Parfois, la grandeur d’un film tient à peu de choses, et One Million Yen Girl est la preuve parfaite de cette théorie. Sur un scénario vu et revu au cinéma, l’histoire d’une jeune fille fraichement sortie de prison pour un malentendu, qui décide de se retrouver en allant de ville en ville, l’actrice Aoi Yu confirme une fois de plus l’étendue de son immense talent dans la peau de Suzuko. Actrice découverte chez Iwai Shunji et depuis confrontée à tout un tas de rôles l’affirmant de plus en plus comme une actrice importante du cinéma nippon (voir mondial avec son rôle dans le film-omnibus Tokyo !), elle offre ici une performance de très haute volée grâce à sa prestance contradictoire. Malgré son concours de maigreur, cette dernière bouffe littéralement l’écran d’un regard troublant et d’une parole chuchotée avec grâce. Sa force contenue tout au long du film, libérée uniquement le temps d’un règlement de compte avec trois poufs, lui confère des attitudes de grande. Ce n’est sans doute pas pour rien que cette dernière apparait dans huit plans sur dix tant le film se repose sur ses épaules, pas parce qu’il fait preuve d’une quelconque médiocrité –bien au contraire, mais parce que son classicisme fait de mélo et de situations déjà vues dans le drama de série n’autorise que très peu de prises de risques malgré son côté paradoxal : d’abord cette légèreté presque estivale où l’on sert des cônes glacés sur la plage, fait péter des feux d’artifice le temps d’une soirée improvisée entre copains d’un jour ou cueille des pêches prêtes à la consommation, mais aussi cette lourdeur constamment présente parce que Suzuko porte le fardeau d’un casier judiciaire plus tout à fait vierge. Involontairement mêlée à une affaire de disparition d'argent le temps d’une collocation avec l’ex d’une de ses amies, cette dernière passa un moment derrière les barreaux avant de retrouver une vie normale faite de petits boulots le temps d’économiser de l’argent, un million de yens, pour trouver une vraie liberté. Elle laissera derrière elle sa famille et surtout son petit frère, Takuya, martyrisé et humilié par ses camarades de classe parce que sa sœur est une « criminelle ». On a trop souvent tendance à associer « crime » avec « meurtre », mais elle n’a tué personne, simplement voler de l’argent est considéré comme un « crime » aux yeux de la loi. Sale image donc.
Elle portera les marques de ce sal dossier de villes en villes. Constamment culpabilisée par un tel évènement, elle se livrera difficilement à ceux qui ne comprennent pas ses problèmes : censée représenter une ville entière pour sa culture de la pêche, elle refusera de peur d’être exposée par les médias qui ne perdront pas de temps à afficher son casier judiciaire. Les habitants lui en voudront, l’obligeant à plier bagage pour un nouvel endroit où elle rencontrera un jeune homme, futur collègue de travail et petit ami d’un temps. Le film est d’autant plus fragile parce qu’il est éphémère, tout n’est que passager, l’histoire d’un temps. Le temps devient donc l’un des éléments les plus excitants puisqu’il oblige le spectateur à se focaliser sur la nouvelle vie de Suzuko sans oublier de jeter un œil sur la montre, il sait d’avance que chaque nouvelle vie est momentanée, annihilant par la même occasion n’importe quelle création de projet partout où passe la jeune femme. On n’est pas non plus dans le sentiment d’alerte permanent, le film étant aussi joliment planant et rythmé que tout bon drama japonais qui se respecte, mais il se démarque par sa plastique rigoureuse et rapidement identifiable. Un seul personnage à l’écran et la caméra colle au plus près de ses émotions (en l’occurrence 90% du temps avec Aoi Yu), deux personnages à l’écran et l’arrière-plan se floute. Technique bête mais donnant un cachet visuel monstre, au-delà d’une simple vraie rigueur de cadre. Le film alterne aussi calme d’un repos bien mérité et énergie pure notamment lors d’une impressionnante séquence où Suzuko s’échappe d’un tête à tête après avoir confié son « secret » à son ami, la caméra délire, se place en face de cette dernière et la suit en traveling arrière tandis que le gus la rattrape à vélo. Immense déclaration d’amour à Aoi Yu et complice absolu de ses déboires sociaux (repoussée par la société, à l’image de son petit frère) et sentimentaux dans un dernier tiers bouleversant de tension et de réalisme. Toute la rage intérieure de Suzuko est contenue, prête à exploser, mais rien ne se passera. Un simple départ, comme tant d’autres passés et à venir. A croire que la petite n’a pas d’émotion, mais bien au contraire. Cet enchainement de déconvenues sociales et amoureuses l’ont fait grandir et se retrouver à la fois, en témoigne aussi ce dernier plan aux multiples niveaux de lecture. Que dire de plus de cette excellente surprise si ce n’est qu’elle permet à Aoi Yu de trouver l’un de ses plus beaux rôles au cinéma.
