Bouleversant, tragique, fascinant.
J'avais vu ce film lors de sa diffusion tardive sur France 2 il y a quelques années. Ce fut le choc, un choc incroyable; je n'imaginais pas que tant de beauté dans tous les sens du terme aurait pu être concentré en moins de 2 heures. Je vais vite le revoir et en dire un peu plus que ça très bientôt.
Nuages d'inspiration
S'il est bien un cruel démenti à tous les critiques occidentaux qui ont longtemps tenu Naruse comme la dernière roue du carosse de l'age d'or du cinéma japonais, ce sont bien ces Nuages Flottants qui soutiennent sans peine la comparaison avec ce que Kurosawa, Mizoguchi et Ozu ont pu faire de plus fort artistiquement. La grande raison de cet oubli est ce qui rend la mise en scène du film remarquable: Naruse n'a pas de "signature" visuelle, cette chose dont la recherche est un des grands maux du cinéma actuel, qui fait que certains cinéastes croient que quelques mouvements de caméra qui sortent de l'ordinaire suffisent à faire un projet de mise en scène, contrairement aux cinéastes précédemment cités. Dans Nuages Flottants, la caméra ne désire que se fondre dans le décor, les cassures de plans les plus réfléchies semblent couler de source, la durée se crée sans etre soulignée comme chez Ozu. A ce stade, il faut aussi appeler Suzuki à la rescousse pour mettre en exergue la force du film: "Si l'on considère les yakuzas comme des hors la loi, la chose est également vraie pour les héroines de mélodrame qui se mettent elles-memes en marge de la société et bafouent la morale conventionnelle à force de chercher l'amour impossible." Nuages Flottants en est l'illustration parfaite, celle de la détermination d'une femme à vivre le grand amour avec un homme marié rencontré en Indochine, quitte à supporter son coté coureur de jupons, son incapacité à s'engager vraiment, à vivre dans la misère d'un Japon d'après-guerre décrite avec un réalisme sec par le film, en allant meme jusqu'à se prostituer. Ici, on n'est pas comme chez Lars Von Trier en présence d'une fille niaise qui subit sans broncher tous les malheurs de la terre mais d'un etre s'entetant à etre amoureuse tout en n'ayant pas peur de cracher à la figure de l'etre aimé quelques vérités déplaisantes sur le caractère inadmissible de son comportement. Sauf que là où la plupart des héroines du cinéma japonais de son époque sont investies d'une dimension mythique, irréelle ou se déterminent par rapport aux valeurs japonaises traditionnelles, point de cela chez Naruse qui dépeint les femmes de son temps et leur volonté de prendre en charge leur destin de façon réaliste: pour schématiser, on pourrait dire que l'écart entre la représentation de la femme chez Naruse et celle du cinéma de son temps est un peu comparable à celui existant entre les héroines du cinéma français des années 40/50 et celles des premiers films de la Nouvelle Vague. Du coup, il n'est donc pas surprenant que ce peintre réaliste de la femme et de sa condition ait trouvé ses premières avocates de réhabilitation cinéphile chez des critiques féministes.
Naruse fait ici preuve d'une maitrise avérée de l'arsenal mélodramatique: usage pertinent du flash back, score lyrique utilisé avec parcimonie mais juste aux bons moments pour dramatiser, équilbre d'un film où des moments sous influence néoréaliste sont savamment dosés avec des scènes intimistes plus mélodramatiques. Sans passer par l'emphase comme peuvent le faire d'autres avec un grand talent (Woo, Sirk, Almodovar...), Naruse offre une oeuvre qui remplit son contrat de film poignant. Naruse cinéaste de genre? Oui, parce qu'il oeuvre dans ce qui est considéré comme un genre à part entière au Japon et qui fut aussi une grande lame de fond avec ses spécialistes à Hollywood, le film de femmes. Naruse est donc peut-etre plus proche de Sirk, Cukor ou Mankiewicz que d'Ozu ou Mizoguchi. A ce propos, il est temps de mentionner Takamine Hideko, actrice fétiche du cinéaste qui ici n'a aucun mal à rivaliser avec Hara Setsuko ou Okada Mariko à leur meilleur: un regard, un rire ironique, un passage brusque de la tristesse à la joie lui suffisent pour exprimer la multiplicité des ses sentiments, son amour et son mépris de l'homme qu'elle aime, un Mori Masayuki qui confirme dans un registre plus retenu sa prestation remarquable en Prince Mychkine chez Kurosawa. Nuages Flottants est peut-etre le film où se déploie le mieux l'art de Naruse pour capter les nuances les plus infimes du regard des etres. Naruse encore cinéaste muet malgré son passage au parlant?
