Chef d'oeuvre du mélodrame cruel
Avec
La Femme de Seisaku, Masumura réussit à approfondir les thèmes de l'amour et la souffrance au sein d'un même film en l'espace de 90mn à peine, une performance aussi admirable qu'elle n'est jamais entachée par les baisses de rythme qui faisaient ça et là défaut à des films aussi mémorables qu'inégaux comme
Passion ou
La Bête Aveugle. Si la symbolique de la passion était imagée autrefois par un portrait chez l'un ou des fragments de corps chez l'autre, ici elle n'apparaît pas clairement ou du moins évite une certaine forme de matraquage,
La Femme de Seisaku bien qu'ancré dans une période de grand renouvellement formel reste d'une telle retenue qu'il paraît inclassable. A la fois drame intimiste, mélodrame lacrymal, critique acerbe "des soldats exemplaires" durant la guerre au début du siècle et exutoire des sentiments, l'oeuvre de Masumura est ici chef d'oeuvre parce qu'elle confronte à la fois la rage de ses protagonistes principaux, le jeune soldat Seisaku et Okane une veuve jalousée, et celle d'un village où paysans et femmes mûres ont une confiance aveugle au régime. D'un côté on y trouve une jeune femme montrée du doigt, conspuée et jalousée parce qu'elle possède 800 yens laissés par son défunt vieillard de mari, montrant encore une fois de plus que les différences de classes sociales peuvent faire basculer la balance d'un côté (respect d'une personne aisée) comme de l'autre (jalousie). On y trouve aussi un soldat exemplaire aux yeux du gouvernement et du village, traité de héros à son retour du front mais qui ne tardera pas à y retourner quelques temps plus tard alors qu'il voue un amour sans limite à Okane, un amour bien évidemment réciproque.
Mais cette réputation flatteuse et la stabilité du village partiront en poussière lorsque Okane décidera de passer à l'acte pour garder son mari indécis : il aime Okane de tout son coeur mais n'hésite pas à mettre en avant sa volonté de partir sur le front et de mettre à profit ses plans suicidaires pour que sa mort soit couverte de gloire par le peuple japonais. Cette prise de position plutôt floue (l'amour pour Okane et sa mort semblent être sur le même pied d'égalité) aura le don de déstabiliser Okane, qui derrière les racontars malsains des femmes du village, cache une envie délirante, celle de garder son mari par tous les moyens, quitte à lui faire du mal. Sans l'interprétation extraordinaire de Wakao Ayako, sommet de furie meurtrière et de passion sans limite, le film n'aurait pas cette odeur de poussière et de chaleur humaine. Il n'aurait pas non plus ce souffle tragi romantique d'une beauté renversante. Lorsque Seisaku se rend compte du piège diabolique -mais logique dans un certain sens- tendu par Okane, il ne peut que vouloir à son tour sa mort à la fois parce que cette dernière vient de ruiner sa réputation et parce qu'elle n'a visiblement pas mesuré la cruauté de son geste. La police peut très bien penser qu'il s'agit d'une mise en scène afin que Seisaku déserte gentiment. Masumura évite d'ailleurs de tomber dans le cheminement classique du film de genre en traversant les saisons sans aucune perte de lien logique au niveau du scénario, les années passent sans que l'on s'en rende compte, elles ne sont que brièvement évoquées par ces quelques plans où l'on observe Okane en prison, symbolisée par les chaînes et la fumée. Cette séquence en tout point admirable marche parce qu'elle est montée brillamment : Okane marche dans la brume, changement de plan, Seisaku est recouvert par la vapeur du poêle, la symbolique de la passion fonctionne donc même à distance, où cette fumée/nappe de brouillard les rapprochent même à des dizaines et des dizaines de kilomètres de distance.
