Persepolis est un film intéressant parce qu'il dispose de différents niveaux de lecture qui le rendent tour à tour ludique, drôle et acerbe. Ludique, parce que des thèmes de société qui ne datent pas d'aujourd'hui sont passés à la moulinette avec la force d'un trente-cinq tonnes avec un trait de crayon qui lui donnent un aspect d'oeuvre accessible. Les personnages sont simples, parfois ressemblants, mais disposent de vrais traits de caractère, et leur vocabulaire risque de provoquer de nombreux éclats de rire pour le spectateur sensible de la gâchette à ce niveau (et qui démontre une certaine forme de liberté en hausse du peuple iranien à l'époque). Pour le côté drôle, c'est fait, en plus que le film est bien écrit et joue la carte de l'ironie vexante -pour ces messieurs- par l'intermédiaire de scénettes qui tentent de démontrer la réalité de la répression en Iran. Au spectateur concerné d'être d'accord ou non avec les propos de Marjane Satrapi, laquelle fait passer ses messages par l'intermédiaire d'un récit autobiographique (donc fait de faits-divers plausibles) touchant parce que la galerie de personnages rencontrés est assez unique : la grand-mère de Marjane aurait pu être interprétée par une grande actrice, le résultat aurait été le même. Remarquable. Les différentes connaissances de Marjane, rencontrées suite à son périple en Autriche, sont des clichés des mômes dans l'air du temps (ou de l'époque), à mi-chemin entre hippies et punks. Scène amusante, la petite fille est déjà contestataire et le prouve lorsqu'elle s'achète une cassette d'Iron Maiden à la sauvette dans les rues de Téhéran (de mémoire, la musique que l'on entendra suite à cet achat n'est pas du Iron), et l'on compte bon nombre de scènes marquantes (le fait d'aduler le prophète et de le détester le lendemain après des dires d'un de ses oncles) où les émotions et les proportions sont décuplées par un style visuel oscillant entre le basique volontaire et le très travaillé notamment dans la gestion des ombres et des décors. Un film nécessaire, qui rabâche beaucoup certes, mais nécessaire lorsqu'il faut remettre en cause certaines moeurs qui ralentissent le développement d'un pays.
Des vilains poilus veulent te mettre un voile sur la caboche?
Appelle "Persepolis Secours" et c'est fastoche!
Persepolis est le premier dessin animé à recevoir un prix (du Jury) au Festival de Cannes, ce après la nomination vierge de trophée du Innocence de Mamoru Oshii en 2004. Un beau portrait de femme qui mérite amplement sa récompense, portrait dans lequel les hommes en prennent tous plein la gueule, voire même un peu plus bas, sauf les vieux, allez comprendre, ce qui peut se justifier compte tenu de l’oppression du voile très bien exprimée ici. Mais l'homme s'y fait quand même passablement ratatiner ! C'en est gênant. Fort heureusement, les femmes dociles acceptant de porter ce morceau de tissu noir, donc qui acceptent leur infériorité devant ze mâââle, en prennent aussi pour leur grade. C'est sur ce point que ce film est le plus engagé, donc le plus attaquable, car non seulement la position française sur le voile n'a jamais été clairement assumée, on parle ici de Séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais c'est d'une iranienne que vient le rejet en bloc du vêtement "religieux", présenté non pas comme une appartenance à la religion musulmane mais uniquement comme un malaise masculin des plus minables. Quant aux femmes, ce sont bien évidemment les moches qui le cautionnent. Dans quelle mesure cette analyse reflète t'elle une vérité, ça...
Par delà quelques airs du temps renforcés par une approche aubergespagnolesque (les voyages forment la jeunesse: rencontres "aware" de punks autrichiens, de groupes d'homosexuels etc), le film touche juste en de nombreuses occasions. L’animation est somptueuse, le noir et blanc magnifié, les quelques effets 3D parfaitement intégrés et l’anime se permet même de reprendre des gimmicks propres aux animes japonais le temps de corps tombant à la renverse, qui expriment ainsi une stupéfaction assimilée. Il suffirait qu’un corbeau passe au loin et le tour serait joué ! L’humour est féroce, enchaînant ironie désuète et vannes satiriques bienvenues. Un directeur d' hôpital incompétent n'est qu'un ancien laveur de carreaux ne devant sa promotion qu'à son statut religieux élevé, un professeur d’art explique à ses élèves la « Venus de Botticelli » avec un tableau aux trois quart censuré afin de respecter la « loi en vigueur » en Iran, et un cours de dessin sur l’anatomie a pour seul modèle une femme voilée de la tête aux pieds. A toi de dessiner ta Barbamama. D’autres passages sont puissamment dramatiques ou d’une poésie flamboyante, qu’il s’agisse d’exécutions sommaires effrayantes ou d’une mamie mettant des fleurs dans son sous-tif pour sentir bon des seins. Non, ça n’est pas ridicule, c’est même franchement touchant. Un très beau film (très) engagé que ce "Persepolis", qui perd un peu parfois à se moquer d'une simplicité de l’existence n’en demandant pas tant, car mine de rien le droit trop revendiqué à la différence peut mener à une certaine forme de communautarisme et ainsi cultiver la haine de la même manière que le fait l'aberration critiquée. C’est encore une fois justifié : l’excès d’un comportement entraîne toujours un excès dans sa réaction, en l'occurence un ras le bol sincère et bienvenu en ces temps de tolérance excessive vis à vis de l'intolérance. Ca fait mal aux hommes, oui, mais ça fait aussi du bien au coeur, alors tant que Marjane Satrapi n'est pas lapidée ni son film brûlé, profitons-en et réjouissons-nous de cet engouement général qui a fait grincer un paquet de dents(*). Tant mieux.
(*): Lu sur Liberation.fr: "L’Iran a protesté (...) contre la sélection au Festival de Cannes de "Persépolis" (...) «Cette année le festival de Cannes a sélectionné un film sur l’Iran qui présente un tableau irréel des conséquences et des réussites de la révolution islamique», a écrit une organisation dépendant du ministère iranien de la Culture, dans un courrier adressé à l’attaché culturel de l’ambassade de France à Téhéran.