Second film de Li Yang, auteur du remarqué Blind Shaft, c'est au tour de la montagne de faire preuve de cécité. Cette fois-ci le cinéaste s'attaque à l'esclavagisme féminin en décrivant un petit village perdu dans les collines où la grande majorité de femmes est issue de l'enlèvement, pourtant il semblerait que chacune ait abandonnée au fil des mois et des années à toute nouvelle tentative de fuite, soldée automatiquement par un échec. C'est le cas de Bai Xuemei, une jeune femme étudiante en médecine convaincue par des manipulateurs qu'elle pourrait faire affaire en vendant des médicaments aux habitants d'une zone rurale quelconque où l'hypocrisie, le silence et la peur semblent régner en maître. Des villageois manquant d'éducation et de savoir-faire humain sont conspués par le cinéaste, témoignant d'une vraie envie d'en découdre avec le gouvernement mis en place qui délaisse les villages les plus reculés où l'absence de connaissance et de civilité les transforment peu à peu en No Man's Land, comprenons ici une terre gérée par l'homme avec ses propres lois (accepter l'enlèvement de femmes ne semble pas gêner le chef du village) et coutumes : ainsi, l'homme se charge de décharger pendant que la femme se tait et s'adonne aux corvées du village. On trouve évidemment quelques bonnes âmes dans ce repère de la terreur, comme cette ancienne femme enlevée obligée d'accepter son sort pour survivre, ou encore ce jeune professeur bien moins compétent que XueMei, qui tombera amoureux d'elle et perdra toute crédibilité lorsqu'il se fera surprendre au lit avec cette dernière, devenue la femme de son cousin. Inquiétante parabole du contraste zone urbaine/zone rurale, Blind Mountain évoque donc l'aveuglement. Un aveuglement aussi bien naturel (les forêts et sentiers semblent retenir la jeune fille) qu'humain, ou les hommes préfèrent se faire payer une cigarette et garder leur crédibilité plutôt que d'aider une pauvre femme innocente. Les gens ont aussi peur de se retrouver expulsés du village et de perdre tous leurs biens, d'où ce silence et cet aveuglement pour le "bien" de chacun. Constat inquiétant, les populations délaissées non éduquées sont davantage plus fortes que l'autorité mise en place, appuyé par une séquence quasi apocalyptique où deux officiers sont menacés par une armée de paysans désireux de garder la jeune fille auprès d'eux : les officiers préfèrent jouer de l'hypocrisie et sauver leur peau plutôt que de tirer deux trois coups de feux qui ne feraient pourtant pas beaucoup de bruit, la montagne est certes aveugle, mais elle est aussi sourde. Globalement, le résultat est à la hauteur des espérances, car Blind Mountain se refuse à l'égarement vers le pathos particulièrement tentant avec un tel scripte de départ.
La jeune actrice, admirable Huang Lu, se refuse aux larmes et préfère contenir toute sa haine et garder sa fierté plutôt que de s'abaisser face aux actes barbares infligés par son mari, ignoble personnage affamé par le sexe (étant puceau, il choisit la facilité) et l'envie d'être marié pour rehausser un sentiment de fierté oublié, poussant l'impudence jusqu'à une misogynie certaine : le film est parfois dur, mais la caméra suffisamment distancière (contraire total de l'impudence) évite de faire basculer le film vers la complaisance. Le hors champ est aussi un beau paradoxe, il confronte la douleur d'un viol à la beauté d'une naissance, mais dans les deux cas, l'absence de consentement tend à rendre l'émotion douloureuse, presque empathique. Mais le plus dur est la linéarité du film aussi bien dans la diégèse que sur le papier, le cinéaste tapant dans le répétitif pour davantage accentuer le malaise (une répétition aussi bien dans le montage que dans la réalisation globale) et pour exacerber l'envie presque aveugle de Xuemei de partir coûte que coûte. Le film est en fait une succession de tentatives inespérées rapprochant Blind Mountain du film d'exploitation rape, où la personne captive essuie les échecs à la chaîne. Si l'échec est aussi physique (Xuemei atteindra une première fois les bords de la ville, puis se rendra à la ville elle-même avant d'être sans cesse rattrapée par ses bourreaux), il est aussi moral dans la mesure où Xuemei pense délivrer ses lettres à son père, hélas arrêtées par le propre facteur qui semblait pourtant être un homme bon, compréhensif d'une telle situation. Seule la jeunesse semble être la source de lumière possible, certaines femmes font aussi preuve de complicité, mais rien à faire. Epuisant parce que sévère avec la gente féminine, inquiétant parce que dénonçant une certaine vérité, décourageant car sans échappatoire possible, Blind Mountain confronte deux genres quasi opposés : le cinéma bis de genre rape -sans- vengeance et le documentaire. Fort.
LI Yang m'avait particulièrement impressionné avec son premier long métrage BLIND SHAFT, une oeuvre très forte trônant bien haut au pantheon des films chinois de la 6ème génération, sous médiatisé mais bien plus efficace que tous les JIA zhang ke par exemple.
LI Yang revient avec un autre sujet difficile: le traffic et l'esclavagisme de femmes vendues à des villageois.
Mes éspérances étaient hautes pour ce nouveau film de LI Yang, et je dois dire que sans avoir été déçu, je n'ai pas eu de surprise non plus. Le film est d'un bon niveau, il manque un peu de puissance et de rythme mais prouve que son réalisateur mérite de devenir le pilier de la "6eme génération". LI Yang semble vouloir étudier la noirceur de l'âme humaine à travers son cinéma, un peu à l'image d'un PARK Chan Wook mais avec un style bien personnel.