A l'origine commandité comme véhicule pour stars pour la talentueuse AOI Yu, la réalisatrice Tanada Yuki (réalisatrice de "Moon & Cherry", scénariste de "Sakuran" et actrice dans "Bizarre !! Invasion of the ghost bar !") s'empare du genre du teenage movie avec une rare intelligence. Au-delà du cheminement typique de l'assomption de soi-même et en refusant de concéder à l'exigence de ses producteurs de la Nikkatsu d'écrire un "happy end", Tanada signe un très beau portrait réaliste d'une jeune femme entre l'âge adolescent et celui de la maturité et aborde au passage quelques thèmes assez tabous dans l'actuelle société japonaise.
A premier coup d'œil, nous avons donc une comédie dramatique, qui démarre sur un incroyable concours de circonstances pour pousser une jeune femme de voler de ses propres ailes, en enchaînant des petits boulots dans différents endroits du Japon. Son dernier arrêt (du moins dans l'histoire, qui nous est présenté) semble également celui du "havre de paix", d'un port où elle pourra finalement jeter ses attaches en emménageant avec un homme…D'un humour discret et subtil avec quelques événements, qui semblent des drames dans une petite vie paisible, "One million yen girl" véhicule au moins autant de beaux sentiments (les clichés en moins) que le récent "Departures" et prouve une nouvelle fois, que le cinéma japonais plus que n'importe qui d'autre sait saisir ces petits moments de la vie.
A y regarder de plus près, le film aborde pourtant des thèmes bien plus profonds, qu'il ne paraît au premier regard et confirme la volonté de cinéastes plus "indépendants" à vouloir égratigner des choses plus graves – même sous la joute d'un producteur purement commercial.
Sans vraiment s'y attarder, la condamnation injuste et totalement démesuré (à de la prison FERME) par rapport au "crime" commis est une nouvelle dénonciation d'un actuel code pénal totalement révolu et non adapté par rapport à l'époque présente (voir également l'excellent "I just didn't do it"); pire, cette condamnation pour trois fois rien va s'avérer un lourd boulet à tirer dans une société extrêmement rigide, qui condamnerait le moindre écart de conduite.
C'est donc avec une incroyable MEFIANCE, que la petite Yu sera accueillie un peu partout. Il s'agit d'outrepasser le regard d'autrui, de faire fi des préjugés et de faire à tout prix ses preuves.
La seule communauté où elle sera acceptée sera celle perdue dans les montagnes, où elle ramassera des pêches; sauf qu'à découvrir son passé, le retour du bâton sera trois fois plus terrible avec une véritable "chasse à l'homme", qui devra la contraindre à poursuivre son chemin (et aura des sérieuses retombées sur sa famille d'accueil).
Comme déjà évoqué dans le récent "Departures", personne ne cherche à comprendre le "fond" des choses et de la personne; seul compte la première impression (elle est belle, donc elle pourra se faire draguer sur son premier lieu de travail, se fera enrôler comme "ambassadrice" de la seconde région) et le rejet quand on apprend qu'elle a purgé une peine de prison. Elle devra donc constamment jouer un double rôle en se gardant de dévoiler quoi que ce soit de son passé.
Cette méfiance est également liée à la peur "de l'étranger"; partout où elle ira, elle est considérée comme une "étrangère", même dans la dernière ville, à peine à une heure et demi en train de Tokyo (presque encore la banlieue de la mégalopole)…Une étrangère dans son propre pays, voilà une belle métaphore de parler de la méfiance des japonais à l'encontre de toute personne "de l'extérieur", sentiment profondément ancré dans les gênes des habitants depuis la réclusion autarcique exercé pendant des siècles au "Moyen-âge féodal" et les répercussions directes du conflit de la seconde guerre mondiale et de la malheureuse occupation américaine pendant les décennies suivantes.
Enfin, Yu interprète également un jeune adulte de la "nouvelle génération": une jeune femme libérée du joug de ses parents et entreprenante (elle décide de quitter la maison familiale à un âge relativement jeune), qui n'hésite pas à se déplacer géographiquement (la plupart des japonais sont plutôt sédentaires) pour enchaîner les boulots les plus divers (ce qui va à l'encontre de la vieille tradition de garder un même boulot toute sa vie) et même les plus mal vus (entre serveuse dans un bar sur une place, cueilleuse de fruits et aide dans un magasin de grande surface). Une conduite de vie, qui semblerait presque normale dans notre système occidentalisé à coups de boulots intérimaires, mais qui présente (encore) une sacrée révolution dans un pays comme le Japon.
On pourrait encore parler de l'incroyable pouvoir de manipulation de l'ensemble des personnages, qui tentent d'abuser de la jeune fille – abus, qui va justement forger son caractère à devenir une individualiste et
SPOILER
à reprendre son chemin toute seule
FIN SPOLER
Bref, une comédie dramatique superbement réussi et bien plus réfléchi, qu'elle n'y paraît au premier abord…AOI Yu peut être fière d'apparaître dans des films de cette qualité.