière et lueur d'espoir
Après Un temps pour vivre un temps pour mourir, Poussières dans le vent confirme l'aspiration du cinéma d'Hou Hsiao Hsien à une plus grande ampleur formelle (plans plus distants, durée étirée) comme temporelle (espace temporel plus étendu, inscription du récit dans l'histoire de Taïwan). Le sentiment de la perte inéluctable des choses avec le temps s'y trouve démultiplié à travers diverses générations de personnages, prenant un sens aussi bien intime qu'historique. Et le superbe plan séquence ferroviaire d'ouverture renvoie aussi bien à la question du temps qu'à une forme d'avancée de la modernisation dans le Taiwan rural. La fascination du monde urbain et la question de savoir si on quitte l'univers rural sont d'ailleurs intégrées au récit. Et la modernité prend la forme d'une montre dans une belle séquence tandis que le travail à la mine et ses dangers sont évoqués le temps d'un flash d'actualités ou d'un dialogue. Emblèmes de la modernité, la télévision et le cinéma prennent en charge le role de marqueur historique du récit.
Et au travers de la relation entre un jeune garçon et une jeune fille en fin d'adolescence, le film se place dans une de ces transitions entre deux temps (adolescence/age adulte) avec leurs changements et leurs pertes qu'affectionne le cinéma d'Hou Hsiao Hsien. On retrouve les billards, les moments de crise de la cellule familiale, les instants aussi signifiants qu'anodins caractéristiques de cette période du cinéma d'Hou Hsiao Hsien. Et l'armée qui était hors du récit des Garçons de Fengkuei est cette fois dans le champ de la caméra, sa découverte accentuant le sentiment de perte du jeune garçon qui la cotoie. Le culinaire joue ici un role révélateur dans le récit tandis qu'une lettre peut y sceller une fin d'époque. Quant à la peinture, elle fait écho au regard d'Hou Hsiao Hsien cinéaste : en la représentant chargée de son propre ressenti, le peintre donne à voir la réalité autrement à l'image du travail du cinéaste. On retrouve également cet art de construire un récit au travers de correspondance entre des grands blocs narratifs.
Sauf qu'en se mettant un peu plus à distance Hou Hsiao Hsien perd le sens de l'émotion brute de ses débuts tout en ayant pas encore vraiment gagné l'ampleur de fresque historique intimiste de sa Cité des Douleurs à venir. Entre épuisement et promesse du renouveau, entre deux ages aussi finalement…
"Poussières dans le vent" est un film particulièrement équilibré en matière de gestion du temps, entre moments "figés" et moments guidés par le mouvement physique et auditif des corps et autres voix, autres sons. L'émotion y est bien présente entre instants plus ou moins lumineux, sans emphase comme à l'accoutumée chez HHH. Au même titre que sa "fameuse" dichotomie campagne/ville.
11 janvier 2021
par
A-b-a