Feux dans le temple
Ceux qui ont lu et aimé le roman de Mishima ou qui adorent les films de Ichikawa Kon peuvent arreter de lire la critique: Le Pavillon d'Or est une adaptation fidèle et réussie du classique de Mishima et, s'il n'égale pas Feux dans la Plaine, il s'inscrit parmi les grandes réussites de son réalisateur. Pour ceux qui restent maintenant... Avec Le Pavillon d'Or, Mishima essayait d'expliquer un fait divers réel, à savoir l'incendie d'un temple de Kyoto recouvert d'or qui avait échappé aux bombardements américains. Au travers du personnage d'un jeune étudiant bègue qui doit succèder à son père défunt pour diriger un temple, Mishima expose ses propres contradictions et son rapport ambigu à la tradition japonaise, une fascination mélée à une conscience qu'elle est vouée à la disparition. Dans Le Pavillon d'Or, les moines bouddhistes entretiennent des geishas et n'ont pas un rapport toujours très sain à l'argent. Et si les moines ont perdu le sens de la tradition, son jeune héros n'est pas davantage doué pour la préserver: son refus de l'entrée du Pavillon d'Or à une Japonaise enceinte d'un soldat américain ne lui vaut que les quolibets et la réprobation de son chef et lorsqu'il va voir une geisha il apprend le style de vie de jouisseur de moines qu'il vénérait. Son bégaiement fait qu'il n'estime pas avoir la stature pour succéder à son père. Dans un monde en perpétuelle évolution, personne ne comprend son désir de sauver les meubles du Japon traditionnel. En outre, sa naiveté sera exploitée par un infirme qui est aussi un éclopé de la vie, un etre dont le handicap fait paradoxalement que les femmes le regardent (il échafaude un plan pour le plaisir de voir une femme arrogante baisser sa garde et devenir d'attitude plus humble devant lui) et qui voit dans les complexes de son ami une occasion de lui extorquer de l'argent en lui faisant un pret aux intérets exorbitants. Face à ce monde où la tradition est irrémédiablement vouée à disparaitre notamment du fait des conséquences de la Seconde Guerre Mondiale et du développement de l'influence américaine sur le pays qui en découle, le jeune bonze se dit qu'il ne sert finalement à rien d'en maintenir les derniers vestiges d'où une des explications de son acte là où il ne livre à la police que son mutisme. Mais la fascination du jeune bonze pour le pavillon est aussi un rapport ambivalent à la beauté: il aime cette beauté mais souffre de ne pouvoir l'égaler et dès lors la destruction de cette beauté est le plus bel hommage qu'il puisse lui rendre. On est là dans les grandes contradictions du Japon et de sa culture qu'un Mishima a pu incarner. Il était asoiffé de maitrise de soi qu'il manifestait au travers du culturisme mais était inexorablement poussé vers la folie et la transgression (qu'on retrouve dans la scène où le jeune bonze raye le sabre, symbole s'il en est d'une certaine tradition japonaise et objet de sa fascination). Celle d'un père de famille qui clamait publiquement son homosexualité. Cette contradiction avait d'ailleurs culminé dans sa fameuse tentative de coup d'état: cet écrivain ultraconservateur espérait restaurer l'ordre au travers de la rebellion.
Quant aux qualités proprement cinématographiques, outre des flash backs judicieux, on a l'utilisation des fondus enchainés pour exprimer la continuité entre passé et présent et entre les diverses scènes du film un peu comme s'il s'agissait de montrer l'égale importance du faisceau d'évènements et de raisons ayant amené à l'exécution de cet acte surprenant. Pour le reste, on a des choix esthétiques totalement cohérents avec le sujet: les longs plans fixes distants en intérieur expriment l'idée de distance aux choses et de paix intérieure inhérente au bouddhisme qui a été souvent théorisée par nombre d'historiens du cinéma japonais classique. Le problème de ce choix, c'est qu'il est peut-etre un peut trop attendu vu le sujet et qu'Ichikawa Kon n'introduit pas de vrais imprévus dans son dispositif formel à l'exception de quelques légers mouvements de caméra néanmoins pas suffisants pour créer des cassures de rythme qui introduiraient des imprévus et surprendraient le spectateur. On voit ici la véritable nature d'un Ichikawa: il ne s'agit pas d'un auteur à la signature thématique et visuelle reconnaissable entre mille mais d'un artisan dans le sens plus noble du terme qui adapte sa réalisation à des scénarios très écrits. Mais pour le reste les cadrages en scope ont la rigueur et la beauté d'une toile de maitre et le final avec ses pépites d'or volant dans le ciel nous rappelle le talent de plasticien de l'image d'un Ichikawa. Et si l'imprévu n'est pas dans la mise en scène, il se situe chez les acteurs: si un Ichikawa Raizo rend avec professionalisme les tourments et les nuances du jeune bonze, c'est un Nakadai Tatsuya formidable en handicapé qui lui vole la vedette lors de certaines scènes avec son apparente décontraction, son charisme titanesque et ses poses machistes, incarnant avec talent une figure manipulatrice du jeune bonze qui lui ouvre néanmoins les yeux sur l'envers de la tradition.
