Xavier Chanoine | 3.5 | Un adieu au cinéma. |
Ordell Robbie | 3 | Sortie honorable mais pas totalement réussie |
Ghost Dog | 3 | Pas encore prêt! |
Madadayo retrace donc, d'une manière quasi autobiographique, les 17 dernières années d'un vieux sensei (professeur d'allemand) en compagnie de ses anciens élèves, tous disciples. L'occasion de prouver l'attachement viscéral de ses élèves, prêts à tout pour rendre les derniers jours du Maître paisibles, dans l'optique de le remercier. Cet attachement pourrait paraître très -trop- fort à l'image du salaryman moyen dont le chef d'entreprise a plus d'importance que la famille. C'est dire. Mais cette vision se voit adoucie par des séquences pleine de gaieté et de joie de vivre, notamment lorsque les anciens élèves se mettent à entamer une ronde en chantant "Et un et deux!" à mesure que Sensei évoque le pays. Des séquences fortes et sincères (qui prouvent que Kurosawa est aussi un très grand scénariste), contrastant avec d'autres plus superficielles (l'histoire du chat perdu) rendant le personnage du Sensei pathétique. Mais sa bonne humeur, sa philosophie et son bagout incroyable mettront tout le monde d'accord : cet homme est grand. A l'image du cinéaste, l'un des plus importants que le cinéma mondial ai connu.
Avant la réévaluation cinéphile récente de ses fresques des années 80 taxées en leur temps d'académiques, Madadayo fut considéré comme le film de l'ultime come back artistique de Kurosawa avant sa mort. Sauf que les films qui l'ont précédé vieillissent bien mieux que ce Madadayo qui ne réussit pas totalement à être le grand testament artistique d'un maître. Tout commençait sur les chapeaux de roue pourtant. Oui, comme dit Benjamin dans sa critique, les personnages ont peut-être -à l'exception de la drôlissime scène du "cambriolage"- une vénération trop aveugle pour leur maître mais on retrouve la sagesse humaniste de Kurosawa au travers du personnage du sensei, un être riant de tout, capable de mettre à distance les circonstances historiques, l'âge et la peur de la mort approchant à grands pas, d'avoir un regard moqueur mais jamais narquois sur ses anciens élèves. Toute cette partie est légère, alerte, drôle -Kurosawa réussit à dynamiser par sa mise en scène les scènes de banquet-, cadrée avec rigueur et ici simplicité des effets de mise en scène -les changements brusques de perspectives par exemple- rime avec évidence. Le moment où l'on voit le sensei descendre une coupe de bière d'un trait sous les regards angoissés et médusés de ses anciens élèves et le flash back concernant le "face à face" avec le cheval -animal kurosawaien par excellence- sont en particulier de grands moments de cinéma. Le seul reproche à faire à cette partie-là dotée d'une grande liberté narrative seraient le côté caricatural du personnage du riche véreux et une voix off faisant parfois double emploi avec ce qui est montré à l'écran même si on est loin des exçès d'un Dogville.
Sauf que si trop d'obéissance aveugle à un sensei est potentiellement une mauvaise chose, trop de liberté narrattive peut également nuire à un film et en voulant faire quotidien Kurosawa en vient à accumuler les longueurs narratives à mi-parcours: si le niveau d'exécution artistique de cette partie est toujours élevé, cette longue recherche d'un chat disparu devient très vite pénible pour le spectateur surtout qu'elle n'en finit pas de s'étirer. S'agit-il d'un exploitation du symbolisme culturel du chat au Japon comme cela avait déjà été le cas dans Ran (un animal de mauvaise augure, capable de tuer les femmes et d'en revêtir la forme)? Ou bien de sa sybolique bouddhique (il fut le seul avec le Serpent à ne pas s'être ému de la mort de Boudha mais est aussi vu comme symbole de sagesse)? Cette dernière interprétation -la sagesse- pourrait justifier la scène: avec la disparition du chat, c'est une certaine idée de la sagesse qui se perd et suscite donc les souffrances du sensei et avec son remplacement par un autre c'est l'héritage du sensei -et de Kurosawa par extension- qui est maintenu en vie. Cette interprétation amène à réévaluer cette partie-là du film mais si sa lenteur est justifiée narrativement elle aurait quand même un peu gagné à être un poil élaguée au niveau rythmique. SPOILER Surtout qu'après cette partie-là le film devient rythmiquement de plus en plus reserré au fur et à mesure que la mort approche, retrouvant la puissance de sa première heure pour s'achever sur une séquence magnifique prolongeant la question de la transmission d'une vision humaniste du monde suivie d'un ultime clin d'oeil au passé de Kurosawa peintre. FIN SPOILER
Madadayo est un beau film sur la question de la transmission d'un certain humanisme fait par un cinéaste rassuré sur le futur du Japon après la décennie autant marquée par une économie au sommet du monde que par ses salarymen se sacrifiant pour des objectifs matériels, se disant qu'il peut quitter le monde en paix. Sauf que son film s'étire trop en longueur en son milieu -même s'il permet sur la fin au spectateur et au cinéaste de se quitter en très bons termes- pour faire figure de grand testament artistique du calibre d'un Eyes Wide Shut.
Madadayo est, comme chacun sait, la dernière réalisation d’un géant du cinéma mondial, KUROSAWA Akira, bref son film-testament même s’il avait signé avant sa mort un dernier scénario, Après la pluie, adapté à l’écran en 1999. Comme dans beaucoup de ses films, on retrouve la figure humaniste et généreuse récurrente sous les traits du génial Maître d’école, dont l’humour et la philosophie charment l’ensemble de son auditoire, grands et petits confondus, ainsi que la situation de l’intrigue, une nouvelle fois au lendemain de la seconde guerre mondiale. Difficile de ne pas reconnaître en filigrane Kurosawa lui-même à travers ce personnage qui s’approche lentement de la fin mais qui a toujours le sourire, considérant que la vie d’un homme, c’est aussi sa mort, et que par conséquent il n’est pas besoin d’en faire tout un foin ! C’est ainsi qu’avec humour, le Maître répond chaque année devant ses amis à la question « Loup y es-tu (Maada Kai) ? » par « Pas encore prêt ! (Madadayo)». Jusqu’au jour où le petit jeu se termine, une fin que Kurosawa rend à l’écran de manière très poétique, façon de dire qu’il s’en va vers d’autres horizons et que son souvenir sur Terre sera pour un temps impérissable.
Mais j’émets cependant certaines réserves à l’égard de ce film qui confine le plus souvent à l’idolâtrie au point d’en devenir quelque peu malsain. Pour moi, respecter quelqu’un est une chose, mais le vénérer aveuglément sans aucun esprit critique comme le font les élèves est souvent dangereux, d’autant plus que la perfection est parfois synonyme d’ennui. D’autre part, certaines scènes comme la disparition du chat (30 minutes quand même) sont dénuées d’intérêt et franchement lourdes, au point qu’on se demande si le vieux cinéaste ne commence pas à devenir gaga…
Madadayo ne m’a donc pas totalement convaincu, et je préfère considérer Rhapsodie en août ou Rêves comme réels testaments de Kurosawa.