Ordell Robbie | 3.5 | Que le spectacle commence... |
Emblématique des jidaigekis de son temps privilégiant dramaturgie et spectaculaire à un enchaînement logique de séquences, Le Chevalier Voleur est de ces films pour lesquels le terme "âge d'or" semble avoir été inventé. Sans qu'on ait vu assez de films pour vraiment l'affirmer, il pourrait presque à lui seul justifier l'association fréquente du terme "âge d'or" avec sa période historique de production (1923-1934) faite par les spécialistes du cinéma japonais.
Le film d'Ito Daisuke est en effet de ces oeuvres marquées par la naïveté assumée (de son ton et de son temps) et par le désir de faire rimer cinéma populaire et feu d'artifice permanent. Et c'est là qu'un type de narration qui fera rire le cynique prend toute son importance. La copie conservée du film comporte en effet une narration d'époque d'un benshi. Ces derniers disaient les dialogues des personnages y compris féminins et commentaient alors le film pendant sa projection. Ils étaient même de véritables stars. Elle a certes tendance à faire office de voix off faisant double emploi avec ce qu'on voit à l'écran ou à souligner inutilement le ressenti des personnages. Mais elle fait aussi office de liant entre les séquences du film. Du coup, elle permet cette multiplication plaisante de rebondissements faisant du film une sorte de sérial du pays du Soleil Levant ramassé sur une durée inférieure à la durée standard d'une série B. Combats, romance, humour, stratagèmes contre le héros... Le feu d'artifice se met très vite en route avec des personnages hauts en couleurs. Et surtout ce combat au sabre filmé caméra à l'épaule, avec des cadrages très rapprochés. Tout ceci soulignant le caractère chaotique et donnant à la scène une énergie faisant corps avec celle du combattant. Energie dont le film ne se départira pas ensuite même dans ses moments intimistes. Sans tomber dans l'épileptique gratuit, le film est très découpé et ne laisse aucun vrai répit rythmique au spectateur.
Il comporte également quelques travellings hors combats pleins de dynamisme, une utilisation judicieuse du grand angle et de mouvements brusques de caméra comme des champs/contrechamps net, précis, sans bavure. Les mouvements accélérés de personnages donneront aussi au film un petit parfum de burlesque. Et un intéréssant travail sur les ombres pour anticiper l'apparition d'un personnage, pour souligner sa solitude et ajouter de la dramatisation, époque où tout ceci n'était pas encore du cliché visuel usé. Il s'agit ici pour Ito d'exalter un héroïsme de la marginalité, du voyou qui a son propre code d'honneur, sa morale n'ayant rien à voir avec celle de l'ordre établi. Et de vouloir faire corps par la mise en scène avec ses héros rebelles, d'utiliser cette dernière pour les magnifier. L'héroïsme, il est dans cette figure de Jirokichi voleur soucieux de venir en aide à ceux que ses actes ont mis en difficulté. Et dans cette façon de vouloir empêcher les femmes qu'il croise et qui tombent amoureuses de lui de suivre sa route. Il sent bien que sa marginalité les fascine mais ne peut rien leur donner en échange. Jirokochi est en effet de ces voyous conscients du caractère tragique de leur destin, du fait que la chute ou la mort seront de toute façon au rendez-vous pour eux. Spoilers Chute mise hors champ et narrée par la "voix off". Juste avant, Ito aura achevé son oeuvre avec panache entre plans de lanternes de festival encerclant le héros à la composition rigoureuse et plan d'un héros ayant provisoirement mystifié ses ennemis, planqué sur toit, à la fois les regardant de haut et empli de la solitude de celui qui a abandonné les femmes à qui il s'est attaché. Fin Spoilers Et le tout est porté par le charisme d'Okochi Denjiro et par un jeu outré des acteurs sentant plus la spontanéité que le forcé.
Le Chevalier Voleur, c'est une idée du divertissement faite de naïveté et de feu d'artifice permanent qui a connu sa dernière incarnation pleine à ce jour du côté du Hong Kong pré-rétrocession. Une de ces oeuvres incarnant le plus reproductible à l'identique ensuite, car ensuite l'insouciance (de l'époque, du spectateur d'un cinéma donné) les ayant permises aura disparu à jamais.