La Femme de Seisaku marquera aussi les esprits par la beauté de sa mise en scène et de ses éclairages, rythmés par un score lancinant absolument évocateur des difficultés rencontrées par les deux amoureux. Et cette dernière séquence, démontrant que l'oeuvre de Masumura n'a pas de fin possible, mérite le détour pour ses questions restées en suspend et qui ne trouveront réponse que par l'imaginaire du spectateur. Marquant, l'un des plus grands mélodrames des années 60.
Poignant, décapant, formellement maitrisé, avec une Wakao Ayako en état de grace
On va faire rapide, une fois n'est pas coutume pour ce genre de perle. Juste dire qu'un an après Manji le trio Masumura à la réalisation/Wakao Ayako actrice/Shindo scénariste s'est encore surpassé. La Femme de Seisaku est en effet une oeuvre tenant à la fois du classicisme et de la Nouvelle Vague. Classique, le film l'est par sa rigueur formelle impressionnante hors un très petit nombre de raccords malencontreux, par son score assez émouvant pour qu'on pardonne au cinéaste de le répéter tout le long du film, par son personnage féminin pret à tout pour vivre sa passion et arpentant les zones où désir amoureux et désir de mort se tutoient, un type de personnage féminin souvent vu dans la tragédie japonaise classique justement. Nouvelle Vague, le film l'est par sa volonté de ne pas faire l'impasse sur l'érotisme comme sur les conséquences les plus graphiquement violentes de la passion amoureuse et par la collision qu'il produit: une collision amoureuse entre une femme figure de marginalité, de survie dans les périodes difficiles et un homme figure modèle des valeurs japonaises traditionnelles, collision exacerbée par le contexte historique de la guerre russo-japonaise. Le film ne se prive d'ailleurs pas de scander son récit à coup d'articles de journaux évoquant l'évolution du conflit et d'en profiter pour mettre en exergue l'obéissance aveugle à la tradition, la cruauté et la betise de ceux qui réprouvent cette passion amoureuse, le qu'en dira-t-on, le dilemme incarné par les amoureux entre sacrifice pour la Patrie et ses valeurs et désir individuel de survie et de bonheur amoureux. Qu'ajouter d'autre? Que Wakao Ayako ajoute à la maitrise formelle du film et à son scénario écrit sa propre prestation en état de grace, tirant ainsi le film vers les sommets. Violent, tragique, triste, au contenu politiquement explosif, voilà une grande réussite de la Nouvelle Vague nipponne qui n'est pas passée très loin du chef d'oeuvre.
Une fleur qui se dépose avec charme sur la paume de la main
Un film d'une telle beauté ne peut être décrit autrement. Le réalisateur maîtrise à la fois son sujet, mais aussi sa mise en scène, soignée et d'un esthétisme rarement aussi convaincant. Tout est lisse, tant dans les mouvements de la caméra que dans ceux des acteurs ; tout est fait de manière très poétique, une fleur devant les yeux et un doux chant pour les oreilles, tellement les dialogues sont justes et précis, donnant à la narration une douceur exemplaire. Ce film est un chef d'oeuvre et restera sans doute inoubliable.
Les acteurs sont vraiment fabuleux ; on les dirait sortis tout droit d'un conte classique. Les entendre donner à leur personnage une portée dramatique très convaincante dans un jeu soutenu tout du long par un haut niveau et dans un genre plus théâtrale qui passe merveilleusement bien sur pellicule, et surtout qui est finalement d'un confort inimaginable à regarder, autant que l'image est d'une tel beauté qu'on voudrait y rester encore des heures, jusqu'à ce que nos yeux soient injectés de mille vaisseaux éclatées, et que nos oreilles bourdonnent.
Film inimitable, il restera sans doute à jamais un grand classique, tellement le tableau présenté est d'un régal pour les yeux et les oreilles.
MAGNIFIQUE
Je sort à l'instant du cinéma et ce film est vraiment d'une grande beauté . La mise en scène, les décors et les costumes sont magnifiques . La musique, bien que répétitive, mais jamais lassante, est envoutante . L'histoire est tragique et émouvante, les acteurs sont criants de vérité surtout les deux acteurs principaux : Takahiro Tamura et la sublimissime Ayako Wakao . On ne voit que très rarement un film d'une aussi grande qualité, c'est une oeuvre (d'art) à voir et à ne surtout pas manquer .
