Xavier Chanoine | 3.75 | Voyage marquant |
Adaptation d'une nouvelle de l'écrivain Miyazawa Kenji, Night on the Galactic Railroad est une petite merveille d'animation minimaliste, colorée et surréaliste à des années lumières du tout venant d'animation actuel. Volontairement lent et contemplatif (incroyable accumulation de zooms lents et de gros plans), la structure de l'animé est faite de telle manière à ce que le spectateur ressente aussi cette sensation de "voyage" spatio-temporel, où l'espace abstrait se mêle à une faille temporelle absolue : Giovanni quitte son village la nuit pour finalement y retourner le soir même en fin de métrage, alors qu'il semblerait qu'une éternité se soit déroulée notamment grâce à la présence de décors -une fois de plus- abstraits comme cette immense ossature de dinosaure, ce fond noir, ce pré ensoleillé dont le but est de nous perturber sur le déroulement du temps, de casser l'aspect temporel pour immerger le spectateur dans un univers propre à aucun autre, et grâce aussi à la présence généreuse de personnages bis tous plus inquiétants les uns que les autres : on pense à ce gros matou chasseur de cigognes, à cet autre matou aveugle (précisons, tous les personnages exceptés les derniers "invités" sont des chats), au professeur de Giovanni troquant son statut d'enseignant pour une casquette d'archéologue passionné, jusqu'au contrôleur de tickets. La grande qualité de l'oeuvre est sa démarche narrative très linéaire mais passionnante : chaque nouvel épisode du voyage se traduit par l'apparition d'un écriteau sur fond noir en japonais et en esperanto annonçant notamment l'apparition d'un nouveau personnage ou d'un nouveau rebondissement. Très intéressant, ce système permet d'instaurer davantage de suspense et d'ambiance pesante, une ambiance réussie dans tous les cas grâce à une utilisation judicieuse de bruits de mécanique et à la beauté aérienne de la composition de Hosono Haruomi (A Promise, Appleseed Saga Ex Machina...). Sans être forcément un pur huit clos, bien que l'essentiel des débats se situe à l'intérieur d'un wagon de train, Night on the Galactic Railroad donne cette impression de monopoliser le décor du train pour sa diégèse, or, la première partie du film et la dernière se déroulent dans un village et les nombreux "arrêts" du train envoient nos héros dans de nombreux univers oniriques inconnus. Mais parce que les passages dans le dit train sont parfaitement bien négociés, ils donnent l'impression de tenir une place importante dans la narration : lieu de rencontres peu ordinaires certes, mais théâtre annonçant souvent l'extraordinaire. Qui aurait parié sur la véritable personnalité du matou aux cigognes, ce gros chat suspect qui n'est autre que l'acteur de la plus belle séquence du film?
Voilà une autre force du film, savoir casser le rythme pour créer la fulgurance d'un instant, ce moment de bonheur cinématographique que le domaine de l'animation peut nous apporter : la chasse aux cigognes, merveille d'onirisme, cette étrange reconstitution du naufrage du Titanic, ce pré ensoleillé que les gamins observent le temps d'un voyage express, ces personnages qui disparaissent laissant les couloirs du train vides et envahis par le silence, ces commentaires touchants des rescapés du Titanic. Mais est-ce que ces moments sont réels, ou ne sont-ils que les esquisses de l'imagination débordante de Giovanni, passionné par l'astrologie? Un peu comme dans Le Voyage de Chihiro, est-ce que cette ballade en train a une répercussion directe sur la réalité ou n'est-ce qu'un simple rêve? Le film de Gisaburo Sugi surfe sur de nombreuses thématiques et se permet même quelques pirouettes sur la religion et son importance auprès de certains personnages donnant lieu à quelques moments hypnotiques un peu "surfaits" pour les plus athées d'entre nous certes, mais artistiquement très réussis. Dans l'ensemble le film tient vraiment la route, le chara-design ne brille pas par sa virtuosité, mais Gisaburo Sugi confirme l'idée du minimalisme et l'assume jusqu'au bout, on est bien loin des bastons et des peaux toutes brillantes de l'excellente série d'animation Street Fighter II V par exemple. Le travail opéré par Kodama Takao donne lieu à de nombreux personnages ronds et colorés qui se ressemblent très souvent, mais que l'on distingue par une couleur différente. De plus certains choix artistiques sont remarquables (les cigognes lumineuses sur fond noir intense) et ne font que renforcer cette idée d'un minimalisme beau et attachant. Il en va de même pour l'animation artisanale. Du bien bel ouvrage donc que ce Night on the Galactic Railroad, étrange et fascinant moment de cinéma sorti de l'esprit de Miyazawa Kenji, valant pour son côté sombre et lunaire que d'autres animes n'ont pas, privilégiant la lenteur et le silence là où d'autres explosent de poésie.