Un classique à ne pas manquer
Sorti un an avant Akira, le long métrage qui révèlera Otomo au monde, Manie Manie marque un pas essentiel dans l’émergence d’une approche totalement mature de l’animation japonaise. Car les années 80 auront été la décennie de l’affirmation de toute une génération d’auteurs devenus cultes aujourd’hui (Miyazaki, Oshii, Anno...) et qui se sont alloués, à coups de classiques ou de chefs d’œuvres répétés, un espace de création artistique « autonome » d’autant plus remarquable que l’animation, au Japon, est un marché sans commune mesure dans le reste du monde. Et à la différence d’un Spielberg ou d’un Lucas (auteurs « visionnaires » en leur temps), les réalisateurs japonais ne se sont jamais vraiment glissés dans les rôles de « grands manitous » du système, jouant d’un fragile équilibre entre exigences commerciales (il faut que le film marche) et liberté de création.
Pour Manie Manie il semble que seule ait joué la contrainte de création, malgré un investissement important pour un moyen métrage de 50 minutes dont le contenu ne se distingue pas par son potentiel d’exploitation. Ces « histoires labyrinthiques » (Meikyû monogatari) n’ont d’ailleurs pas reçu un accueil mémorable à l’époque de leur sortie, alors qu’elles comptent dans leur liste d’auteurs trois des grands noms de l’animation : K. Otomo, Rintaro et Y. Kawajiri. Au chapitre des explications d’un tel manque de succès on peut avancer, outre le style de matériau (film « d’auteur »), le fait qu’Otomo n’étais pas encore aussi populaire qu’après la sortie d’Akira. Toujours est-il que même s’il n’a pas constitué un tournant commercial majeur de l’industrie, Manie Manie a permis à ses auteurs d’affermir (et d’affirmer) leur talent en toute liberté et avec des moyens conséquents. C’est le cas d’Otomo et de Kawajiri qui n’avaient pas encore réalisé leurs œuvres maîtresses respectives, Akira et Ninja Scroll (même si en tant que mangaka Otomo était déjà reconnu). Pour Rintaro les choses se présentaient de façon légèrement différente puisqu’il possédait déjà un CV très fourni en matière d’animation, remontant à sa collaboration avec Tezuka sur les séries Astro Boy et Le Roi Léo. Hommes de toutes les générations depuis lors, Rintaro comptait à son actif, au moment d’entamer la réalisation de son sketch, nombre de classiques tels que Galaxie Express 999, Kamui, Harmageddon... Plus à l’aise en général avec les univers d’autrui, le réalisateur de Mégalopolis se livre ici à une expérimentation formelle bien éloignée des contraintes de l’adaptation.
Labyrinth laburinthos, segment de Rintaro, ouvre d’ailleurs les festivités (et les conclue). Lorgnant indéniablement (pour son visuel) du côté de l’expressionnisme allemand et du surréalisme façon Salvador Dali, ce sketch se présente comme un rêve éveillé dans un monde étrange et inquiétant où une petite fille du nom de Sachi, accompagnée de son chat Chicherone, déambule en toute tranquillité. Succession de tableaux et de scènes tantôt oniriques, tantôt cauchemardesques (le plus souvent tenant des deux), Labyrinth laburinthos est une plongée dans les dédales de l’esprit de son auteur. Un voyage qui laisse au-delà du fantastique des situations un sentiment d’amère nostalgie et d’apaisement, comme le souvenir d’une enfance révolue, avec son cortège de visions enfouies par le poids du temps, dont on aurait fait le deuil.
Avec Death Circus (L’homme qui court) Y. Kawajiri met en scène un pilote de courses automobiles du futur répondant au nom de Zack Hew. Dans ces épreuves qui tiennent du « stock car » mais en plus violent, rares sont les pilotes à survivre très longtemps au-delà d’une certaine limite. Zack est une exception. Sous la pression et les contraintes de concentration exigées par chacune des ses courses, il a développé une relation symbiotique avec son engin qui lui permet certes de survivre, mais le consume également chaque fois davantage. Kawajiri, fidèle à sa réputation d’auteur sombre, nous délivre une histoire s’inscrivant dans le registre d’un cyberpunk trash dont la thématique fait écho au Tetsuo de Tsukamoto : la fusion organique/métallique. Métaphore du rapport de l’homme à la technologie, le pilote est présenté comme un autiste enfermé en lui-même (sa voiture) embarqué dans une fuite en avant mortelle. Un sketch sous haute tension à la violence accentuée par le trait cassant de Kawajiri, parfaitement adapté à la description de la terrible tension qui habite Zack.
