Xavier Chanoine | 3.5 | Un Yamada touchant captant la beauté de l'instant avec brio |
Dans l’optique de continuer de parler des gens aux gens -spectateurs, Yamada Yoji trouve avec My Sons un bel équilibre, celui de dénoncer l’étroitesse des villes pour des vieillards obligés de quitter leur maison de campagne pour un temps à travers une chronique sur la famille et ses opposés générationnels : Akio, interprété avec nonchalance par Mikuni Rentaro, retourne à Tokyo après les funérailles de sa défunte femme afin de retrouver de vieux amis. Ses enfants parlent de lui, de son avenir, ce dernier se retrouvant à présent confronté à la dangereuse solitude mais personne ne trouve de compromis pour l’héberger ou lui trouver un endroit où vivre en plein Tokyo. L’un des deux fils vit avec sa femme et sa fille en plein centre mais ne dispose pas d’assez de place pour l’héberger, puisqu’une petite pièce pourtant à disposition ne pourrait satisfaire le vieillard au vu de sa corpulence. L’autre fils, Tetsuo, vit de son nouveau boulot manuel mais reste bien trop mobile pour pouvoir garantir la sureté de son père, surtout depuis la rencontre avec une jeune secrétaire sourde et muette. Il ne pense qu’à elle et s’offusque que l’on porte un jugement sur son handicap. Akio reste donc transporté de fils en fils pendant les quelques jours qu’il doit passer dans la capitale.
C’est avec de pareilles histoires que le cinéaste de la saga des Tora-San parvient à être si proche des japonais, public rallié à sa cause depuis des années à en juger son immense succès d’estime à chaque nouvelle création. Grand scénariste de la vie de tous les jours, Yamada Yoji explore avec My Sons la difficulté des vieilles personnes à évoluer dans une société qui les dépasse à mesure qu’ils s’éloignent de leur paisible campagne. L’un des problèmes soulevés lors de l’évocation du futur d’Akio reste centré sur l’espace, l’environnement, la famille s’inquiétant qu’un homme pareil ne puisse plus voir ses montagnes une fois perché au onzième étage de son appartement situé en centre-ville. La séquence où ce dernier découvre Tokyo est d’ailleurs impressionnante, le vieillard reste ébahis/inquiet en regardant par la fenêtre du taxi qui le transporte, son regard en dit long sur cette sensation nouvelle, comme un gosse qui découvrirait un immense parc d’attraction avec son lot de barbe à papa exquises mais aussi de machines à dégueulis. La paroi est d’ailleurs une des symboliques grandement utilisées dans My Sons, séparant l’homme de son monde et créant ainsi une barrière avec ce qu’il ne côtoiera finalement jamais : la ville, ses complications, sa grandeur effrayante. Et lorsqu’Akio regarde la ville à travers la vitre de l’appartement de son fils aîné, il ne peut que ressentir une douleur qui l’empêche de voir au-delà du bout de son nez, il est comme piégé. Pure ironie du sort, l’appartement ridicule de son jeune fils est encore plus petit, mais c’est grâce à la beauté et la gentillesse de sa future compagne qu’il trouve enfin un semblant de sourire : fier que son fils ait trouvé pareille muse, en dépit de son handicap qui aurait pu le faire davantage souffrir, il ne pourra dormir sans entonner une chanson pleine d’entrain. Lui, habitué au saké, ouvrira finalement une canette de bière et la savourera comme aux premiers jours.
Dans le fond, My Sons ne diffère pas grandement de ce que l’on connait du cinéaste. On nage en plein dans la chronique sociale sans grandes ambitions dans le registre de l’émotion pure : Yamada ne cherche pas à faire du mélodrame malgré le contexte parfois fragile, la relation entre Tetsuo et sa protégée ne souffrira d’aucune gêne et Akio trouvera le sourire tôt ou tard malgré son côté blasé et patibulaire, même un peu attristé face à la folie de ses anciens compagnons bien habitués à leur vie de citadin. My Sons n’est pas non plus une grande comédie, on ne rigole qu’à travers certaines séquences où les vieux briscards se remémorent le passé en chantant des chansons patriotiques au karaoké du coin. Où sont donc les grandes ambitions du film ? On se le demande réellement dans la mesure où le film n’est qu’une chronique étalée sur une ou deux semaines, comme si Yamada s’était installé sur son fauteuil tout en prenant des notes sur ce qu’il voit et mette tout ceci en image une fois le travail jugé suffisant. Pourtant un sentiment de bien être règne tout au long de ce film maîtrisé à la perfection. La mise en scène séduit par sa simplicité et sa précision, le travail fournis sur l’image contient même parfois de belles fulgurances poétiques comme en témoigne cette formidable séquence de fin brassant les souvenirs et la chaleur humaine à travers un onirisme évident : Akio rentre chez lui en plein hiver, retrouve sa maison inhabitée, sans bruit et lumière, détourne son regard vers le salon où jaillit une lumière sur son regard ébahis : sa femme et ses enfants sont de nouveau au complet autour d’un repas, le sourire aux lèvres. Pourtant tout n’est que mirage, phénomène survenu après avoir passé d’agréables moments durant une semaine en compagnie de ceux qui l’aime (ou qui n'arrivent pas à lui montrer) malgré les difficultés dues à la ville. C’est un peu ça My Sons, des fulgurances fragmentées au service d’une chronique lucide. Beauté passagère, sincérité des propos, vivons le temps présent. Du cinéma précieux.