Nuages Flottants fait partie de ces quelques films que tout amateur de cinéma japonais se doit d'avoir vu parce qu'il incarne le moment où le savoir faire d'un système de studios (acteurs, techniciens, scénaristes) se met au service de la vision d'un cinéaste en état de grace, qu'il fait de ces oeuvres où la maitrise parfaite de l'art cinématographique s'allie à une forte dimension humaine, des classiques en somme.
Incomparable ?
Un chef-d'oeuvre envoûtant qui m'a plutôt fait penser à Stendhal et à Dostoïevski qu'à Ozu ou Mizoguchi. Les thèmes (la liberté, le destin, la passion) sont universels, Naruse les traite avec la vigueur d'un romancier, et pourtant c'est un film.
chef d'oeuvre d'émotion.
une histoire qui vous hante,des acteurs extraordinaires,une réalisation parfaite....
vous avez dit classique?
oui,effectivement
Parfait
Un des plus grands films de tous les temps.
Chef d'oeuvre absolu
Film culte. Très en avance sur son temps. Parce que le personnage joué par TAKAMINE Hideko est vraiment moderne, elle s'assume. Pour moi, Hideko dépasse TANAKA Kinuyo et KYO Machiko dans ce film. C'est vraiment l'une des plus parfaite composition de l'histoire du cinéma (mondial, pas seulement japonais) pour une actrice. Quant à MORI Masayuki, il est, comme on peut toujours s'y attendre avec lui, magistral - retenu, tellement crédible dans sa veulerie que l'on a un peu honte nous aussi. Tous deux méritent bien la note de 5 sur 5, pas de doute.
J'ai vu ce film en 1999 à Nantes, au cinéma, lors d'un petit festival de cinéma japonais. Un choc. Je suis retourné le voir, fasciné. Puis il a été programmé sur Arte, et j'ai regardé les trois diffusions. Mon admiration n'a pas diminué, au contraire.
Je ne crois pas que ce film, malgré son histoire magnifique, soit meilleur que les chefs-d'oeuvre de Mizoguchi, Ozu et Kurosawa, mais il les égale, dans son style particulier. Naruse était très prisé à l'époque. Dommage qu'il soit un peu oublié, et en particulier "Nuages flottants", dont l'atmosphère vous hante durant des années. Mais c'est avant tout un chef-d'oeuvre d'interprétation, et les second rôles sont parfaits aussi, comme la petite OKADA Mariko, que l'on retrouve chez Ozu.
Je comparerais ce film à "La dame au petit chien" de Iossif Kheifits (1959), une autre bouleversante histoire d'amour, dans un magnifique noir et blanc, et qu'il faut également revoir de nombreuses fois pour en admirer la perfection. Mais "Nuages flottants" est plus moderne, et touche plus le spectateur d'aujourd'hui, je pense.
Si vous pensez, comme moi avant 1999, que TANAKA Kinuyo est la plus grande actrice japonaise, voyez ce film, et vous changerez probablement d'avis.
Un chef-d'oeuvre (malade) du cinéma japonais
"Ukigumo" : "Nuages flottants", ou peut-être : "Nuages à la dérive". Le titre correspond parfaitement aux trajectoires évasives et indécises des deux personnages, Yukiko et Kengo, amants pendant la seconde guerre mondiale (ils se trouvaient en Indochine), qui se retrouvent au Japon après la défaite.
Cependant, il ne faut pas se fier entièrement à son titre : Nuages Flottants est un film sans concession et, quelque part, un film malade, infecté, fiévreux, comme l'écrit Jean Narboni, qui serre le cœur et le met au défi de manière inattendue.
C'est d'abord une peinture forte et parfois violente de la maladie des sentiments, comme disait justement Antonioni : ceux, alternant, vacillant, des deux amants - quoique l'héroïne, personnage central du film (la merveilleuse Hideko Takamine, actrice fétiche de Naruse), fasse preuve en l'occurrence d'une invincibilité et d'une obsession maladive dans son amour qui donne en partie au film sa température tourmentée et vertigineuse.