Le troisième segment aborde également le rapport de l’homme à la technologie. Dans L’ordre de stopper la construction, Otomo nous relate l’histoire d’un superviseur de grands travaux qui lors de l’inspection d’un chantier totalement automatisé et perdu en pleine jungle, se fait gentiment kidnapper par les robots ouvriers et ingénieurs. Ces derniers, contre toute attente, ne s’arrêtent plus de travailler et continuent jusqu’à l’absurde une tâche n’ayant plus lieu d’être. Bien qu’Otomo traite son sketch sur le ton de l’humour et de l’ironie, son propos n’est finalement pas plus joyeux que le reste du film. Car derrière l’absurde de la situation affleure une inquiétude sourde : on ne contrôle plus rien, la machine s’est emballée, elle tourne désormais à vide et nous en sommes les otages. On est donc loin de l’approche « asimovienne » du robot et bien plus dans le « syndrome » de Frankenstein, dans la continuité du « monstre » apocalyptique Testuo du manga Akira.
Esthétiquement varié, chaque sketch possédant son identité graphique bien propre, Manie Manie n’en garde pas moins une certaine cohérence thématique. Ainsi peut on remarquer la symétrie des rapports entre les trois sketches : d’un côté les labyrinthes de l’esprit (Rintaro), de l’autre ceux de la matière (Otomo) et au milieu la fusion des deux (Kawajiri). Chose logique puisqu’une partie du staff se retrouve dans les crédits des trois sketches, notamment Taku Mayumura à qui l’on doit les trois histoires originales. Une œuvre qui se regarde entre deux films « détentes » de préférence, histoire de bien digérer l’inquiétude et le malaise qu’elle véhicule, mais une œuvre qui se regarde absolument.
06 février 2002
par
Astec
3 magnifiques courts métrages d'animation
LABYRINTHE (de Rintaro) :
Un joli rêve de 13 minutes où l’on suit une petite fille et son chat à travers un labyrinthe, guidés par un clown blanc sautillant. Techniquement et artistiquement, c’est du grand art. Dommage que ça ne dure pas plus longtemps.
L’HOMME QUI COURAIT (de Yoshiaki Kawajiri) :
On passe maintenant au cauchemar, d’une durée égale au rêve mis en scène par Rintaro, et cette fois-ci dirigé par le réalisateur talentueux de Ninja Scroll. Il s’agit de l’épopée tragique d’un pilote de course du futur, Zack-la-mort, si doué au volant de sa voiture au moteur de fusée qu’il est invaincu depuis des lustres. Jusqu’au jour où il pète les plombs et repousse les limites de son corps au maximum en refusant de s’arrêter après la ligne d’arrivée. Ce corps va le lâcher en même temps que sa mécanique…
ARRETEZ LES TRAVAUX ! (de Katsuhiro Otomo) :
Seconde vision de cauchemar sur les 3 courts métrages, signé du réalisateur de Akira. Ici, tout est robotisé à outrance, à tel point qu’un seul homme, qui ne doit que vérifier, est nécessaire à des travaux de construction gigantesques. Tout est automatisé, géré par des robots. Sauf que lorsqu’un dysfonctionnement survient, c’est la catastrophe… Les robots sont surmenés et stressés par la charge de travail et le retard, et certains tombent en panne puis explosent. Les travaux en eux-mêmes ressemblent à tout excepté le projet initial… En viendra-t-on à cette situation un jour ou l’autre ? Fera-t-on travailler les robots de façon autonome ? On ne peut pas le prédire, mais cette vision de l’avenir fout les jetons.
du beau travail
je suis pas un fan hardcore d'animé mais là, c'est du tout bon.
le principe de grouper 3 courts qui ont plus ou moins la même thématique fonctionne bien.
-le 1er: magnifique, somptueux, à l'imagination et la créativité débordante, dommage que ce soit juste une sorte de démo, il n'y a pas d'histoire. l'ambiance est largement du niveau des Myiazaki, ça aurait mérité une vraie histoire sur une longue durée. envoutant....
