Un dernier volet inachevé en forme de sommet de la série.
La Maison du Japon n'ayant pu mettre la main sur les masters des 5 volets précédents de la version d'Uchida de la mythique saga Miyamoto Musashi, seul le sixième volet inachevé était visible. Pas grave, vu qu'une saga réussie est un saga dont les épisodes, s'ils se suivent narrativement, doivent pouvoir se suffir à eux-memes (cf La Condition de l'homme 1) et c'est le cas pour cet épisode.
Le film s'ouvre justement sur un "résumé des épisodes précédents" (Uchida devait se douter qu'ils ne seraient pas visibles pour les spectateurs parisiens lors d'une rétrospective future:)) qui permet déjà d'apprécier la refondation du personnage de Miyamoto Musashi par Uchida: on le voit assassiner froidement un enfant au cours d'une bataille et ne pas montrer de regrets; on est donc bien loin de la figure de mystique du sabre incarnée par Mifune dans Samurai 1 : Musashi Miyamoto. Pour le reste, on retrouve des extraits des débuts de Musashi en tant que soldat et les fameux duels au temple d'Ichijoji et dans l'ile de Ganryu. Suit ensuite 1h20 d'un film inachevé et réussi. Le Musashi d'Inagaki incarnait le héros épris d'honneur de l'age d'or du cinéma japonais; celui d'Uchida vient en plein milieu d'une époque qui a passé son temps à démythifier la figure du samourai en montrant la cruauté du bushido ( Rebellion) ou en dépéignant des samourais mercenaires ( Goyokin, l'or du Shogun). Dans le film, Musashi va incarner un samourai qui piège ses adversaires en retournant leur cruauté contre eux-memes: menacé par un couple qui veut venger la mort d'un des membres de leur famille sous le sabre de Musashi, il enlève leur enfant et menace de le tuer. Ce faisant, il tend à ce couple de véritables barbares sans foi ni loi un miroir de leur propre cruauté et les déstabilise. La vision d'Uchida est dès lors totalement nihiliste: si un Gosha montrait un héros positif en la personne de Nakadai Tatsuya, les personnages qui s'opposent à Musashi n'ont pas un comportement plus moral que le sien et sont motivés par leurs bas instincts de survie à travers le meurtre ou le pillage.
La force narrative du film est de créer une dramatisation constante tout le long du film à partir de trois fois rien: au bout de 10 minutes, on sait que, le couple ayant reconnu en Musashi l'assassin, le film sera centré autour du désir de le supprimer. Ce qui n'est qu'une anecdote de la vie de Musashi est superbement développé. Uchida Tomu a vécu l'ère classique du chambara et sa remise en cause. Sa mise en scène va prendre le meilleur des deux époques. Il intègre brillamment certains éléments caractéristiques du cinéma de genre des années 60: recours aux zooms et à la caméra portée. Quant à l'arret sur image, il en fait un usage totalement différent d'un Fukasaku: en plein milieu d'un duel, l'image d'un personnage s'immobilise et l'on entend en voix off ses pensées, son interprétation de la tactique de l'adversaire. Ce choix reflète la sensation que, lors de toute combat, le temps semble etre suspendu. Quant au personnage de l'enfant spectateur du combat, il annonce le bébé de la saga Babycart et incarne le rapport ambivalent du spectateur à la violence: d'abord dégouté par ce spectacle, il finit par y prendre plaisir. Mais Uchida apporte à sa vision son expérience de metteur en scène classique: les intérieurs sont cadrés comme une scène de théatre, les mouvements de caméra offrent au film un souffle épique réhaussé par le format scope. Le film y gagne une ampleur narrative absente chez Okamoto Kihachi (Le Sabre du mal) ou GOSHA Hideo.
Avec ce film, Uchida offre un épilogue en forme d'appendice à la saga Musashi: la version d'Inagaki s'achevait sur le duel au temple d'Ichijoji; ici, il s'agit plutot du portrait d'un ronin errant qui fonctionnerait comme un complément à l'histoire officielle. Meme si la fin non tournée laisse le spectateur sur sa faim, on ressort de la projection convaincu d'avoir assisté à un beau moment de cinéma (et regrettant de ne pouvoir voir les épisodes précédents).
PS : Depuis que ces lignes ont été écrites, il nous a été possible de découvrir les 5 volets précédents: à l'exception d'un quatrième volet scénaristiquement fouillé, le reste oscille entre reprise impersonnelle de la version Inagaki et trop long. Ce volet testament est donc le seul de la série à allier maestria formelle des meilleurs Uchida et réappropriation totale du mythe.
Test d'amants
Tourné cinq ans après la fin officielle de la saga, l'oeuvre testament d'UCHIDA intrigue à plus d'un titre. Alors que tout semblait avoir été dit par rapport au célèbre guerrier, le cinéaste décide de s'attacher à un épisode inédit avec très peu de moyens consentis par les studios de la Toho.
Si le film semble effectivement jouir d'un budget modeste, UCHIDA réalise pourtant là l'épisode le plus fort de toute la saga et transcende totalement le personnage historique.
Moins que de célébrer son prétendu héroïsme (déjà sérieusement égratigné au détour de quelques plans dans les précédents épisodes, sans toutefois aller jusqu'au bout de ses idées, sans doute par compromis envers ses producteurs), UCHIDA s'attache à faire d'un duel l'apogée d'une non-action; et de confirmer, ce qu'il avait déjà fait sous-entendre tout au long de sa saga : si Miyamoto a réussi à devenir le héros légendaire que l'on sait, c'est moins par son talent de bretteur, que par sa malice et ruse envers ses différents adversaires. Les combats de chaque épisode avaient tous un très rapide dénouement; bien plus durait la particulière attente avant le coup fatal - et le combat intérieur mené par les personnages à ce moment précis. C'est exactement ce moment, qu'UCHIDA développe au cours de son épisode : Miyamoto n'affronte pas "physiquement" Baiken et sa femme, mais "mentalement" en les attaquant sur leur unique point "faible" (et en les privant dès le départ de ce qui leur est le plus cher : non pas LEUR vie, mais celle de leur enfant).
En prenant en otage le garçonnet, Miyamoto tient l'arme la plus mortelle que soit et s'octroie une quasi-invincibilité. Venant de suite à bout de la mère (dont l'apogée de la maternité est démontrée en une poignante scène, où elle tente d'allaiter son fils, toujours tenu en otage), il tend également un miroir à la monstruosité du père, qui ne voit dans les épées que des armes mortelles.
Doublée d'une magnifique réflexion très personnelle sur la guerre (UCHIDA a énormément souffert de la guerre et a même choisi de rester dans la partie chinoise auparavant contrôlé par les japonais après la fin de la Guerre - sans doute pour se racheter une quelconque conduite), cet ultime épisode est un chef-d'oeuvre de drame intimiste. Un testament visuel très personnel, qui n'a définitivement RIEN à voir avec le relatif mercantilisme des précédents épisodes.
Une oeuvre à apprécier en amateur de chambaras et à savourer pour tout amateur d'études plus approfondies de long métrage.