Mais c'est peut-être surtout cette maladie du temps (qui s'immobilise, se répète, s'égare, revient), de l'action (réduite et souvent mise en échec), et des images, dans ce magnifique et sombre noir et blanc (sorte de long Nocturne sévère mais puissant), qui impressionne, trouble, contamine, monte aux yeux comme un parfum souffrant et capiteux à mesure que le film avance.
C'est enfin un grand film malade, comme disait Truffaut, chef-d'oeuvre brut et presque étrange dans l'œuvre de Naruse, qui impressionna fortement Ozu, et l'ensemble des cinéphiles japonais.
Il faut peut-être en rabattre un peu, mais un peu seulement. Il y a effectivement du mélo, du répétitif, du flash-back, de l'amour impossible dans ce film, et c'est sans doute ce qui rebutera un grand nombre de ses spectateurs, mais il me semble que la retenue et la délicatesse sobre de la caméra de Naruse, mêlées à une sorte d'exigence de réalisme et de vrai empêche toujours le film de tomber dans le larmoyant. L'exigence de réalisme, chez Naruse, peut prendre suivant les films différents aspects ; elle me semble ici appliquer à la lettre cet adage qu'on pourrait tirer de l'œuvre de Clément Rosset, et qui la résumerait d'ailleurs en partie : "Plus c'est cruel, plus c'est réel".
Quiconque a apprécié Nuages Flottants sait bien pourtant que ce que je viens de dire est insuffisant : il reste quelque chose d'inqualifiable, un je-ne-sais-quoi, comme une palpitation lancinante et désespérée qui soulève le film, et qui ne nous laisse pas tout à fait tranquille. Disons-le alors d'un mot : Nuages Flottants pose problème, et d'autant plus me semble-t-il que nous ne sommes peut-être plus habitués, de nos jours, à ce qu'on nous peigne aussi franchement et crûment la vie (du moins, une partie d'elle) au cinéma. Après tout, on pourrait dire que comme la plupart des films de Naruse, Nuages Flottants ne ment pas, et c'est à mon sens le plus beau compliment qu'on puisse faire à un film.
Nody,
http://www.senscritique.com/film/nuages-flottants/2051229587513716/critique/nody/
Invitus, invita, non dimisit
C'est un chef d'oeuvre difficile à classer et qui ne respecte pas vraiment les règles du mélodrame, l'amour des deux amants n'étant pas soumis aux épreuves de la vie mais à une tension interne : pourquoi demeure-t-elle rivée à cet homme fuyant et voué à la rendre malheureuse ? pourquoi conserve-t-il ce fond de tendresse envers cette femme qu'il n'aime plus ?
Même si, comme toujours chez Naruse, le portrait du déclassement social et des soucis financiers, des violences et fausses promesses faites aux femmes est très présent, le coeur du sujet est finalement plus modeste et plus ambitieux à la fois : le film ne parle au fond que du sentiment amoureux. Et ce n'est sans doute pas un hasard si les plus belles scènes du film sont ces lentes promenades désespérées et qui ne les apaisent pas, que reproduisent sans fin les deux amants qui ne savaient pas s'aimer.
Mélo Deluxe
Ah, les tourments du cœur, qui mieux que Naruse n'aura su les exprimer dans ce film plein de formidables ellipses, construit comme une succession de saynètes qui font à chaque fois l'effet d'un coup de poignard un peu plus violent. Malgré son titre aussi léger que la vapeur d'eau,
Nuages Flottants est une œuvre morose, fébrile, déchirante, bercée par une ténébreuse musique qu'on croirait tout droit sortie de la flûte d'un charmeur de serpents. La performance à fleur de peau d’Hideko Takamine place d’emblée la comédienne parmi les égéries du cinéma classique japonais, rang auquel seules quelques actrices de la trempe de Setsuko Hara, Kinuyo Tanaka ou encore Keiko Kishi ont pu prétendre. Face à elle, le vétéran Masayuki Mori, qui a joué sous la houlette de Kurosawa et Mizoguchi, ne démérite pas – bien au contraire – dans ce rôle d’amant distant et désabusé dont l’ancienne conquête essaiera contre vents et marées de raviver l’amour éteint. Un mélo brusque et amer, qui reste gravé dans la mémoire comme les doux souvenirs d’Indochine de ses deux personnages.