Tu es !
Un chambara « marrant » avec Nakadai, c’est possible, ça ? Oui, ça s’appelle « Kill ! », antithèse – ou prolongement ? - d’un bien glauque « Sword of Doom » déjà blindé de personnages hauts en couleur dans un film en noir et blanc. Ce fut déjà signé Okamoto, que je ne connais que très peu et ai du mal à faire entrer dans une case excepté celle, peut-être, de belle âme sachant placer l’humain au-dessus de tout le reste. Sauf des dindons et des petits chats blancs qui planent loin au-dessus des jeux de pouvoir et d’apparences qui masquent mal les instincts hormonaux de tout un chacun. Les travers des porcs humains sont montrés du sabre en bambou avec une aimable ironie par le formidable personnage incarné par Nakadai, Genta, un ronin rongé par ses erreurs de jeunesse qui souhaite désormais, pour se racheter ou juste trouver une raison de continuer à vivre, pacifier son environnement. Faut pacifier ? Faut pas s’y fier ! Quand il se lâche, pas lâche, il lâche le bambou et taille dans le vif à l’arme blanche !
Vrai chef d’œuvre du chambara ET du western spaghetti comme l’ont déjà très bien souligné mes pertinents camarades, ce film fait s’agiter des pantins qui pantalonnent et des pontes qui pontifient dans un joyeux bordel – d’ailleurs, oui, il y a un bien joyeux bordel -, les premiers faisant figure de braves victimes et les seconds d’ordures en puissance.
Si ce film eût pu se voir rabaisser qualitativement par ses multiples hommages appuyés à la filmographie de Kurosawa pré-1967 ("Yojimbo", "Les 7 samurais"…), il s’en sort magnifiquement avec son scénario particulièrement malin et ses personnages si bien construits qu’ils ne laissent que peu de place au manichéisme. Tout comme dans Yojimbo, Genta manipule deux clans qui s’affrontent, non pas pour les plumer mais pour calmer le jeu, s’improvisant ici médiateur dans un conflit qui n’en souhaite aucunement. La trame suit le même schéma, passage à tabac inclus, mais les enjeux sont bien plus riches, plus larges, avec un mélange humour-drame magnifiquement lissé grâce à un grand respect des personnages, faux faire-valoir inclus car ce paysan toshiromifuné joué par Etsushi Takahashi possède, en plus de scènes à haute teneur comique, une forte dimension humaine.
Chef d’œuvre ? Oui, de champs (de blés et de), bar à (putes) et de western riz jap’, comme déjà dit. Mais également un vrai chef d’œuvre sur la guerre, parce que tout comme "Croix de Fer" de Peckinpah ou un "Dr Folamour" de Kubrick il apporte une bonne touche de dérision quant à toutes ces motivations stupides qui nous font guerroyer sans cesse. Sans elles, que d’ennui ! A ce titre, le happy end, joyeusement primaire, est carrément jouissif et, à n'en pas douter, source d'autres conflits à venir. Mais ceci est une autre histoire.
Un Nakadai croustillant pour un chambara à la fois solide et enjoué très spaghetti dans l'âme.
Kill ! bien que descendant direct et très proche de
Yojimbo dans son ironie, son héros désabusé et ses démêlés "larvés" garde une rigueur de mise en scène et un profond respect pour le chambara pur et dur dont
Okamoto est un grand représentant. Une rigueur qui lui permet de garder à l'oeil sa dramatique, et d'exposer un comique assez éloigné tout de même de la pure caricature. Dans le même temps, cette rigueur l’empêche d’être aussi moqueur que
Yojimbo dans les excès physiques et aussi irrespectueux dans ses personnages et son récit. Ainsi les samouraïs traîtres piégés dans une forteresse abandonnée, bien qu’assez ridicules au final, le sont beaucoup moins dans leurs attitudes physiques que dans leurs réactions soupe au lait progressivement dévoilées avec la fatalité qui les accable. Une façon plus subtile et discrète de prendre de la distance et d’ironiser la situation que les personnages gesticulants et risibles au premier coup d’oeil de
Yojimbo. Il reste une joyeuse grosse scène de fête pour libérer les corps et les cris mais le respect du genre est bien présent au contraire de
Sanjuro qui faisait mine de respecter les codes pour mieux les détourner. Du reste, les personnages déchainés et caricaturaux sont ici plus restreints en nombre. Il n’y a à vrai dire que
Hanji, le samouraï paysan bondissant comme un chien aux abois, le grimaçant vieux moine joueur et le samouraï (très) nerveux pour pousser à fond jusqu’au comique facial et gestuel. Les autres protagonistes, le clan de samouraïs en particulier, restent constamment imprégnés par leurs desseins, le plus souvent droits comme des "I" et disciplinés, le leader tiraillé en premier lieu. La belle et jolie fiancée qui débarque au milieu de ces samouraïs provoquera de brèves réactions excessives mais la bonne tenue est majoritaire et le cabotinage bien présent sait ne pas se faire trop envahissant et se limiter à quelques personnages.
