Xavier Chanoine | 3.25 | Un film fantastique inégal mais parfois passionnant |
Ordell Robbie | 3.5 | un film d'épouvante moins abouti qu'Onibaba |
Avis Express
Pas grand chose à rajouter de plus sur ce qui a été dit plus bas. Seulement, insistons sur deux points : premièrement la superbe plastique du métrage offrant des moments d'une richesse visuelle saisissante, renvoyant tout droit au classicisme artisanal des grands auteurs des fiveties. Le jeu du clair/obscure atteint même parfois la splendeur si mystérieuse des films muets entourant les personnage d'un halo d'un noir impénétrable, accentuant par la même occasion le sentiment d'inquiétude qui peut régner dans le "repère" des femmes chat, et cet halo ne fait qu'emprisonner les hommes -samouraïs en partie- qui osent y pénétrer, tous attirés par la blancheur exquise des maîtresses des lieux. Insistons enfin sur le relatif ratage au niveau du montage. Shindo Kaneto découpe en effet assez mal les séquences relativement soufflantes, que ce soient les affrontements entre les spectres et les samouraïs ou d'autres plus effrayantes nécessitant des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. De plus, certains plans auraient pu être plus étirés en longueur tout comme ils auraient gagné à être plus souples. La coupe est parfois trop sèche, presque brutale, comme s'il manquait du liant. Ce petit défaut n'entache en tout cas pas un film globalement réussi, au scénario particulièrement audacieux malgré des personnages masculins détestables. Le film est effectivement cruel, dépeignant un univers où l'homme samouraï n'est qu'avide de pouvoir, face à la femme, l'être opprimé par excellence. Le fait qu'elles soient le danger autorise une approche différente du genre, là où chaque séquence d'amour annonce très souvent la mort. Et au film de se voir bousculer par un fait inattendu et de culminer dans un final des plus tragiques.
Kuroneko, s'il se laisse regarder, est une relative déception par rapport à Onibaba. Le générique, avec ses gros plans d'arbres et de bambous, suscite la crainte de la copie carbone d'Onibaba. Mais la scène des débuts offre un regard bien plus cruel sur les samourais que dans ce dernier film: on y voit des samourais boire l'eau du caniveau puis violer une jeune femme et sa mère et piller leur cabane. La scène est d'autant plus saisissante qu'elle est filmée de façon suggestive avec seulement des gros plans sur les visages des violeurs et des violées. Elle se conclut sur un atroce incendie. La suite est plus prévisible: la répétition des fantomes acueillant puis piégeant les samourais en les séduisant finit par lasser. Au rayon des déceptions, le score est beaucoup plus classique que la superbe partition free jazz d'Onibaba et le travail du son est également moins saisissant. Shindo semble en outre se refuser à exploiter le potentiel érotique du récit. Dans Onibaba, la soif de sexualité des personnages contaminait la réalisation et le jeu des acteurs. Ce n'est pas le cas ici. Autre point, la symbolique politique du film est beaucoup moins subtile que dans Onibaba: les femmes vampires incarnent de façon trop évidente la vengeance du peuple affamé contre la caste des samourais. Les scènes de duels contre les fantomes volants n'ont évidemment pas la magie des meilleurs wu xia pian made in HK ni meme celle des meilleurs sketches de Kwaidan. Restent à sauver ici des scènes à cheval au souffle épique digne des meilleurs westerns, le sens du cadre en format scope (accompagné ici de zooms évoquant les chambaras de cette époque) et la superbe photographie en clairs-obscurs habituels chez Shindo ainsi que quelques observations bien senties sur la féodalité: les samourais sont dépeints commes des etres se voyant dominer le Japon, méprisant le peuple et drapant leur cruauté derrière leur code d'honneur. Ce qui nous amène à un autre point faible du film: le manque de dramatisation. A titre d'exemple, un film comme Rebellion réussissait à nous faire ressentir le dilemme d'un homme partagé entre le devoir et la peur de perdre ce qui lui était le plus cher, ce que ne permet pas ici une direction d'acteurs trop lache. Si le film est néanmoins honorable, il reste que Shindo Kaneto a déjà fait beaucoup mieux.