14 septembre 2004
par
X27
Très beau :)
"La Femme de Seisaku" est l'histoire d'une femme seule, Okane, rejetée par tous. Seul un homme nommé Seisaku va lui donner l'amour qui lui manquait. Cependant Seisaku est un solat modèle, et en ce contexte de guerre contre la Russie en 1905, le Japon est en mobilisation civile...
Très belle oeuvre humaine que ce film de MASUMURA Yasuzo qui nous plonge dans la rude réalité de l'époque, où une femme s'est dressée contre une fatalité digne d'une tragédie grecque. C'est un scénario signé SHINDO Kaneto ("L' Ile Nue", "Tuer", "Tatouage", "Zatoichi 14"...).
Si j'ai bien aimé l'interprétation de TAMURA Takahiro, j'ai trouvé en revanche celle de l'actrice WAKAO Ayako un peu trop exagérée, légèrement too much compte tenu du script, comme si elle voulait en rajouter pour accentuer la peine de son personnage.
Hormis ce bémol et quelques passages un peu longuets, "La Femme de Seisaku" reste incontestablement un film à voir !
Un très beau film qui valait le coup d'être sorti du placard
Je me méfie des chefs-d'oeuvre de derrière les fagots, qui gagnent généralement à rester méconnus. Le démarrage de
La femme de Seisaku n'était pas fait pour me rassurer, avec ses situations et ses personnages stéréotypés. Mais le film démolit peu à peu les certitudes nées des apparences : le vieux débauché est un brave type, la mère indigne a du coeur, le héros est un abruti, les misérables sont de pauvres gens ; et cependant l'amour, même sans espoir, donne une raison de vivre dans un monde absurde et cruel.
Quelques réserves sur la réalisation ; le montage n'est pas à la hauteur de la progression du scénario ; les cadrages répétitifs ne mettent pas en relief l'admirable jeu des acteurs et la poignante beauté d'Onake.
Instincts destructeurs, instincts salvateurs
1904. Okane (magnifique Ayako Wakao), jeune femme vendue à un vieillard libidineux pour soutenir ses parents pauvres retourne avec sa mère dans le village de son enfance à la mort de celui-ci, qui lui lègue par ailleurs une forte somme. Elle s'éprend du jeune et beau Seisaku, coqueluche du village tout juste rentré du service militaire. Mais la guerre russo-japonaise approche, et le jeune homme est rappelé sous les drapeaux. Lorsqu'il revient blessé de Port Arthur, Okane est prête à tout pour le garder auprès d'elle...
Ce film fait la démonstration magistrale des idées que Masumura reprendra dans plusieurs autres oeuvres (la filiation avec l'inquiétant Blind Beast est évidente au vu de l'horrifique final): l'inadéquation entre l'individu et la société qui l'étouffe sous des convenances issues des plus basses tares humaines (de la société japonaise d'alors en particulier : instinct grégaire, fascination militariste, etc), la peinture d'instincts originaux et essentiels à travers lesquels l'homme peut s'affranchir d'une telle société décrite comme une prison à ciel ouvert (dont on ne s'échappe pas, comme le montre la structure cyclique du film -soutenue par une belle partition, tout aussi répétitive-, celle de la vie du village, ponctuée des départs et arrivées de soldats prétextes à autant de beuveries, et le songe final de Seisaku, seul moment du film à l'écart du réalisme, dans lequel il voit Okane sous les chaînes...)
Le final impressionnant montre la seule alternative possible à une société reniée: l'enfermement du couple dans une passion fusionnelle et dévastatrice qui le place en dehors de celle-ci, de toutes les convenances, de la raison....
En prime, la photographie en noir et blanc est superbe, rappelant -toutes proportions gardées- les classiques de Mizoguchi...