Brillante Mendoza est entré depuis trois petites années dans la catégorie des cinéastes asiatiques à suivre. En tant que bel ambassadeur de la vitalité du cinéma philippin à travers le monde, Brillante Mendoza a su imposer sa marque unique dans le cinéma d’Extrême-Orient à coup d’œuvres aussi fortes (Tirador, 2007) que sensibles (John John, 2007) tout en ayant obtenu un abonnement aux festivals du monde entier, lui promettant, on l’espère, quelques avantages dodus pour tourner encore et toujours. Tournant à un rythme effréné, il n’est plus étonnant de découvrir ses dernières réalisations par surprise, un peu comme ce Lola débarquant à peine quelques mois après le noir Kinatay, hélas encore vendu aujourd’hui comme une œuvre d’extrême violence, terme ô combien réducteur, comme si le film n’existait que pour sa séquence de torture.
Avec Lola, Brillante Mendoza garde pratiquement la même équipe qui sévit sur Kinatay, en offrant un regard d’une belle sensibilité sur les habitants d’un quartier pauvre de Manille, situé aux abords d’une étendue d’eau, et dont le commerce paraît bien flou. On y vend des légumes à la sauvette, on pêche son poisson, on survit tant bien que mal. Cette notion de flou est toute de même questionnable dans la mesure où, comme avec Tirador, Brillante Mendoza offre un regard féroce sur le pouvoir de l’argent, sur sa circulation et son utilisation : une grand-mère (c’est comme cela qu’elles sont le plus souvent appelées tout au long du film) est prête à amasser le plus d’argent possible en revendant les mets gracieusement offerts par sa sœur, utilise l’excuse de son âge avancé pour voler un client venu acheter ses légumes, met en gage un poste de télé, seule distraction de son petit fils : une impression de grappillage de pesos affichant clairement la grande pauvreté de Manille, ce sentiment de survie permanent qui rythme la vie des habitants. Cependant, Brillante Mendoza ne s’attarde pas uniquement sur ce fait, lui qui avait déjà filmé Manille comme une Terre de tous les dangers dans son Tirador en forme de tour de force visuel servant un discours social. Il utilise la fiction –qui aurait très bien pu être une réalité par son absence d’artifices- pour peindre avec magie l’énergie affolante de Manille, tout en exposant les difficultés que rencontrent les personnes du troisième âge, l'une des motivations de la mise en chantier de Lola suite au visionnage d'un documentaire sur ce thème il y a quelques petites années.
Une énergie jamais affectée par l’âge avancé des deux grand-mères (que l’on suit au travers de leurs périples) car la mise en scène de Brillante Mendoza est admirable. On y discerne certes les signes du temps, ces douleurs dues à l’arthrite et à la fatigue des déplacements qu’un Manille n’arrive jamais à soulager (pas d’ascenseurs dans les établissements sociaux, déplacements en barques ou en bus bondés…), mais une grande sensibilité se dégage du portrait souvent empathique de ces deux vielles dames, qui se retrouvent embarquées dans des galères pas possibles : le petits-fils de l’une a été assassiné, de manière plus ou moins accidentelle, par le petit-fils de l’autre. La grand-mère du présumé coupable aimerait alors racheter la bonté de l’autre, étant dans l’incapacité de s’offrir les services d’un avocat. L’originalité de Lola est donc de situer son point de vue des deux côtés, offrant alors au spectateur deux regards bien distincts sur la situation d’ensemble alarmante. Et si la grand-mère du défunt (Anita Linda, 87 ans et plus de 200 films au compteur) se bat pour offrir à son petit fils des obsèques à la hauteur, l’autre fait preuve d’une ténacité presque dérangeante, prête à user de stratagèmes peu scrupuleux pour rassembler l’argent dans l’optique d’un accord à l’amiable
Il y a donc quelque chose de passionnant dans l’œuvre de Mendoza. La beauté des contraires, le côté alerte d’un quartier sens dessus dessous, la grâce désarmante de ces séquences purement contemplatives, figurant parmi les plus belles jamais vues chez le cinéaste, toutes sans exception accompagnées par la superbe musique de Teresa Barrozo et la non moins superbe direction sonore d’Albert M. Idioma, donnant au film cette dimension d’immersion totale. Et si Brillante Mendoza semble si proche des personnages qu’il filme, c’est parce qu’il les comprend mieux que quiconque. Aux oubliettes le jugement et la morale à trois sous, le film n’a pas réellement d’introduction ni même de conclusion, il est un épisode parmi des milliers, un prétexte d’une affaire de meurtre pour s’accaparer Manille et en faire un portrait d’une grande puissance émotionnelle avec trois fois rien, où l’on retrouverait un peu du récent cinéma d’Ann Hui. Plus encore que Kinatay, le cinéaste revient à ses premiers amours : capter l’essence d’un quotidien de personnes par des plan-séquences comme transcendés par le dynamisme du pays, de ses habitants. Une nouvelle preuve de la grande vitalité du cinéaste.