L’équilibre tragicomique est donc subtile et s’étend bien au delà du couple principal Nakadai / Takahashi à eux seuls pilier déjà très consistant du film. Nakadai y trouve un rôle de samouraï désabusé très proche du menfoutisme de Mifune dans Yojimbo, mais l’interprétation y est bien différente. Il se présente sous les traits d’un vagabond vulnérable et inoffensif là où Mifune interprétait un Ronin imposant, ronchon et vénal qui ne laissait traîner aucun doute sur son identité. Son bref combat défensif n'en est que plus jouissif et sa vulnérabilité intrinsèque nourrit aussi sa belle complémentarité avec la force brute du samouraï paysan. Nakadai, tout comme Mifune dans Yojimbo, garde aussi bien caché une humanité vibrante et intéressante qui permet ici la dénonciation d’une féodalité rigide ne prenant en compte que les stratégies des plus puissants et où les samouraïs ont largement perdu de leur superbe.
Le parallèle avec le western désabusé est flagrant, que ce soit dans les décors en partie fait de décombres et autre ville fantôme, la mise en ambiance, la poussière, la sécheresse, le ton et même la musique. On pense notamment à Django, Keoma pour l'ambiance crépusculaire, Pistolets pour un massacre pour les personnages haut en couleurs et bien d'autres. La mise en scène d'Okamoto est encore une fois précise et offre un noir et blanc superbe et de beaux moments esthétiques comme ce plan large sur le cimetierre bouddhique.
En poussant plus loin encore côté personnages, on pourrait même rapprocher Nakadai de Terence Hill dans sa façon de passer pour un pauvre vagabond sans défense et mal rasé alors qu’il est un dieu du sabre. Etsushi Takahashi quant à lui se pause en parfait contrepoid de Nakadai, l’impulsif face au calme absolu, l'ahuri face au malin, la bonté naïve face au calculateur revenu de tout depuis longtemps, le débutant face au pro, et enfin le Bud Spencer face à Terence Hill si il faut continuer à pousser loin la comparaison. Car Hanji est une masse, un mastodonte qui peut soulever les fondations d’une baraque avec ses deux mains, un personnage des plus attachant qui reste pourtant lui aussi très réaliste, à l’opposé de Bud donc. Cette scène de démonstration de puissance est d’ailleurs brève et ne sert qu’à un effet comique rétroactif beaucoup plus subtile qu’une baffe de Spencer. Hanji est avant tout honnête et droit, aimant la terre, dévoué, admiratif du rang de samouraï et donc catalyseur des désillusions qu'Okamoto souhaite développer.
Ce fameux mélange, énergique, joliment architecturé autour d’une trame qui aurait tout autant pu être traitée en pure dramatique sans ses savoureux personnages nuancés de comique, se suit donc avec plaisir, et même si les enjeux ne poussent pas très loin, l’équilibre y est excellent et le rythme sans faille, permettant de francs moments d’ironie comique (sa conclusion notamment) tout en amenant le récit vers un bel assaut final désenchanté, chaotique, sanglant et rageur, des plus convaincant, où le samouraï, tout honorable qu'il soit, se retrouve perdu en pleine naissance d'une certaine idée de la modernité.