-le 2eme est celui qui m'a le moins plu, pourtant les courses futuristes j'adore ça et c'est joliment rendu, le truc c'est qu'on s'ennuie un peu, pas assez prenant. dommage car là aussi il y a du potentiel
-le 3eme est le plus construit au niveau scénar, l'univers est excellent, une jungle urbaine, complètement décrêpi, à l'abandon, en cours de reconstruction par des robots, à voir pour les fans de cyberculture. j'ai bien accroché, la fin est sympa, même si je serais bien parti là encore pour une heure de plus.
globalement, les ambiances sont intéressantes, l'animation très réussie, rien à redire. c'est juste que le contenu aurait pu être un peu plus étoffé. à voir de toute façon.
Les trois font la paire.
Top ! Je suis un animé réalisé en 1987. Dit omnibus, je suis composé de 3 sketchs distincts, chacun réalisés par un grand nom de l'animation japonaise, à savoir
Rintrarô, Y
oshiaki Kawajiri et
Katshuhiro Otomo. Peu connu du grand public, je mériterais cependant une plus grande reconnaissance. Je suis ? Je suis ? Manie Manie Meikyu Monogatari.
En 1987, Rintarô est déjà un réalisateur connu, fort d'une filmographie imposante (Albator, Galaxy Express, Kamui, etc...). On le retrouve ici aux commandes du premier sketch, intitulé
Labyrinthe et qui fait office d'introduction et de conclusion à l'anime. L'histoire est celle d'une jeune fille, Sachi, qui accompagnée de son chat Cicéron, est projetée dans un monde parallèle à travers un miroir. D'emblée, on est marqué par le style graphique de l'oeuvre. Sachi déambule dans un monde mystérieux, où le réalisateur s'amuse avec les jeux d'ombres et de lumières, avec les perspectives et les formes, dépeint une succession de tableaux tantôt oniriques, tantôt cauchemardesques, tous plus improbables les uns que les autres. Le résultat de cette expérimentation graphique n'est pas sans rappeler certaines peintures de Salvadore Dali. Car Rintarô étoffe ce voyage poétique vers l'étrange et l'inquiétant de nombreuses allusions à la culture occidentale. Hommage au surréalisme donc, mais aussi clin d'oeil au travers le scénario à l'ouvrage
Alice aux pays des merveilles de
Lewis Caroll. Sans oublier le personnage du clown qui s'apparente à Pierrot ou encore le chat Cicéron, dont le nom est celui d'un célèbre philosophe romain. Au final, ce sketch est une véritable réussite, hymne à la créativité et à l'imagination, en dehors de toute contrainte commerciale. Revers de la médaille,
Labyrinthe se veut surtout contemplatif. Sans véritable enjeux, l'oeuvre ne sera sans doute pas accessible à tous, surtout à celui qui n'adhère pas aux choix artistiques de Rintarô. Qu'on adore ou qu'on déteste, personne ne restera en tout cas indifférent devant ce spectacle d'une durée de 13 minutes.
Les festivités enchaînent avec
L'homme qui courait, le 2eme sketch de cette trilogie. Réalisé par un Kawajiri Yoshiaki encore méconnu à l'époque, l'histoire prend place dans un futur hypothétique où le public vibre aux grès de courses automobiles d'une violence extrême (rappelant
F-Zero et
Wipeout pour ceux qui s'y connaissent en jeux vidéo) et qui se terminent en général par la mort de tous les concurrents. Zack Hew est une exception, et sa longévité dans le milieu, qui lui a valu le surnom de Zack-la-mort, attise la curiosité d'un journaliste. Celui-ci ne tarde pas à découvrir le secret du champion : la volonté de vivre, d'être le meilleur, à conduit Zach à développer une relation fusionnelle avec sa monture, ce qui lui permet de se débarrasser facilement de ses adversaires. Mais repoussant sans cesse les limites de ses capacités physiques et psychiques, Zach se consume progressivement, perdant le contrôle de sa propre volonté. Le parti-pris est de privilégier la piste réflexive à l'action, reléguée au second plan.
