nankin! nankin!
Ce qui peut assez troubler dans cet oeuvre chinoise, c'est que l'on est autant du point de vue des bourreaux que de celui des victimes. Ce film aurait d'ailleurs emmerdé pas mal de monde en chine, car il semblerait qu'il dépeigne le côté japonais avec bienveillance. C'est assez faux, ce qui à mon goût a pu faire ressentir une pareille chose c'est peut-être la possibilité de s'identifier à ces assassins, cette meute assoiffée de chair et de sang que l'on accompagne dans sa mise à sac de ce qui était à l'époque la capitale de la chine. Dans ce camp japonais un seul homme se détache, un jeune soldat qui sans s'opposer aux actes barbares de ses camarades, semble dépassé, terrifié par ce qui se déroule. L'existence possible d'un tel homme dans le camp japonais est-elle si invraisemblable?
Là n'est bien entendu pas la question, mais le choix de faire d'un tel personnage quasiment le "héros" du film. Ce choix permet de découvrir nankin dans la peau d'un soldat en guerre... en évitant le coup trop lisse d'être du côté des résistants (ce qui n'aurait pas était évident pour ce qu'on sait de Nankin). On évite aussi ainsi de se focaliser sur une raison évidente d'user d'un fusil contre la barbarie de l'ennemi.
Très bonne surprise
Alors que je m'attendais à un énième film de guerre sur fond d'anti-nipponisme primaire, ce fut une réelle surprise de voir un film aussi bon. Le réalisateur nous place au coeur de l'évènement, il nous fait revivre l'histoire comme jamais. Tour à tour il nous fait prendre le rôle de chacun, en nous faisant grace de surligner au marqueur les gentils et les méchants. Les acteurs sont tous excellents sans exception, le résultat est criant de vérité...
LU Chuan, fort de ses deux précédents et excellents films, KekeXili et the Missing Gun, revient avec un blockbuster doté d'un budget plus confortable. Après l'ironie de son premier film et l'âpreté de son deuxième, il choisit là un thème déjà exploité au cinéma, celui du massacre de Nanjing pendant la guerre sino-japonaise en 1937.
Point de place à la comédie évidemment tant le sujet ne prête nullement à rire.
Tourné dans un magnifique noir et blanc, avec une réalisation de toute beauté, on pense rapidement aux DEMONS A MA PORTE de Jiang Wen, lui aussi noir et blanc et traitant aussi de la même guerre. En fin de copte la comparaison s'arrête là car les deux films ont des sensibilités différentes. The City of Life and Death est bien plus dur dans la violence évoquée, les événements en question étant tout de même parmis les plus terrible dans la mémoire historique chinoise.
Néanmoins LU Chuan ne tombe jamais dans l'exploitation gratuite comme c'était le cas pour d'autres films comme BLACK SUN par exemple. Il faut savoir que NANJING! NANJING! a fait polémique car certains ont jugés que le cinéaste aurait adouci la barbarie des japonais par la représentation plus nuancée de ceux ci.
Mon point de vue est un peu différent: LU Chuan reste tout de même dans le cliché, mis à part un soldat japonais qui est présenté de manière assez bienveillante. Le fait que l'on ne sorte pas vraiment des clichés n'est d'ailleurs pas vraiment condamnable dans le sens ou les événements en question sont d'une férocité que les nazis n'auraient pas reniés. Je comprend en outre la polémique car il est vrai que même si ce qui est montré dans le film est terrible, on est encore assez loin de la réalité documentaire.
Dans l'ensemble j'ai trouvé le film vraiment bon, prenant, magnifique, très bien interprété et mis en scène. LU Chuan confirme donc tous les espoirs que j'avais en lui et dépasse le niveau de ses premiers films. Il devient clair qu'il faudra compter sur lui à l'avenir.
Une question de ville et de morts
Il y a des fois, où je regrette franchement l'abandon du Noir & Blanc au profit de la couleur. Les cinéastes avaient atteint un tel degré de perfection dans l'utilisation du clair-obscur, que l'arrivée de la Technicolor et consorts renvoyaient les œuvres des dizaines d'années en arrière…
Depuis la couleur a évidemment donné des véritables chefs-d'œuvre et certains vrais artistes ont su s'accaparer du procédé pour créer des véritables règles grammaticales cinématographiques – mais j'avoue avoir une préférence pour le N & B – et ce n'est pas pour rien, si "Rusty James" (aka "Rumblefish") de Coppola est l'un de mes films de chevet.
Une pensée, qui m'est immédiatement revenue à l'esprit aux premières images de "city of life & death", où l'utilisation du N & B est absolument magistrale et garant de l'une des nombreuses clés du succès du film. Rarement, le clair-obscur n'a été autant magnifiée et bien servie son propos.
Mais ce n'est assurément pas la seule qualité de ce chef-d'œuvre…"City of life & death" s'impose d'emblée comme un chef-d'œuvre et l'un des meilleurs films de guerre de tous les temps.
Lu Chuan prouve ainsi sa réputation acquise au fil de ses deux premières œuvres comme l'un des tous meilleurs réalisateurs chinois en activité. S'emparer du difficile conflit du massacre de Nanking, surtout du point de vue du grand empire et dans une période d'actuelle tension entre le pays et celui du soleil levant pouvait présager du pire…Il n'en est rien. Si l'envahisseur nippon est évidemment démontré comme l'occupant tyrannique et sans foi, ni loi, qu'il était, Chuan réussit à prendre la bonne distanciation, remettre ce massacre dans le contexte du temps de guerre, où des millions de gens ont été entraînés dans un conflit d'intérêt, qui les dépassait très souvent et où le côté bestial de l'homme a pris le dessus sur la raison. Le personnage du soldat Kadokawa, pas du tout en phase avec son pays et ses collègues n'est donc pas le seul élément modérateur…Chuan réussit à montrer l'horreur de la guerre dans son ensemble.
Pour ce faire, il utilise également un procédé narratif, qui s'attache à différents destins et épisodes à l'intérieur de la ville de Nanking magnifiquement récréée…Un procédé, qui a ses avantages, comme celui d'aborder beaucoup d'aspects foncièrement différents, mais qui a également pour défaut de moins impliquer le spectateur, en ne lui permettant pas vraiment de s'identifier à un personnage central, notamment dans toute la partie introductive et dans la seconde partie un brin longuette…En même temps, au moins à partir de la scène absolument monstrueuse du massacre en gros, la représentation de l'horreur d'une guerre dans son ensemble prend tellement aux tripes, que l'on s'en fiche de ce menu détail – et, encore une fois, cela permet finalement de prendre l'horreur dans son ensemble, plutôt que d'assister à l'habituelle représentation caricaturale d'une flopée de soldats stéréotypés et / ou de voir le conflit à travers les yeux d'un seul témoin (reporter, enfant, etc).
3city of life & death" est tout simplement l'un des meilleurs films de guerre de tous les temps – étonnant pour une production chinoise de ce type et qui réussit à renvoyer aux oubliettes de très nombreux exemples de récente date, l'ensemble des films américains ou un "Assembly" chinois y compris. Un film, qui explose littéralement à la tronche des spectateurs, à voir impérativement sur grand écran, si vous en avez l'occasion.
A noter, que le film avait été sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes 2009, où il aurait très largement mérité sa place, avant qu'il ait été retiré en dernière minute – et en toute hâte – sous la pression d'un producteur français pour faire figurer une production chinoise totalement anecdotique en lieu et en place, privant ce bijou d'une carrière internationale, qui aurait été amplement mérité.
L'Art n'est plus, vive le business !