On parle souvent de cinéma "qualité France" à propos d'adaptations académiques et sans ame de classiques littéraires. Mais quand ces adaptations sont faites avec un vrai désir de ne pas mettre la forme cinématographique aux abonnés absents tout en étant fidèle à l'oeuvre, c'est de l'artisanat dans le sens le plus noble du terme.
Et il devint fou...
Autant le dire tout de suite, Le Pavillon d'Or est du cinéma où l'on ne rigole pas, où la société nippone d'époque est passée au crible par un cinéaste -en pleine possession de ses moyens qui n'y croit plus, qui ne croit plus en ses valeurs ou qui du moins soulève ses problèmes : l'hypocrisie de la religion, ou philosophie, le racisme à l'heure où le Japon est occupé par la présence américaine (la séquence où la jeune femme enceinte maltraitée par son mari américain se voit refuser l'entrée du pavillon par Goichi), la place des handicapés dans la société (la séquence du flash-back où l'un des étudiants se moque du bégaiement de Goichi, le côté pathétique de Tokari...) ou encore le symbolisme avec ce pavillon d'or sensé représenter l'un des derniers trésors protégé par Bouddha et ce n'est sans doute pas pour rien que Ichikawa se focalise le temps d'un plan sur la statuette du Bouddha pendant que le pavillon prend feu des suites de l'acte criminel de Goichi, pourtant son principal protecteur. Le film démontre aussi les qualités formelles dont fait preuve le cinéaste, entre classicisme pur avec ces longs plans fixes et ses audaces formelles lors des flash-back/flash-forward donnant encore plus de fluidité au récit. Les transitions sont impeccables et ne freinent que très rarement l'action. Cette action se situe dans la dégénérescence du personnage interprété par Ichikawa Raizo, une action qui n'est pas représentée à l'écran mais qui reste belle et bien présente, d'où la performance de très bonne facture de cet acteur parti trop tôt qui donne ici la réplique à un Nakamura Ganjiro des grands jours et parfois à un Nakadai Tatsuya doté déjà d'une gamme d'expressions évitant la monotonie, ce dernier arrive même à être effrayant notamment lors de sa dernière apparition où il s'éprend d'une jeune femme malgré son handicap. Le film est aussi particulièrement sombre, il y a d’abord la conflagration du pavillon puis le suicide de Goichi. Dès lors le film se tait, les images deviennent "désert" et "mort", la police débarque, le corps recouvert est allongé, le classique "fin" apparaît.
Beauté éternelle
Adapté d'un des romans les plus célèbres de Mishima Yukio, ce film malgré sa mise en scène brillante, m'a assez ennuyé. Sans doute car j'avais trop souvent en tête le roman, mais aussi parce que je n'y ai pas retrouvé les mêmes tourments. Il me semble que le mobile du crime ici est assez différent. Dans le roman il me semblait que cela avait beaucoup avoir avec l'ego du personnage principal, avec le violent antagonisme que lui imposé la forme du pavillon d'or. Sa laideur face à l'infini splendeur du temple. Le personnage du film ne garde comme élément de monstruosité, qu'un gentil bégaiement, et son interprète est Ichikawa Raizo, un visage loin d'être ingrat. Du coup, ici, le mobile apparaît plus de l'ordre d'une morale supérieure, que d'un tourment intérieur. Le héros brûle le temple pour qu'il n'accompagne pas le japon, ou du moins le monastère qui est en charge de son entretien, dans un changement qu'il semble juger négativement. Il décide de sauver le temple du mercantilisme touristique, en le détruisant. D'ailleurs l'un des moines assistant au spectacle du temple en feu, ne déclare-t-il pas : "C'est le châtiment de bouddha." Certes, cette idée n'émerge pas comme une évidence, mais c'est la seule qui soit un peu énoncée par le personnage. Le mobile, officiellement, reste un mystère.