L'homme qui courait n'est en aucun cas un anime à grand spectacle avec des courses automobiles dantesques mais plutôt une métaphore sur le rapport qu'entretient l'homme et la machine, la fusion de Zach et de la voiture symbolisant la déshumanisation de l'individu. Kawajiri s'attarde ainsi beaucoup plus sur le héros que sur les courses en elle-même. Il multiplie les plans sur le visage défiguré par la douleur d'un Zach en transe, dont on suit la descente aux enfers jusqu'a la fin inéluctable. Pour servir son sujet, Kawajiri utilise un style qui sera le sien plus tard, prouvant une fois de plus qu'il n'a pas son pareil pour créer des ambiances glauques et oppressantes. Son trait est dur, laissant presque à penser que tel un écorché vif, il extériorise ses propres souffrances par le dessin. Les couleurs sont à dominantes froides et seules les explosions des véhicules en flammes, qui n'en sont pas moins synonymes de mort, jurent avec l'ensemble. Kawajiri s'amuse également à brouiller les pistes, mélangeant des phases de courses réels avec des phases de simulation. Le "vrai" ne se distingue plus du "faux", un peu comme-ci le scénario était lui-même gangrené par la folie du pilote. Vous l'aurez compris, ce sketch, bien que plus classique que le premier constitue un ouvrage de qualité, de part sa thématique et son ambiance si particulière.
Le 3eme et dernier sketch est signé Katsuhiro Otomo, qui réalisera un an plus tard l'adaptation de son chef-d'oeuvre
Akira. Direction cette fois-ci une usine automatisée paumée en pleine jungle, où est dépêché Sugioka, jeune superviseur de travaux publics et dont la mission est double : retrouver le chef de chantier, seul présence humaine dans l'usine et qui a mystérieusement disparu et mettre fin aux travaux.
Arrêtez le travail !, c'est d'ailleurs le titre de ce sketch. Sur place, Sugioka ne peut que constater l'ampleur des dégâts. Les machines sont devenues incontrôlables. Elles continuent inlassablement leur travail, refusant toutes nouvelles directives, allant même jusqu'a le kidnapper. Sans compter que le chef de chantier demeure introuvable. Là encore, le message est fort. Sur un ton sarcastique et ironique, Otomo met en garde l'espèce humaine qui s'est lancée dans une course à la technologie effrénée, qui joue à l'apprenti sorcier au risque de perdre un jour le contrôle de sa créature. Cette vision prophétique (?) d'un monde futur où la machine aura remplacé l'homme, remettant dès lors en cause la place de celui-ci dans la mesure où ce qui n'est plus utile n'a plus lieu d'exister, n'en reste malheureusement pas moins trop classique. Le sketch donne l'impression d'être une répétition générale avant le grand déballage Akira et c'est d'ailleurs sans surprise que l'on retrouve des personnes communes dans le staff technique de ces deux oeuvres. Quant au thème (l'abus des technologies), Otomo le reprend à outrance, telle une peur latente qui parcours son oeuvre.
Quel bilan tirer au final de Manie Manie ? L'anime propose 3 courts métrages, regroupés autour d'une idée commune, mais qui sont très différents les uns des autres, chacun avec ses qualités et ses défauts. A
Labyrinthe, on peut reprocher son côté trop contemplatif et intimiste, presque ennuyeux, limitant fortement son accessibilité. Et là où Rintarô semble avoir laissé totalement s'exprimer sa fibre artistique, on peut reprocher leur manque d'originalité graphique et scénaristique aux travaux de Kawajiri et d'Otomo. Ce constat s'explique en fait par le poids des années, qui pèse sur ces deux derniers sketchs. En 1987,
L'homme qui courait et
Arrêtez le travail ! , conçus par deux réalisateurs méconnus, étaient indéniablement novateurs. Mais aujourd'hui, la situation a changé. L'univers de Kawajiri tout comme celui d'Otomo est connu d'une grande partie du public, aussi la vision de ces sketchs vieux de plus de 15 ans ne surprendra personne. A titre d'illustration, les observateurs avaient vanté en 1987 leur originalité esthétique, loin des standards habituels de l'animation japonaise. Avec du recul, on constate que Kawajiri et Otomo ne faisaient qu'affiner et affirmer un style qu'ils réinvestiront par la suite dans leurs autres oeuvres. Il n'y avait donc pas là de véritable expérimentation graphique. Si Rintarô parvient pour sa part à nous surprendre encore, c'est parce que ce réalisateur ne possède pas de style propre. Il est surtout connu pour sa faculté à faire sien l'univers d'autrui, d'où une filmographie très hétérogène. Pourtant, l'impression d'ensemble qui se dégage de l'anime est bel et bien positive. Dans l'absolu, le travail fourni demeure de qualité et les thèmes abordés sont quoiqu'il en soit intéressants. Et surtout on ne peut que se réjouir de l'existence d'anime comme Manie Manie, où les intérêts économiques sont totalement secondaires, le plus important étant de laisser les artistes s'exprimer.