Xavier Chanoine | 3.75 | Nouvelle confirmation du talent de Gu Changwei |
Anel | 2.75 |
Fort de son expérience de chef opérateur de grands réalisateurs de la cinquième génération, Gu Changwei s’est tourné naturellement vers la réalisation en signant deux films remarqués des festivals internationaux, à défaut d’autre chose. Pour son troisième film, le jeune cinéaste décide d’évoquer le scandale du sang contaminé qui toucha bien des provinces du pays, à travers la fiction. Comme une crainte que le film soit totalement interdit en Chine, l’avant-générique prévient qu’il s’agit bien ici d’une fiction, mais le parallèle avec l’affaire de dons du sang rémunérés est ici évident. En effet, la perspective d’un don rémunéré ne pouvait qu’attirer les paysans (essentiellement) des diverses provinces. Le personnage de Qin Qin (interprété par Zhang Zi Yi) confiera d’ailleurs à De Yi (Aaron Kwok) qu’elle souhaitait faire ce donc pour pouvoir s’acheter le dernier shampooing vu à la télévision. Un produit de consommation courante contre un virus incurable, voilà la monnaie de l’échange.
Etrangement vendu en Chine sous le titre de Zui Ai, symbolisant d’une certaine manière la puissance de l’amour, titré en anglais Love for Life et mettant en avant les deux stars, le film de Gu Changwei va évidemment –et heureusement- bien au-delà de l’histoire d’amour et d’espoir que peuvent laisser présager de tels arguments commerciaux. Son parti-pris n’est pas non plus de dénoncer le scandale. En premier lieu, le film n’est clairement pas destiné aux adolescents qui se sont déjà enfilés les dernières bluettes sentimentales navrantes de Johnnie To ou de Feng Xiaogang puisqu’on ne trouvera aucun tour de passe-passe de drague pouvant donner des idées aux jeunes mâles en rut. Malgré son titre comme on l’a dit plus haut, plein d’espoir, le film est constamment baigné dans un pessimisme dont il est difficile de se dépêtrer : tout le monde, sauf le responsable de la contamination, est condamné à mourir. Demain ou dans six mois, un an, sans doute plus. L’introduction est à ce stade un modèle d’ouverture sur le mal qui plane au-dessus du village (le jeune enfant tombant au sol après avoir ramassé une belle tomate de saison) et des provinces (le plan large au ciel voilé). S’en suit une fête de village où un vieil aveugle narre une histoire en jouant du violon traditionnel. Lui seul, en quelque sorte, représente l’espoir et le sourire dans un village souillé. Malheureusement, comme un symbole riche de sens, il tombera hors-champ après qu’une bagarre ait eu lieu entre le chef du village et son fils responsable de la contamination, ce dernier étant incapable de s'excuser après avoir affirmé qu’il n’existait aucun remède pour soigner le virus. Bienvenue dans le monde réel.
Précisons néanmoins que Love for Live n’est pas qu’affaire de misérabilisme. Le cinéaste ponctuant son film de petites touches humoristiques et de petites querelles de village donnant un peu de vie et de piment à l’ensemble : l’affaire du manteau volé de Qin Qin, du carnet de notes d’un des villageois un peu simplet ou encore de la ration de riz cachée par la cuisinière du village poussent la narration à se renouveler avec toujours comme issue, une certaine forme de douleur. Effectivement, comme un symbole riche de sens, la plupart des personnages sont accouplés à leur objet fétiche, et lorsque ce dernier n’est plus, ne marche plus ou disparaît, c’est leur propriétaire qui est foudroyé par la maladie. Une petite pirouette scénaristique parfaitement utilisée dans l’ascension du film, lente mais certaine, vers l’émotion pure. Parce que l’on s’intéresse aux personnages, bien écrits et tous superbement interprétés. Un regard, une parole, un sanglot toujours retenu, tout confine à l’émotion brute captée de main de maître par le trio de chefs opérateurs Gu Changwei-Yang Tao-Christopher Doyle, dont le dernier a très vraisemblablement filmé la plupart des séquences charnelles du film, notamment la dernière entre Aaron Kwok et Zhang Ziyi, sublime dans sa représentation de l’amour et la mort, donnant toute sa signification au terme « chaleur » et « charnel ».
C’est pour ses fulgurances et ses belles idées scénaristiques émouvantes (les marches de la montagne franchies par le jeune couple ou encore leur remariage) que Love for Life se distingue de la chronique sociale chinoise en milieu rurale qui pourrait tendre à une certaine complaisance dans l’exposition du malheur des gens. Il suffit de voir les trois quart des séries télés locales pour se convaincre que la tendance est aux larmes et à l’exploitation jusqu’au-boutiste du malheur des gens, mais GU Changwei se distingue de cette mode et expose tout l’art de sa grande pudeur cinématographique. Le film est magnifique, certes rongé par le mal et le regard effaré des gens non contaminés vis-à-vis des malades, mais toujours porté par la volonté de ces mêmes malades d’outrepasser la difficulté de leur condition et de vivre comme n’importe qui, en établissant leur propre société.