Elise | 3.5 | Beau film, qui sait rester simple et percutant |
Xavier Chanoine | 3.75 | Une très belle réussite |
Bande annonce
Jeune cinéaste issu de la télévision dans les années 90 et avant tout scénariste de franchises à succès (la saga des Bayside Shakedown, plusieurs épisodes de l’adaptation de Gen d’Hiroshima pour la télévision), Kimizuka Zyoichi signe avec Nobody to Watch Over Me un film tel qu’il devient instantanément l’un des cinéastes du circuit commercial les plus prometteurs au Japon. Fort d’un matériau de base solide (un fait divers se transforme en véritable chasse à l’homme) qui lui aura valu le Prix du scénario à Montréal et sûrement la chance de représenter le Japon aux derniers Oscars, Nobody to Watch Over Me démarre fort pour ne plus lâcher le spectateur sur près d’une heure. Les premières images sont des petits miracles à elles-seules, où le You Were There de Libera (ici, l'effet "chorale d'enfants" est loin d’être niais) accompagne avec douceur et délicatesse les arrestations de Saori, ses parents et son frère, ce dernier étant suspecté d’avoir assassiné deux filles de son âge. L’utilisation du ralenti est à ce propos un modèle dans le genre. Le prochain quart d’heure, grisant, expose la sauvagerie des médias prêts à tout pour soutirer des informations à la jeune Saori (convaincante Shida Mirai) et à avoir son portrait dans leur prochain papier. Vingt minutes en forme de calme avant la tempête, la douceur des premières images et la violence des suivantes forment une sorte de contraste stupéfiant, entre beauté où le temps semble suspendu et véritable course-poursuite pleine de tension. Le ton est rapidement donné, Nobody to Watch Over Me ne va pas se moquer du spectateur en dépeignant une société haineuse envers les personnes ayant le malheur d’appartenir à la famille d’un meurtrier. Les « qu’en dira-t-on » typiques prennent ici une ampleur telle que la police se voit régulièrement obligée de protéger ces malheureuses personnes, allant jusqu’à les cacher ou changer leur identité : les parents du meurtrier doivent par exemple signer un contrat de divorce dans la hâte, pour que l’épouse reprenne son nom de jeune fille afin de mener une vie plus tranquille. Un nouveau contrat est alors signé dans la foulée. Une pratique hallucinante qui semble pourtant être particulièrement maîtrisée, les inspecteurs de police connaissant par cœur l’ensemble des démarches à réaliser.
La première partie, clairement délimitée par le You Were There de Libera, est donc l’une des grandes réussites du film, alternant les différents points de vue et focus sur les personnages, en évitant de tomber dans une certaine complaisance. Le film opte également pour le thriller en évoquant les relations tordues entre l’inspecteur Katsura (excellent Sato Koichi) et un professionnel de la presse, ce dernier n’ayant pas oublié le triste épisode de la vie de l’inspecteur, responsable en quelques sortes du décès d’un enfant qu’il devait alors protéger. Le fait qu’il ait à présent sous sa responsabilité la jeune Saori attise peut-être un peu trop la curiosité du journaliste. En parallèle, Katsura épaulé par son acolyte Mishima (impeccable et sobre Matsuda Ryuhei) enquêtent sur les internautes mettant en ligne la moindre information privée sur Saori et sur le lieu où elle se trouve. L’écriture est donc clairement l’un des points forts du film, bien que le film perde un peu de sa tension passé la première heure, lorsque l’inspecteur et la petite Saori se rendent dans un hôtel sur la côte, tenu par la famille du défunt enfant dont Katsura était responsable. Ce dernier revient d’ailleurs assez souvent pour prier l’âme du petit, mais les conditions sont ici différentes, le lieu servant à présent de repère à Saori, loin des regards curieux ou tout simplement vicieux. S’attardant sur l’évolution du fait-divers, le cinéaste démontre combien Internet rend l’anonymat impossible : des internautes arrivent à donner des informations privées sur Saori, exposent son portrait un peu partout sur la toile, des actions qui aident ainsi quelques vilains curieux à se rendre sur les lieux du repère. Plantés face aux fenêtres, un peu comme les clochards devant l'église du Prince des ténèbres de Carpenter, Kimizuka entretient ainsi un certain suspense malgré une intrigue plus posée, sans doute plus ennuyeuse aussi. Malgré tout, la charge envers les nouvelles technologies (webcams de surveillance, le streaming vidéo sur internet) et une partie de la société nippone (et ses habitants haineux par préjugés) maintient le film à flot malgré sa baisse de rythme, allant jusqu’à montrer un ami de Saori débordant de mauvaises intentions malgré ses promesses envers cette dernière. Le climat n’est donc plus sûr et l’issue bien floue.
Malgré tout le film se termine sur une note plutôt positive, la volonté du cinéaste de clore les débats sur une belle éclaircie se veut être rassurant après que le spectateur –assez large- ait enduré des épisodes pas toujours très gais : le crasse du copain de Saori qui aura valu à l’inspecteur Katsura quelques vilains coups, la déception de sa fille qu’il arrive à avoir de temps à autres au téléphone, le deuil bientôt terminé des gérants de l’hôtel ne seront bientôt plus que de mauvais souvenirs. Le film n’aurait d’ailleurs pas réellement gagné à se terminer sur une note bien plus sombre. Une chose est en tout cas assez drôle, comme une grosse précipitation d’un mois de mars laissant place aux éclaircies, les harceleurs semblent disparaître une fois que Saori s’est décidée à rompre le silence face aux inspecteurs de police désireux d’avoir sa version des faits : une fois interrogée et lavée de tout soupçon, la jeune fille pourra retrouver une vie normale, et les habitants métamorphosés pour l’occasion en chasseurs d’homme de vaquer à leurs occupations habituelles. En un coup de vent, la terrible pression laisse place au soulagement.