Effet boomerang
Belle terre de paradoxes que ce Kill!. Soit un film qui pour titre Tuer! mais qui se révèle finalement etre un bel exemple de l'humanisme du regretté OKAMOTO Kihachi. Un film qui après l'invention avant Leone de la poudre spaghetti par Kurosawa avec le diptyque Yojimbo/Sanjuro se révèle etre le chambara sixties le plus proche de l'esprit de westerns sauce Cinecitta qu'on ait vu. Soit du grotesque (les ambiances crades, l'ouverture avec ses habitations pourries et le détail des poules, la dégaine pas classieuse loin de là de certains personnages), des personnages aussi attachants qu'hauts en couleurs, du vrai art de la rupture de la ton et du mélange des genres, de l'exagération assumée évitant un certain cynisme si contemporain, du regard sur la figure du samourai où affection et ironie se melent. Soulignons enfin ces combats brillament filmés où la mise en scène apporte de vraies touches de décalage délicieusement jouissives. Seul reproche: que la direction d'acteurs ait aussi les travers cabotins (ou le charme?) de ses cousins italiens. Beau film humaniste, bel exemple de divertissement populaire, chambara singulier dans son approche, modèle de ces allers/retours d'influence Orient/Occident ensuite théorisés grace au cinéma de Hong Kong, Kill! est bien évidemment un must see pour l'amateur de chambara... et celui de western spaghetti.
Survivre pour vivre
Dès les premières images, impossible de ne pas reconnaître la patte unique du réalisateur Okamoto, qui revient – près de dix ans après son magnifique "Desperado Outpost" – à un chamabara léger et teinté de beaucoup d'ironie.
Suivant son expérimental – et sans doute meilleur film – "Nikudan" – "Kill!" s'apparente davantage à une pause créative artistique, à un pur film de divertissement pour se réconcilier avec son public et ses producteurs; le métrage n'en demeure pas moins digne d'intérêt. Derrière l'histoire ultrabasique d'affrontements de clans se cache une nouvelle fois un portrait au vitriol de véritables antihéros; des gens du "petit peuple" déçu par leur condition humaine. L4un rêvant de devenir ce dont l'autre revient, tous deux s'accommodent de leur vie en vivant du jour au jour. N'ayant pas mangé depuis cinq jours, ils ne vont quand même pas jusqu'à dévorer la poule sauvage passant devant leurs yeux en début et en fin de film: la vie est trop riche en rebondissements imprévus et richesses déguisées pour se laisser aller à la mort; en revanche, il ne faut jamais se fier aux apparences trompeuses. Okamoto n'en oublie pas non plus d'égratigner au passage une classe sociale plus aisée.
Profond humaniste et fin humoriste satirique, "Kill!" confirme son statut de réel artiste au message fort dans un cinéma de pur divertissement.
QUAND TATSUYA FAIT LE NIGAUD, Y'A TOUT BON!
REPRECISONS TOUT DE SUITE UNE CHOSE IMPORTANTE: KIHACHI OKAMOTO EST A RANGER DANS LA LISTE DES ARTISANS ET NON DES YES-MAN.
CERTES IL N'A PEUT ETRE PAS LE FEU SACRE DES REALISATIONS DES KUROSAWA OU KABAYASHI, MAIS POUR AUTANT C'EST UN REALISATEUR QUI GAGNE A ETRE REHABILITE COMME L'EST PETIT A PETIT L'ENORME HIDEO GOSHA.
EN EFFET TOUS CEUX AYANT VU SAMOURAI ASSASSIN ET SWORD OF DOOM SAVENT DE QUOI JE PARLE.
AVEC CE KILL, OKAMOTO S'ATTAQUE A CE QUE L'ON PEUT APPELER CHAMBARA SPAGHETTI INITIES 6 ANS PLUS TOT PAR LES DEUX CHEF D'OEUVRES DE KUROSAWA: YOJIMBO ET SANJURO. EN CE SENS CE FILM SE RAPPROCHE DES KIBA DE GOSHA.
SA REPONSE A YOJIMBO, SE FERA AVEC CERTAINS DES INGREDIENTS DE YOJIMBO: DES GUEULES QUI ONT DE LA GOUAILLE, DES MANIPULATIONS, BEAUCOUP DE SECOND DEGRES ET QUELQUES DUELS FAUSSEMENT CHAOTIQUE MAIS VRAIMENT CHOREGRAPHIE. EN CLAIR IL Y EN A POUR TOUT LE MONDE!
