Petits meurtres entre amis
Emmené par le toujours impeccable Yakusho Koji, le dernier Aoyama a du mal à convaincre et à surprendre, au point de désespérer du coup d'éclat qu'il avait opéré avec Eureka. La forme, tout d’abord, est familière : il s’agit d’un huis clos dans une villa au bord d’un lac où un meurtre s’est produit et où le coupable n’est pas clairement identifié. Dissimulation de cadavres, soupçons, accusation et révélations finales, tout ceci sent le déjà-vu, mais on peut se laisser prendre au jeu avec un certain plaisir d’autant que l’atmosphère du lieu est assez pesante et que la précision de la description du complot est efficace. On a par contre beaucoup plus de mal à suivre Aoyama lorsqu’il se livre dans la dernière partie de son film à un pensum pas très subtil sur la réussite (jusqu’où peut-on se sacrifier et sacrifier les autres pour parvenir à ses fins ?), ainsi que sur la responsabilité et la dénonciation (dois-je dire ce que je sais sur ceux que j’aime au risque de compromettre gravement leur avenir ?). La morale de l’histoire est en effet très dérangeante et en l’absence d’éléments permettant de croire que la solution préconisée n’est pas la bonne, il est bien difficile d’adhérer au message diffusé…
La réussite d'abord.
Tiré d’un roman de Higashino Keigo, Lakeside Murder Case s’intéresse à 3 familles qui le temps d’un week-end se réunissent avec leurs enfants et un professeur spécialisé dans l’examen d’entrée d’une école renommée.
La réalisation léchée de AOYAMA Shinji et le bon jeu de ses interprètes (notamment YAKUSHO Koji, impeccable comme à son habitude) n’arrive pas à relever un scénario bancal et convenu. Entre les révélations tapageuses à peine surprenantes et les touches fantastiques parachutées d’on ne sait où, le scénario s’embourbe au fil que les minutes s’égrènent. C’est dommage car la thématique du film (la réussite des enfants coûte que coûte et leurs conséquences) ainsi que sa première heure sont accrocheuses et on s’imprègne facilement de l’atmosphère lourde qui y règne mais une musique omniprésente et envahissante, des retournements peu convaincants et une fin qui n’en finit pas plombent un début prometteur. Aux vues de certains éléments qui le composent, Lakeside Murder Case est une déception.
Surprise: le réalisateur d'Eureka réussit une comédie noire
Ancien cinéaste le plus surcôté d’Asie avec Eureka, Aoyama Shinji devient finalement de plus en plus sympathique. Il s’était fait tout petit dans La forêt sans nom, mais l’image très granuleuse affichait un reste d’ambition auteuriste. Pour Lakeside Murder Case, zoup!, il s’est effacé! Il suit scrupuleusement le scénario, brillante méchanique qui semble dérivée d’une pièce de théatre en quasi huis-clos. Il capte la présence toujours aussi magnétique de Yakusho Koji. La référence avec Eureka s'arrête à cet acteur. Car le film mythique d'Aoyama Shinji annonçait d’emblée, heuh, pas "la couleur", disons plutôt la largeur et la longueur. Lakeside Murder Case ne promet rien. Ça commence foireusement, Aoyama Shinji fait mumuse comme pour rappeler qu'il a plein d'idées visuelles à refourguer. On oublie, car une ambiance intriguante arrive dès que les familles s'enferment dans la maison de campagne. Puis le film bascule soudainement dans l’absurde.
Et là, surprise : l’hyper sérieux auteur du pensum Desert Moon nous fait rire. Car Lakeside Murder Case est une comédie loufoque, dont il serait criminel de révéler les enjeux. Ce qui se dit et fait est énorme, mais les acteurs le jouent sans un sourire, avec une conviction imperturbable, et Aoyama Shinji les regardent d’un peu loin. Cette double distanciation donne toute sa force au film, finalement, c’est très intelligement pensé, tout ça. Et puis on rigole, mais le fond de cette affaire s’avère d’une noirceur infinie. Le film laisse peu à peu s’installer une dépression poisseuse. Quelques dialogues pesants auraient pu sauter, mais Aoyama Shinji n'est définitivement pas un génie. C'est un bon gars malin qui veut glisser sa marotte, une histoire de lourd secret que la société veut protéger. Voilà comment on réussit un bon film d’auteur sans en avoir l’air.
Le cas Shinji
Shinji n'est pas un auteur, mais un artisan. Un artisan appliqué, qui - espère-t-on- arrivera un jour à réellement accomplir son chef-d'oeuvre.
Ses premiers films souffraient de trop grands efforts à vouloir égaler des styles qui n'étaient pas siens; dans "Chinpira - Two Punks" il s'évertuait - par exemple - à vouloir singer Takeshi Kitano, mais en échouant totalement.
"Eureka" est un très bon film, où ses interminables plans séquences trouvaient finalement une justification.
Maîtrisant depuis bien mieux la longueur de ses plans, il s'attaque aujourd'hui aussi bien à une stylisation de son éclairage, que l'utilisation du son et de la musique, que le perfectionnement de son écriture.
Sous couvert d'une affaire d'homicide aux (fausses) pistes multiples, Shinji - ayant été à l'origine de tous ses scénarios, sauf celui de "Chinpira" et de ses DoV - développe une véritable charge contre la rigidité et le conditionnement dès le plus jeune âge de la société japonaise. Métaphore un brin trop lourde et abordé bien plus brillamment par ailleurs par de nombreux autres artistes par le passé. Il a d'ailleurs tellement peur, que le spectateur se perde entre ce qui semble être l'intrigue principale et son véritable message, qu'il casse toute ambition en desservant une longue finale bavarde pour insister lourdement sur les faits.
Dommage, car la subtilité du sous-contexte était autrement plus alléchante par le sous-entendu; inutile de braquer de gros projecteurs sur ce qu'il voulait dire.
Quant au film, il est une nouvelle fois trop long et lent et Shinji pêche toujours autant par son manque de savoir-faire de mise en scène.
Il instaure un semblant de malaise uniquement par son histoire et l'utilisation de sons; sa mise en scène reste aussi plate que pour n'importe quel téléfilm. A mille lieues d'un Lynch ou d'un Cronenberg, maîtres en la matière pour instaurer une ambiance poisseuse par la simple utilisation de quelques plans.
Restent les personnages, finalement trop peu développés pour véhiculer suffisamment le sous-contexte; sans parler des "visions" de la femme de l'héros, qui disparaissent aussitôt après leur première évocation...
L'interprétation reste solide.
Un huis-clos trop hermétique pour convaincre pleinement; en attendant des prochains progrès de Shinji qui tardent à venir...