Pour Lola, c'est simple : si vous êtes prêt à endurer presque 2h de grand-mères courages philippines qui se trimballent sous la pluie pour trouver de l'argent pour un enterrement et une sortie de prison, ce film est fait pour vous ! Et par extension pas pour moi... Bon ok il y a des jolis plans et sociologiquement Lola est intéressant, mais comme pour Manoro, un reportage de 25 min sur France 5 aurait été amplement suffisant...
Invité surprise à la dernière minute au Festival de Venise en 2009, "Lola" laissait planer le doute quant à la véritable qualité de son film, tourné dans la foulée du précédent "Kinatay" du même réalisateur. Même si Mendoza ne réalise pas le même bond prodigieux qu'entre "Kinatay" et ses précédents, "Lola" se place pourtant dans la lignée d'une œuvre extrêmement riche, complexe et construite. Un ENORME petit film, qui hantera longtemps les esprits et qui place Mendoza définitivement au panthéon des plus grands réalisateurs de "cinéma-vérité" philippin aux côtés de son idole Lino Brocka.
Le film s'ouvre sur le plan d'argent, thème récurrent dans les films plus engagés du réalisateur. Il racontera une autre histoire de "débrouille" du "petit peuple philippin", obligé de recourir à des combines et des petites arnaques pour survivre dans une société pauvre.
Cette fois, il ne va plus s'immerger dans l'un des bidonvilles oppressants du centre-ville urbain de Manille, mais déplacer son action dans Malabon, quartier à 45 minutes du centre-ville. Un quartier inondé tout au long de l'année, dont le niveau d'eau augmente et décroît au fur et à mesure des saisons. Or, Mendoza choisit de tourner au plus fort de la saison de pluies, au mois de juin, lorsque le niveau d'eau menace à tout moment d'engloutir les fragiles bâtisses des habitants, qui s'en accommodent tant bien que mal. Une formidable mise en parallèle simplement montrée, sans être lourdement appuyée entre le rapport de l'Homme à la Nature – on est finalement très peu de choses sur cette terre et l'homme trouvera toujours un moyen de se débrouiller pour survivre dans les climats / les sociétés les plus oppressantes pour quand même perpétuer l'espèce.
C'est là, tout l'intérêt d'un cinéma de Mendoza, qui réussit à exprimer les choses avec beaucoup d'humilité, une extrême sincérité, sans pathos lourd…A ce titre, Mendoza expérimente quand même beaucoup, en recourant cette fois à des artifices (scènes de pluie et de vent recréées, alors que normalement il tournait toujours en conditions réelles; utilisation de la MUSIQUE, absente de l'ensemble de ses films depuis "John John") utilisés avec parcimonie et intelligence pour illustrer ses propos. Il n'hésite évidemment pas à surajouter un tout petit peu, comme la scène, où l'une des grand-mères se fait pipi dessus, mais là encore, c'est sans grand mélo et traité avec beaucoup d'intelligence. D'autre part, il a le chic d'en appeler même à sous subconscient, comme dans cette magnifique scène en début du métrage, lorsque l'une des grand-mères tente désespérément d'allumer une bougie en luttant contre les éléments naturels déchaînés (elle va quand même y arriver, preuve de la résistance de l'homme face à la Nature) pour célébrer la mémoire d'un mort, alors qu'à quelques mètres à peine un groupe d'enfants joue joyeusement tous ensemble…Pas de dispute, ni de haine, une innocence très loin du meurtre commis quelques heures plus tôt au même endroit entre jeunes de même âge et – surtout – DE LA VIE, alors que la grand-mère se rappelle la mort. Voilà toute l'image d'un cinéma de Mendoza.
Un film certes financé par de l'étranger étranger (en l'occurrence français), mais qui dispose d'une liberté totale et n'en constitue pas moins un regard bienveillant et très proche sur le peuple philippin. Nul autre, que Mendoza sait capter la vie quotidienne dans différents quartiers de la ville, à rendre mieux que lieu de cette omniprésence des voitures, du bruit ambiant, de la foule des gens, de tous ces lieux alambiqués…Le bidonville de Malabon ressemblerait quasiment à un havre de paix avec son église emblématique en "bout d'avenue" (comme la Mort, qui serait au bout du chemin de la vie) et de son rythme pépère au fil de l'eau, des plans qui tranchent totalement avec la frénésie des rues du centre-ville.
Et puis il y a tous ces petits moments de "rien", qui permettent aux personnages de s'échapper quelques instants de leur condition plus fermée. Cette chasse aux canards ou cette "pêche miraculeuse", durant lesquels – une fois de plus – les personnages sont mis en relation avec la Nature.
Un film, qui mériterait d'être disséqué plan par plan, qui constitue un très grand moment de cinéma-vérité - évidemment très loin du cinéma-divertissement.