POUR FINIR 2 BONNES RAISONS DE VOUS CONVAINCRE: LA GENIALISSIME MUSIQUE DE MASARU SATO (une de plus) ET SURTOUT UN TATSUYA NAKADAI JOUANT LE SECOND DEGRE AVEC UN ENTHOUSIASME COMMUNICATIF. QUAND UN ACTEUR REPUTE TRES SERIEUX ET CEREBRALE JOUE AU NIGAUD, Y'A PAS MIEUX... RESPECT.
Chambara-Macaroni
Si les films de Kurosawa tel Sanjuro ou Yojimbo ont longtemps été tenu comme les seuls exemples de chambara parodiques, d'autres oeuvres telles Kiru réalisée par Okamoto Kihachi sont bien moins connues. Grande injustice lorsque que l'on découvre l'excellence d'un tel film, à la fois pur chambara tragique mais aussi relecture ironique et distanciée de la condition du samouraï. Au contraire d'un Kurosawa qui a toujours abhorré le genre, Okamoto est lui un pilier du chambara et nombres de ses œuvres font figures de classiques (Sword of Doom, Samurai Assassin). Aussi lorsqu'il s'attaque à une relecture du genre, il en détourne les codes sans pour autant le dénigrer. La filiation avec les westerns italiens est frappante tant le traitement et l'approche sont similaires. Kiru présente un canevas que l'on jurerait tout droit tiré d'un western transalpin.(et je ne parle même pas de la musique à base de guitares et de trompettes). Deux camps hostiles se jaugent dans un conflit larvé jusqu'au jour où l'arrivée de deux éléments étrangers va modifier la donne. D'un coté, Tabata, un jeune paysan naïf désireux de devenir samouraï, de l'autre, Genta, interprété par un Nakadai impérial, un vagabond, ancien samouraï, désabusé depuis le jour où on lui a ordonné de tuer son meilleur ami. Espoirs contre désillusions, Kiru se construit en suivant le parcours de ces deux hommes dépassés par des situations qu'ils ne maîtrisent pas. Tour à tour amis ou ennemis, les alliances et manigances des clans leur feront comprendre que le samouraï n'est qu'un simple pantin dans la guerre sans merci que se livre les clans. L'honneur et le prestige du statut de samouraï ne sont que des leurres destinés à les empêcher de prendre conscience de leur peu enviable condition. En apparence bien moins radical qu'un Hara-kiri, le constat est le même. Le traitement tragico-comique est la grande particularité de Kiru, sa grande réussite aussi. Exercice extrêmement périlleux s'il en est, Okamoto parvient à insuffler de la dérision, de l'ironie noire tout au long du récit. Ce ton décalé, où la mort rode sournoisement, s'intègre parfaitement au récit puisqu'il est le constitutif même du projet de distanciation ironique. Les fiers samouraïs en sont réduits a mendier une nourriture que même les paysans refusent, les samouraïs sont présentés comme de pathétiques pantins incapable de se remettre en question. Manipulés, se disputant comme des grands enfants, les incessants conflits craquellent inexorablement le fragile vernis des apparences. Dans Kiru, on meurt en nombre, souvent sans raison valable, dans des combats sauvages où les sabres transpercent et font tomber les corps lourds dans la poussière. Okamoto en profite aussi pour railler certains combattants, les samouraïs trop sur de la puissance de leur sabre tombent comme des mouches sous les fusils de l'ennemi. Le duel final, bien loin des conventions, se déroule dans une pièce exiguë où l'on se bat avec des baguettes et un fer rouge ! S'il est pour habitude de louer la perfection technique des productions nippones de cette époque, on ne perdra pas de vue que tant de maîtrise découle d'une véritable culture de l'excellence. La mise en scène moderne et dynamique accompagne le récit, quelques expérimentations visuelles participent à la singularité du film : très gros plan sur des visages hystériques, insert visuel sur des jets d'armes (ou de baguettes !). La photographie en noir et blanc absolument terrassante participe à la gravité souterraine de l'histoire. L'interprétation des deux héros est du même acabit, leur confrontation tragique irriguant en profondeur la thématique du film. Pur chambara de haute tenue associé à une approche distanciée pour le moins inhabituelle, Kiru est l'exemple même de ce que le cinéma de genre a de plus noble. Film d'action mais aussi de réflexion, film drole et tragique, voici un sommet du genre. Critique illustrée disponible sur
EIGA GOGO!