Dernière réalisation du cinéaste Inagaki Hiroshi avant qu’il ne se retire du monde du cinéma, un monde qui ne lui convenait semble t-il plus, ses films coûtant beaucoup trop chers pour un studio comme la Toho et parce que son étiquette de cinéaste d’une autre époque commençait à peser un peu trop. Voilà l’exemple d’un cinéaste qui aurait pu sortir par une porte un peu plus grande que celle qu’on a bien voulu lui offrir, d’une parce qu’il était l’un des rares cinéastes nippons à avoir remporté un Oscar (non négligeable malgré ce que l’on peut en dire), un Lion d'Or à Venise et l’un des derniers à réaliser des divertissements populaires de qualité inégale, certes, mais jouissant d’une vraie dimension guerrière et héroïque parfaitement incarnée par Mifune, lequel collabora très souvent avec Inagaki jusqu’à participer au financement de ses films. L'Embuscade n’est pourtant pas le film le plus spectaculaire de son auteur, on reste très loin par exemple d’un Daredevil in the Castle ou d’un Rise Against the Sword, deux beaux récitals de cinéma populaire spectaculaire à tous les niveaux malgré un académisme qui fait que la vision s’avère à chaque fois sans surprise. Le film fait ici figure de huit-clos bien fait où un rônin (Mifune Toshiro) se voit confié une mission par son patron d’un jour, laquelle consiste à se rendre à un lieu bien particulier et d’y voir ce qui cloche. Là-bas, il aura le choix de tuer un mystérieux homme ou de le laisser en vie. En chemin vers les montagnes, le rônin découvre une jeune femme pendue façon bon bondage des familles, ligotée par son mari brutal. La jeune femme l’implore de l’aider à se sauver, ce que fait le rônin sans la moindre gêne. Lorsque tous deux arrivent à une auberge perdue au milieu des montagnes, le rônin décide de la laisser entre les mains des propriétaires, une jeune femme et son grand-père. Ce qu’ils ne savent pas c’est que l’endroit est en fait le repère d’un brigand attendant le moment propice pour intercepter la venue prochaine d’un convoie d’or non loin de là.
L’un des points les plus formidables du film est l’étonnante facilité avec laquelle Inagaki réussit à s’accaparer ce petit espace pour en faire un terrain propice aux magouilles et aux faux-semblants. La tension n’atteint évidemment pas celle d’un Chien de paille, mais la présence de certains individus dérange et attise la curiosité du rônin. Dans la liste on trouve le personnage de Gentetsu, interprété par un Katsu Shintaro inspiré (donnant la réplique à Mifune la même année avec Zatoichi meets Yojimbo), grosse brute épaisse plus finaude qu’elle n’y paraît puis un inspecteur de police grande gueule d’une suffisance telle qu’il en est pathétique, accompagné de son prisonnier. Au chapitre des rencontres amusantes, un jeune yakuza qui finalement se liera d’amitié avec le rônin après une bagarre qui tournera à l’empoignade amicale entre deux copains, un groupe de jeunes percussionnistes et quelques vilains venus faire les malins. Plus qu’un simple huit-clos où l’on y discuterait de la pluie et du beau temps en attendant de déjouer les futurs pièges qui se préparent, L’Embuscade prend le temps de critiquer une société où les classes priment sur l’humain. L’inspecteur de police se croit tout permis parce qu’il représente la loi, malgré ses faiblesses le rendant pas plus fort qu’un autre, toute personne un temps soit peu imposante peut se permettre de commettre le viol suite au désire revendiqué sans gêne à la victime potentielle, la femme y est montrée sous un visage sans surprise, entre la servante de base, l’objet sexuel ou celle qui rend les hommes fous : même Mifune qui combat ses émotions parce qu’il est un samouraï, se rend compte du pouvoir attractif de la jeune femme qu’il a libéré, de même que le mari de cette dernière qui retrouve sa trace en milieu de métrage et l’implore de retourner avec lui, lui qui l’aime tant.
Aussi il est question de manipulation et de faux-semblants sur toute la ligne, créant ainsi le doute sur la véracité des personnages et sur leurs réelles ambitions. Pour retrouver un semblant de spectaculaire il faudra se tourner du coté de l’épilogue oscillant entre séquences barbares et vrais passages oniriques (le sort réservé à Katsu, le climax de la scène finale), sans toutefois masquer les quelques défauts du métrage. Effectivement on sait pourquoi Mifune a arrêté de collaborer avec Kurosawa, il voulait un rôle à la hauteur de son statut de guerrier : c’est le cas ici, et justement Mifune reste dans un registre qui frôle la caricature puisque son personnage de garde du corps (faisant échos au Yojimbo de Kurosawa) n’apporte strictement rien de plus à sa filmographie malgré son interprétation toujours aussi typique. De plus le scénario semble être bâclé sur la fin, où les faits sont expédiés à la vitesse de l’éclair (comme des personnages féminins laissés de côté, frustrant) dans un montage étonnamment précipité. On aurait aimé une conclusion plus guimauve, le film aurait rempli son cahiers des charges de divertissement populaire par excellence avec une correcte balance entre amour et action. Mifune, fier, préfère quitter les lieux sans dire un mot, avant de pourfendre une armée de samouraïs contenant dans ses rangs, comme par hasard, la personne recherchée par Mifune. Une personne qui aura manipulé le rônin et plus d’un autre pour une question de sous. Au final L’Embuscade est un drôle d’au-revoir manqué de la part d’Inagaki qui signe un film plus posé que d’habitude, intéressant et captivant malgré qu’il soit expédié trop rapidement sur la fin : les signes d’une lassitude annonçant déjà le départ du cinéaste ?